Le métier de traducteur n’est pas toujours drôle. Une fois une commande reçue, quel que soit l’intérêt et la qualité de l’ouvrage, il faut le lire une première fois, s’en imprégner, puis lire et relire au fur et à mesure que le travail souvent injustement méconnu de traduction, progresse.
Avec ce roman qui tire son nom d’un portrait réalisé par un peintre de la Renaissance à la ressemblance troublante avec l’un de ses multiples personnages, Michaël, jeune homme brillant, qui ressent profondément la souffrance du monde au point d’en être interné en hôpital psychiatrique, le traducteur a dû rêver, souvent, d’un autre métier…
Il faut dire que le livre est particulièrement assommant. Passe encore que la linéarité temporelle soit bafouée : on en a vu d’autres et cela permet souvent de structurer par composantes essentielles la trame narrative, sauf ici !
Derrière une volonté louable de peupler l’ouvrage de nombreux personnages secondaires qui, tous sans exception, souffrent d’un profond mal de vivre typiquement russe, d’alcoolisme plus ou moins démonstratif, de pulsions suicidaires et d’une vie de couple pour le moins tumultueuse, le lecteur se trouve bien vite perdu par une prolifération non maîtrisée de personnages qui ont tous des comptes à régler avec l’autre sexe.
Au bout de trente pages, on ne sait déjà plus qui est qui, qui est amant, ou l’a été, de qui, qui veut tuer qui ou qui veut se tuer.
Le récit se déroule principalement entre un New York accablé de neige et de verglas et un Moscou engourdi par un immense manteau blanc. Quand ils se trouvent dans l’une de ces villes, chacun des personnages n’a de cesse que de la quitter pour rejoindre une improbable âme sœur qui, bien sûr, a élu domicile sur l’autre continent.
Une fois sur place, leur court bonheur fait immédiatement le malheur du conjoint trompé quand il ne provoque pas la mort, souvent violente, de l’être aimé. Le tout par une succession de portraits juxtaposés, décalés dans le temps et l’espace, d’où l’on glisse dans un profond engourdissement.
Bref, pour plagier Shakespeare, “beaucoup de bruit pour rien”.
J’ai manqué par trois ou quatre fois de refermer le livre irrité par cet évident manque de talent et de maîtrise. Ce n’est que poussé par le devoir d’en rendre compte ici que je me suis accroché.
A oublier au plus vite !
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 302 pages
Blog d'humeur littéraire - Livres, lectures, romans, essais, critiques. La lecture comme source de plaisir, d'inspiration et de réflexion.
Qui êtes-vous ?
- Thierry Collet
- Cadre dirigeant, je trouve en la lecture une source d'équilibre et de plénitude. Comme une mise en suspens du temps, une parenthèse pour des évasions, des émotions que la magie des infinis agencements des mots fait scintiller. Lire m'est aussi essentiel que respirer. Lisant vite, passant de longues heures en avion, ma consommation annuelle se situe entre 250 et 300 ouvrages. Je les bloggue tous, peu à peu. Tout commentaire est bienvenu car réaliser ces notes de lecture est un acte de foi, consommateur en temps. N'hésitez pas également à consulter le blog lecture/écriture auquel je contribue sur le lien http://www.lecture-ecriture.com/index.php Bonnes lectures !
22.12.07
15.12.07
Nuage rouge – Christian Gailly
Un homme roule sur un chemin, tard en soirée. Tout à coup, il croise la voiture d’un de ses amis. Au volant, une femme, inconnue. Aucune trace de son ami, ni à l’avant, ni à l’arrière. Un détail choque : la femme qui conduit a l’air hagard et le visage plein de traces rouges.
Son ami sera retrouvé par lui mais, pour cet ami, rien ne pourra plus jamais être comme avant. Il le charge alors de retrouver cette femme que, malgré les circonstances que vous découvrirez, il aime follement.
A cette quête substitutive s’adjoindra bientôt un amour par transfert pour une femme mystérieuse et qui joue au chat et à la souris avec ces deux hommes, tout le monde dissimulant sur ce qu’il sait, croit savoir ou fait semblant de savoir.
Avec une écriture très incisive, résolument moderne, insérée dans de courts chapitres qui donnent un rythme de polar mystique à ce roman assez novateur, Christian Gailly nous interpelle sur la fidélité en amitié et en amour. Jusqu’où accepter d’aller par souci de l’autre et a-t-on le droit de sacrifier une relation à une autre, par lassitude, dévotion ou par souci du bien-être d’un tiers ?
Dans cette quête assez alambiquée de l’autre se joue une petite poésie faite de répétitions volontaires et qui rendent le temps qui s’écoule plus dense, plus structuré. Il s’en dégage aussi un humour un peu décalant et qui prête à sourire.
De nombreuses surprises nous attendent au détour des chapitres tenant le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Une assez belle réussite sans toutefois en faire un texte fondateur. Il y a de la marge…
Publié aux Editions de Minuit – 191 pages
Son ami sera retrouvé par lui mais, pour cet ami, rien ne pourra plus jamais être comme avant. Il le charge alors de retrouver cette femme que, malgré les circonstances que vous découvrirez, il aime follement.
A cette quête substitutive s’adjoindra bientôt un amour par transfert pour une femme mystérieuse et qui joue au chat et à la souris avec ces deux hommes, tout le monde dissimulant sur ce qu’il sait, croit savoir ou fait semblant de savoir.
Avec une écriture très incisive, résolument moderne, insérée dans de courts chapitres qui donnent un rythme de polar mystique à ce roman assez novateur, Christian Gailly nous interpelle sur la fidélité en amitié et en amour. Jusqu’où accepter d’aller par souci de l’autre et a-t-on le droit de sacrifier une relation à une autre, par lassitude, dévotion ou par souci du bien-être d’un tiers ?
Dans cette quête assez alambiquée de l’autre se joue une petite poésie faite de répétitions volontaires et qui rendent le temps qui s’écoule plus dense, plus structuré. Il s’en dégage aussi un humour un peu décalant et qui prête à sourire.
De nombreuses surprises nous attendent au détour des chapitres tenant le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Une assez belle réussite sans toutefois en faire un texte fondateur. Il y a de la marge…
Publié aux Editions de Minuit – 191 pages
9.12.07
La double conversion d’Al-Mostancir – Hubert Haddad
Mais d’où vient donc que l’on n’entende pas particulièrement parler de cet auteur d’origine tunisienne ?
Sa langue est sublime de poésie, à la fois orientale par sa luxuriance, sa richesse de vocabulaire sans franchir des limites qui en feraient une langue pédante, et d’une modernité occidentale. On se laisse bercer par la magie des mots, les couleurs et les odeurs défilent devant nos sens émerveillés au fur et à mesure que la lecture de ce merveilleux conte progresse.
L’idée est originale et force l’admiration par la maîtrise que l’auteur en a.
Louis IX fait le siège de Tunis. Frappé par la peste et le « mal des entrailles », il se meurt lentement comme tant de nobles chevaliers avec lui. Frappé du même mal, le berger de l’armée, Saïd, râle.
Louis IX va usurper l’identité de Saïd et Saïd devenir la dépouille royale, défigurée et putrescente. Enfin libéré des obligations de sa charge, le roi moine, qui survivra à son mal et se réveillera des morts, va pouvoir se consacrer à sa seule passion : la méditation et la prière.
Mais la force de son caractère, son calme et son sourire permanent, sa foi qui deviendra musulmane ne vont pas tarder à faire de lui un prophète respecté, adulé que l’Emir Al-Mostancir, qui aura défait les Francs, fera venir à lui pour réveiller une foi qui s’éteint.
Hubert Haddad fait preuve d’une culture historique remarquable et maîtrise brillamment les principes fondateurs des deux religions majeures qui s’affrontent pour finir par se confondre en grande partie. Nous voilà en quelques traits de plume transportés près de six cents ans en arrière et nous souffrons de la chaleur, de l’ardeur des combats, de la maladie surtout qui décime plus que l’ennemi musulman l’armée papale.
La magie de l’auteur est de nous faire glisser imperceptiblement de la conscience au rêve du roi mourant. Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, c’est l’agonie mentale royale, le rêve formé par les fièvres. Cette rêverie poétique interpelle le roi, inconsciemment, et nous avec, sur la réalité de la foi, la prétendue supériorité d’une religion sur une autre, le renoncement à l’amour physique et la découverte du plaisir de la chair avec une belle musulmane imaginée. C’est un rêve de dépouillement extrême, de totale pauvreté pour n’avoir aucune obligation et pouvoir poursuivre son chemin vers son destin, en paix avec soi et avec le monde avant que de le quitter en remettant son âme à celui que sa naissance a fait son Dieu.
Un livre extraordinaire qui donne une irrépressible envie de se précipiter sur les autres ouvrages de ce prolifique auteur contemporain, touche à tout de la littérature car auteur de romans, de nouvelles, de théâtre comme de poésie.
Un des grands livres de Cetalir !
Sa langue est sublime de poésie, à la fois orientale par sa luxuriance, sa richesse de vocabulaire sans franchir des limites qui en feraient une langue pédante, et d’une modernité occidentale. On se laisse bercer par la magie des mots, les couleurs et les odeurs défilent devant nos sens émerveillés au fur et à mesure que la lecture de ce merveilleux conte progresse.
L’idée est originale et force l’admiration par la maîtrise que l’auteur en a.
Louis IX fait le siège de Tunis. Frappé par la peste et le « mal des entrailles », il se meurt lentement comme tant de nobles chevaliers avec lui. Frappé du même mal, le berger de l’armée, Saïd, râle.
Louis IX va usurper l’identité de Saïd et Saïd devenir la dépouille royale, défigurée et putrescente. Enfin libéré des obligations de sa charge, le roi moine, qui survivra à son mal et se réveillera des morts, va pouvoir se consacrer à sa seule passion : la méditation et la prière.
Mais la force de son caractère, son calme et son sourire permanent, sa foi qui deviendra musulmane ne vont pas tarder à faire de lui un prophète respecté, adulé que l’Emir Al-Mostancir, qui aura défait les Francs, fera venir à lui pour réveiller une foi qui s’éteint.
Hubert Haddad fait preuve d’une culture historique remarquable et maîtrise brillamment les principes fondateurs des deux religions majeures qui s’affrontent pour finir par se confondre en grande partie. Nous voilà en quelques traits de plume transportés près de six cents ans en arrière et nous souffrons de la chaleur, de l’ardeur des combats, de la maladie surtout qui décime plus que l’ennemi musulman l’armée papale.
La magie de l’auteur est de nous faire glisser imperceptiblement de la conscience au rêve du roi mourant. Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, c’est l’agonie mentale royale, le rêve formé par les fièvres. Cette rêverie poétique interpelle le roi, inconsciemment, et nous avec, sur la réalité de la foi, la prétendue supériorité d’une religion sur une autre, le renoncement à l’amour physique et la découverte du plaisir de la chair avec une belle musulmane imaginée. C’est un rêve de dépouillement extrême, de totale pauvreté pour n’avoir aucune obligation et pouvoir poursuivre son chemin vers son destin, en paix avec soi et avec le monde avant que de le quitter en remettant son âme à celui que sa naissance a fait son Dieu.
Un livre extraordinaire qui donne une irrépressible envie de se précipiter sur les autres ouvrages de ce prolifique auteur contemporain, touche à tout de la littérature car auteur de romans, de nouvelles, de théâtre comme de poésie.
Un des grands livres de Cetalir !
30.11.07
Petits suicides entre amis – Arto Paasilinna
On sait les Finlandais un peu déjantés, ardents, drôles et bons buveurs une fois la glace brisée (sans jeu de mots).
Dans ce célèbre roman, Arto Paasilinna illustre parfaitement cet esprit libre et faisant sauter bien des convenances.
Un entrepreneur en faillite et dont le mariage bat de l’aile et un colonel d’active mis sur la touche décident tous deux de se suicider, sans se connaître ni se concerter. Ils se retrouvent nez à nez dans une grange et l’entrepreneur va sauver la vie au colonel qui s’apprêtait à se pendre.
Comme il n’arrive pas tous les jours de pouvoir sauver la vie de quelqu’un et que partager ses malheurs en ayant une oreille attentive dans laquelle déverser ses tristes humeurs, une vive amitié va se nouer entre ces deux personnages.
Ayant chacun de son côté, grâce à leur réunion impromptue, échappé au pire, ils décident de passer une annonce pour proposer aux suicidaires finlandais de se réunir pour envisager un gigantesque suicide collectif.
Plus de 600 « désespérés » répondront présents. Lors du colloque qui ressemble rapidement à un festin orgiaque et fortement éthylique, un petit groupe d’une vingtaine de candidats au suicide collectif se constitue.
Bientôt rejoint par un propriétaire d’un car puissant flambant neuf, ils vont se mettre à sillonner tout d’abord la Finlande, puis la Norvège, puis le sud de l’Europe, à la recherche du lieu idéal pour commettre cette action d’éclat qui attirera l’attention du monde sur le mal de vivre finnois.
D’étape en étape, de beuverie en beuverie, des rencontres se noueront entre les « Mortels », de véritables amitiés, certaines amoureuses, se mettront en place et le désir de se tuer s’éteindra progressivement une fois qu’un nouveau sens sera redonné à la vie de chacun.
Derrière cette idée originale, l’auteur sait, avec un humour qu’on aurait aimé plus grinçant, donner de gentils coups de canifs dans la société finlandaise moderne, critiquant la recherche des biens et du pouvoir, l’abandon des traditions de rencontres et d’entraide, le replis sur soi.
Le ridicule d’une administration embourbée dans ses formulaires, ses procédures, son manque de moyen pour mettre à mal un plan qui ne manquera pas de porter atteinte à la réputation de ce grand pays qu’est la Finlande est également gentiment mis en scène.
Gentil est l’adjectif qui caractérisera le mieux ce roman qui a beaucoup fait parler de lui. En étant gentils les uns envers les autres, le goût de vivre revient car on trouve de nouveaux sens. Gentille est la critique, gentille l’écriture.
C’est ce manque de verve caustique, d’humour décalé à l’anglaise qui rend le récit un peu longuet. Plus les pages se tournent, plus la vie devient prévisible même si une, petite, surprise nous attend à la toute fin. Plus d’allant, plus d’ambition littéraire en aurait fait un ouvrage majeur. En fait, c’est simplement un gentil divertissement, un peu longuet. Dommage, car le sujet était vraiment fabuleux…
Publié aux Editions Denoël & d’ailleurs – 300 pages
Dans ce célèbre roman, Arto Paasilinna illustre parfaitement cet esprit libre et faisant sauter bien des convenances.
Un entrepreneur en faillite et dont le mariage bat de l’aile et un colonel d’active mis sur la touche décident tous deux de se suicider, sans se connaître ni se concerter. Ils se retrouvent nez à nez dans une grange et l’entrepreneur va sauver la vie au colonel qui s’apprêtait à se pendre.
Comme il n’arrive pas tous les jours de pouvoir sauver la vie de quelqu’un et que partager ses malheurs en ayant une oreille attentive dans laquelle déverser ses tristes humeurs, une vive amitié va se nouer entre ces deux personnages.
Ayant chacun de son côté, grâce à leur réunion impromptue, échappé au pire, ils décident de passer une annonce pour proposer aux suicidaires finlandais de se réunir pour envisager un gigantesque suicide collectif.
Plus de 600 « désespérés » répondront présents. Lors du colloque qui ressemble rapidement à un festin orgiaque et fortement éthylique, un petit groupe d’une vingtaine de candidats au suicide collectif se constitue.
Bientôt rejoint par un propriétaire d’un car puissant flambant neuf, ils vont se mettre à sillonner tout d’abord la Finlande, puis la Norvège, puis le sud de l’Europe, à la recherche du lieu idéal pour commettre cette action d’éclat qui attirera l’attention du monde sur le mal de vivre finnois.
D’étape en étape, de beuverie en beuverie, des rencontres se noueront entre les « Mortels », de véritables amitiés, certaines amoureuses, se mettront en place et le désir de se tuer s’éteindra progressivement une fois qu’un nouveau sens sera redonné à la vie de chacun.
Derrière cette idée originale, l’auteur sait, avec un humour qu’on aurait aimé plus grinçant, donner de gentils coups de canifs dans la société finlandaise moderne, critiquant la recherche des biens et du pouvoir, l’abandon des traditions de rencontres et d’entraide, le replis sur soi.
Le ridicule d’une administration embourbée dans ses formulaires, ses procédures, son manque de moyen pour mettre à mal un plan qui ne manquera pas de porter atteinte à la réputation de ce grand pays qu’est la Finlande est également gentiment mis en scène.
Gentil est l’adjectif qui caractérisera le mieux ce roman qui a beaucoup fait parler de lui. En étant gentils les uns envers les autres, le goût de vivre revient car on trouve de nouveaux sens. Gentille est la critique, gentille l’écriture.
C’est ce manque de verve caustique, d’humour décalé à l’anglaise qui rend le récit un peu longuet. Plus les pages se tournent, plus la vie devient prévisible même si une, petite, surprise nous attend à la toute fin. Plus d’allant, plus d’ambition littéraire en aurait fait un ouvrage majeur. En fait, c’est simplement un gentil divertissement, un peu longuet. Dommage, car le sujet était vraiment fabuleux…
Publié aux Editions Denoël & d’ailleurs – 300 pages
22.11.07
Permission – Céline Curiol
Le thème retenu par l’auteur est réjouissant et original.
Un jeune homme est recruté sur concours international par l’Institution (une sorte d’ONU qui ne dit pas son nom).
Il y est engagé comme « résumain » c’est-à-dire que sa mission consiste à résumer avec objectivité, sans passion, de façon neutre et efficace, les débats qui ont lieu dans les différents organes de l’Institution.
Ce jeune homme ne tarde pas à devenir un employé modèle, soucieux de toujours mieux faire et qui ne pense qu’à son travail. De toute façon, l’Institution songe à tout pour ses employés. Ils sont logés et nourris sur place et ne peuvent sortir de l’Institution sans permission (d’où le titre). Même le vocabulaire est normé et trois classeurs résument tout ce qu’il faut savoir pour vivre sans heurts en vase clos.
Bientôt, face à la répétition des tâches et dans un mode aseptisé et climatisé, le temps s’efface. Aucun employé n’est capable de répondre à la question de savoir depuis combien de temps ils sont embauchés. C’est le moyen mis en œuvre pour tuer dans l’œuf toute révolte.
Tout fonctionne bien jusqu’au jour où le collègue avec lequel le personnage principal du roman est en compétition professionnelle lui montre un roman. Or, l’écriture et l’imaginaire ont été mondialement interdits pour éviter toute perversion et annihiler toute faculté d’initiative créatrice.
Céline Curiol maîtrise bien son sujet pendant les deux premiers tiers de ce roman original. Le ton volontairement froidement objectif, presque chirurgical qu’emploie son héros auto-narrateur fonctionne parfaitement bien.
Malheureusement, le derniers tiers perd en qualité. Le doute qui s’empare du héros, l’arrivée inattendue de la puissance imaginaire, les perspectives nouvelles que l’écriture apporte viennent bouleverser un monde parfaitement rôdé. Mais les moyens littéraires mis en œuvre par l’auteur sont un peu poussifs et manquent de maîtrise conductrice.
On finit par s’y perdre et l’on guette la fin. C’est celle-ci qui finit par gâcher l’ouvrage. Si j’avais eu à parier sur le dénouement, j’aurais imaginé celui précisément réalisé par Curiol. Assez cousu de fil blanc.
Un livre qui plaira aux amateurs de « Galatica » ou de « The Island », un cran en-dessous, très nettement, toutefois.
Publié aux Editions Actes Sud – 253 pages
Un jeune homme est recruté sur concours international par l’Institution (une sorte d’ONU qui ne dit pas son nom).
Il y est engagé comme « résumain » c’est-à-dire que sa mission consiste à résumer avec objectivité, sans passion, de façon neutre et efficace, les débats qui ont lieu dans les différents organes de l’Institution.
Ce jeune homme ne tarde pas à devenir un employé modèle, soucieux de toujours mieux faire et qui ne pense qu’à son travail. De toute façon, l’Institution songe à tout pour ses employés. Ils sont logés et nourris sur place et ne peuvent sortir de l’Institution sans permission (d’où le titre). Même le vocabulaire est normé et trois classeurs résument tout ce qu’il faut savoir pour vivre sans heurts en vase clos.
Bientôt, face à la répétition des tâches et dans un mode aseptisé et climatisé, le temps s’efface. Aucun employé n’est capable de répondre à la question de savoir depuis combien de temps ils sont embauchés. C’est le moyen mis en œuvre pour tuer dans l’œuf toute révolte.
Tout fonctionne bien jusqu’au jour où le collègue avec lequel le personnage principal du roman est en compétition professionnelle lui montre un roman. Or, l’écriture et l’imaginaire ont été mondialement interdits pour éviter toute perversion et annihiler toute faculté d’initiative créatrice.
Céline Curiol maîtrise bien son sujet pendant les deux premiers tiers de ce roman original. Le ton volontairement froidement objectif, presque chirurgical qu’emploie son héros auto-narrateur fonctionne parfaitement bien.
Malheureusement, le derniers tiers perd en qualité. Le doute qui s’empare du héros, l’arrivée inattendue de la puissance imaginaire, les perspectives nouvelles que l’écriture apporte viennent bouleverser un monde parfaitement rôdé. Mais les moyens littéraires mis en œuvre par l’auteur sont un peu poussifs et manquent de maîtrise conductrice.
On finit par s’y perdre et l’on guette la fin. C’est celle-ci qui finit par gâcher l’ouvrage. Si j’avais eu à parier sur le dénouement, j’aurais imaginé celui précisément réalisé par Curiol. Assez cousu de fil blanc.
Un livre qui plaira aux amateurs de « Galatica » ou de « The Island », un cran en-dessous, très nettement, toutefois.
Publié aux Editions Actes Sud – 253 pages
17.11.07
Heureux comme Dieu en France – Marc Dugain
Marc Dugain, principalement connu pour son best-seller « La chambre des officiers », produit ici un roman remarquablement écrit, avec juste ce qu’il faut d’effets littéraires (il a le sens de la formule qui fait mouche mais sans l’ostentation cumulative d’un Pierre Assouline).
Pourtant, le thème retenu est archi-rabâché : un jeune homme de vingt ans, dont les parents animent des réseaux de résistance via le Parti depuis Paris, est déclaré officiellement mort. Une fois enterré, pour de faux bien entendu, il est envoyé en Province où il va progressivement monter les échelons dans son réseau, commettant directement ou indirectement, les meurtres et les coups d’éclat indispensables au succès de ses missions.
La langue maniée par Dugain est pour beaucoup dans le fait que l’on est immédiatement happée par la logique infernale qui se met en place. L’atmosphère d’angoisse latente, l’implication de ses sans-grades qui se sont engagés au péril de leur vie est admirablement rendue.
On y comprend aussi les principes du cloisonnement au sein d’un réseau, le fait que chacun était responsable d’une minuscule parcelle d’action, la somme du tout faisant l’effet escompté. Il était également plus facile de remplacer un maillon arrêté ou mort que toute la chaîne.
L’autre originalité de ce très beau roman, de facture classique (il n’y faut pas chercher d’innovation littéraire), est de prolonger l’action dans le France de l’après-guerre. Plus qu’un roman d’action, ce qu’il n’est pas vraiment, c’est un roman profondément intimiste qui met en scène les doutes, les interrogations, les bravades et les actions de bravoure qu’un jeune homme va apprendre instinctivement à trouver en lui, face à des situations terribles. Jusqu’où peut aller l’amitié, la compréhension de l’ennemi, jusqu’où trahir ceux qui nous font apparemment confiance pour faire gagner la cause pour laquelle on est enrôlé.
Ces mêmes doutes, transcrits une fois de retour dans la vie civile, doublés d’une quête d’un amour impossible, avec la femme qui fut son chef de réseau et qui disparut brutalement, arrêtée, quelques jours avant qu’il ne le fût lui-même sont magnifiquement mis en scène par l’auteur dans le dernier tiers de cet ouvrage.
L’une des questions qui est posée est celle du sens de l’engagement et des limites à ce que l’on est autorisé ou non de faire. La réponse donnée ici est que face au terrorisme militaire il n’y avait pas d’autre réponse que celui du terrorisme résistant. Une façon sans doute de nous donner à voir ce qui se passe aussi en Irak ou en Afghanistan…
Publié chez Gallimard – 204 pages
Pourtant, le thème retenu est archi-rabâché : un jeune homme de vingt ans, dont les parents animent des réseaux de résistance via le Parti depuis Paris, est déclaré officiellement mort. Une fois enterré, pour de faux bien entendu, il est envoyé en Province où il va progressivement monter les échelons dans son réseau, commettant directement ou indirectement, les meurtres et les coups d’éclat indispensables au succès de ses missions.
La langue maniée par Dugain est pour beaucoup dans le fait que l’on est immédiatement happée par la logique infernale qui se met en place. L’atmosphère d’angoisse latente, l’implication de ses sans-grades qui se sont engagés au péril de leur vie est admirablement rendue.
On y comprend aussi les principes du cloisonnement au sein d’un réseau, le fait que chacun était responsable d’une minuscule parcelle d’action, la somme du tout faisant l’effet escompté. Il était également plus facile de remplacer un maillon arrêté ou mort que toute la chaîne.
L’autre originalité de ce très beau roman, de facture classique (il n’y faut pas chercher d’innovation littéraire), est de prolonger l’action dans le France de l’après-guerre. Plus qu’un roman d’action, ce qu’il n’est pas vraiment, c’est un roman profondément intimiste qui met en scène les doutes, les interrogations, les bravades et les actions de bravoure qu’un jeune homme va apprendre instinctivement à trouver en lui, face à des situations terribles. Jusqu’où peut aller l’amitié, la compréhension de l’ennemi, jusqu’où trahir ceux qui nous font apparemment confiance pour faire gagner la cause pour laquelle on est enrôlé.
Ces mêmes doutes, transcrits une fois de retour dans la vie civile, doublés d’une quête d’un amour impossible, avec la femme qui fut son chef de réseau et qui disparut brutalement, arrêtée, quelques jours avant qu’il ne le fût lui-même sont magnifiquement mis en scène par l’auteur dans le dernier tiers de cet ouvrage.
L’une des questions qui est posée est celle du sens de l’engagement et des limites à ce que l’on est autorisé ou non de faire. La réponse donnée ici est que face au terrorisme militaire il n’y avait pas d’autre réponse que celui du terrorisme résistant. Une façon sans doute de nous donner à voir ce qui se passe aussi en Irak ou en Afghanistan…
Publié chez Gallimard – 204 pages
10.11.07
Le paradis des poules – Dan Lungu
Parfois, un titre sait vous accrocher et est en soi une promesse alléchante. C’est le cas de ce truculent roman roumain de Dan Lungu.
Il y a un côté « Trois hommes dans un bateau » dans l’annonce de chacun des chapitres où l’auteur résume ce qui va se dérouler de façon assez iconoclaste et décalée. Il y a aussi et beaucoup de « Chat noir, chat blanc » de son compatriote Emir Kusturica. C’est dire le compliment !
En effet, on y retrouve une galerie de personnages improbables et hauts en couleur, au verbe d’autant plus efficace qu’ils sont imbibés par l’eau de vie du patron que les mâles de la rue des Acacias, où se déroule l’action, consomment sitôt la pension arrivée.
Ce bistrot plus ou moins improvisé, que l’un des habitués a surnommé avec imagination le « Tracteur chiffonné », est l’endroit où l’on devise, entre gentils poivrots, de la difficulté d’avoir vécu l’époque communiste de Ceaucescu puis celle de vivre après la révolution, une fois « le criblé de balles » liquidé et l’économie artificielle dézinguée. On y refait le monde, sans illusion et sans volonté de s’impliquer.
Cette rue est un condensé d’humanité, celle des petites gens, des retraités et des chômeurs. On y survit comme on peut, chacun élevant ses poules pour agrémenter l’ordinaire de quelques oeufs. On s’y surveille, sans penser à mal et on s’y serre les coudes lorsque le communisme bureaucratique décide de tout raser. Mais, régime oblige, les travaux s’arrêteront avant que d’avoir tout détruit…
Dan Lungu manie avec brio et force une langue de comptoirs où l’humour roumain, fait d’autodérision, d’images et de périphrases qui en disent plus longs que des discours, s’en donne à cœur-joie. Le chapitre sept est un summum du délire alcoolique mais tout à la fois une prémonition de ce que l’incurie d’une entreprise publique va engendrer comme dérèglement sur les vers de terre d’une parcelle d’un des habitués du bistrot. C’est dire…
Les femmes y sont cantonnées aux rôles domestiques et se refilent les tuyaux pour déceler chez leurs hommes les signes d’une alcoolémie certaine, annonciatrice souvent de coups et d’insultes.
Bref, on y retrouve ce foutoir délirant, cette verve, ce machisme ridicule qui font la force des films de Kusturica et celle de ce superbe roman. On y rit souvent à haute voix malgré la tragédie, bien réelle, que vivent ces pauvres bougres, victimes du communisme et laissés pour compte de l’ère post-révolution.
Un livre réjouissant, drôle, inventif, décalé et pour voir, par le petit bout de la lorgnette, une partie de la Roumanie contemporaine.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 223 pages
Il y a un côté « Trois hommes dans un bateau » dans l’annonce de chacun des chapitres où l’auteur résume ce qui va se dérouler de façon assez iconoclaste et décalée. Il y a aussi et beaucoup de « Chat noir, chat blanc » de son compatriote Emir Kusturica. C’est dire le compliment !
En effet, on y retrouve une galerie de personnages improbables et hauts en couleur, au verbe d’autant plus efficace qu’ils sont imbibés par l’eau de vie du patron que les mâles de la rue des Acacias, où se déroule l’action, consomment sitôt la pension arrivée.
Ce bistrot plus ou moins improvisé, que l’un des habitués a surnommé avec imagination le « Tracteur chiffonné », est l’endroit où l’on devise, entre gentils poivrots, de la difficulté d’avoir vécu l’époque communiste de Ceaucescu puis celle de vivre après la révolution, une fois « le criblé de balles » liquidé et l’économie artificielle dézinguée. On y refait le monde, sans illusion et sans volonté de s’impliquer.
Cette rue est un condensé d’humanité, celle des petites gens, des retraités et des chômeurs. On y survit comme on peut, chacun élevant ses poules pour agrémenter l’ordinaire de quelques oeufs. On s’y surveille, sans penser à mal et on s’y serre les coudes lorsque le communisme bureaucratique décide de tout raser. Mais, régime oblige, les travaux s’arrêteront avant que d’avoir tout détruit…
Dan Lungu manie avec brio et force une langue de comptoirs où l’humour roumain, fait d’autodérision, d’images et de périphrases qui en disent plus longs que des discours, s’en donne à cœur-joie. Le chapitre sept est un summum du délire alcoolique mais tout à la fois une prémonition de ce que l’incurie d’une entreprise publique va engendrer comme dérèglement sur les vers de terre d’une parcelle d’un des habitués du bistrot. C’est dire…
Les femmes y sont cantonnées aux rôles domestiques et se refilent les tuyaux pour déceler chez leurs hommes les signes d’une alcoolémie certaine, annonciatrice souvent de coups et d’insultes.
Bref, on y retrouve ce foutoir délirant, cette verve, ce machisme ridicule qui font la force des films de Kusturica et celle de ce superbe roman. On y rit souvent à haute voix malgré la tragédie, bien réelle, que vivent ces pauvres bougres, victimes du communisme et laissés pour compte de l’ère post-révolution.
Un livre réjouissant, drôle, inventif, décalé et pour voir, par le petit bout de la lorgnette, une partie de la Roumanie contemporaine.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 223 pages
7.11.07
Hôtel Iris – Yôko Ogawa
Yôko Ogawa, née en 1962, fait partie de cette génération d’écrivains japonais qui sont en train de bousculer la littérature nippone.
C’est du rapport de la victime à son bourreau, de la perversité à l’état pur qu’il est question dans cet étonnant roman. Comme souvent dans la littérature japonaise, la violence physique et psychologique sont décrites dans toute leur crudité. On en trouvera de nombreux exemples dans les divers romans dont les notes de lecture sont disponibles dans Cetalir. C’est une constante visiblement de la culture japonaise.
Un soir, l’hôtel Iris, modeste établissement balnéaire japonais voit son calme troublé par des injures proférées par une prostituée. Un vieil homme semble avoir tenté de lui porter les plus extrêmes outrages. Il ne dit rien pour sa défense et ne prononce qu’une seule phrase sur un ton qui émeut au plus profond d’elle-même Mani, la jeune fille de dix-sept ans de la femme qui tient l’hôtel.
Par hasard, Mani va rencontrer quelque temps plus tard le vieil homme. Elle découvrira qu’il est traducteur russe et qu’il vit à l’écart sur une île quasi déserte. Séduite par une voix à laquelle elle ne sait résister, elle va accepter une correspondance de plus en plus appuyée, puis rendre visite au vieil homme.
Ce dernier a trouvé en Mani sa proie, son objet sexuel, le réceptacle de ses fantasmes et d’une violence qu’il a du mal à maîtriser. Il n’aura plus qu’à cueillir un fruit mûr, qu’à se repaître des jus défendus, certain de l’autorité qu’il exerce sur ce qui va devenir un objet adoré et maltraité.
Presque rien des pratiques brutales et dégradantes du vieil excentrique ne nous sera épargné, sans pour autant que le roman ne tombe jamais dans un côté vulgaire, voire vomitif.
Bien au contraire, Yôko Ogawa, use d’une langue dépouillée et sait nous captiver face à ce spectacle étonnant et répétitif qui met en jeu un dominant pervers et une victime consentante qui n’a pas même conscience du caractère insultant et dégradant des pratiques qu’elle subit. On assiste hébété à chacune des scènes et dévore d’une seule traite un roman qui vous happe, comme le vieil homme a su happer un corps jeune, malléable, docile et naïf.
C’est cette forme d’ensorcellement qui est fascinante et extraordinairement rendue par l’auteur. Pourquoi courir vers un abîme à chaque fois plus profond ? Quelle est la limite entre la souffrance et la jouissance et en quoi la violence et la dégradation sont-ils d’indispensables carburants à des amours coupables ?
Il y a un spectacle de l’araignée et de la mouche dans ce duo sordide et la mouche, étourdie de fulgurances, saoule et consentante contribue à rendre les liens et le piège de la toile toujours plus serrés.
Bien sûr, tout se terminera assez mal, la mort du bourreau ou de sa victime ne pouvant être que l’étape ultime d’une relation perverse qui ne connaît aucune limite.
A lire absolument bien qu’à ne pas laisser en d’innocentes mains.
Publié aux Editions Actes Sud – 238 pages
C’est du rapport de la victime à son bourreau, de la perversité à l’état pur qu’il est question dans cet étonnant roman. Comme souvent dans la littérature japonaise, la violence physique et psychologique sont décrites dans toute leur crudité. On en trouvera de nombreux exemples dans les divers romans dont les notes de lecture sont disponibles dans Cetalir. C’est une constante visiblement de la culture japonaise.
Un soir, l’hôtel Iris, modeste établissement balnéaire japonais voit son calme troublé par des injures proférées par une prostituée. Un vieil homme semble avoir tenté de lui porter les plus extrêmes outrages. Il ne dit rien pour sa défense et ne prononce qu’une seule phrase sur un ton qui émeut au plus profond d’elle-même Mani, la jeune fille de dix-sept ans de la femme qui tient l’hôtel.
Par hasard, Mani va rencontrer quelque temps plus tard le vieil homme. Elle découvrira qu’il est traducteur russe et qu’il vit à l’écart sur une île quasi déserte. Séduite par une voix à laquelle elle ne sait résister, elle va accepter une correspondance de plus en plus appuyée, puis rendre visite au vieil homme.
Ce dernier a trouvé en Mani sa proie, son objet sexuel, le réceptacle de ses fantasmes et d’une violence qu’il a du mal à maîtriser. Il n’aura plus qu’à cueillir un fruit mûr, qu’à se repaître des jus défendus, certain de l’autorité qu’il exerce sur ce qui va devenir un objet adoré et maltraité.
Presque rien des pratiques brutales et dégradantes du vieil excentrique ne nous sera épargné, sans pour autant que le roman ne tombe jamais dans un côté vulgaire, voire vomitif.
Bien au contraire, Yôko Ogawa, use d’une langue dépouillée et sait nous captiver face à ce spectacle étonnant et répétitif qui met en jeu un dominant pervers et une victime consentante qui n’a pas même conscience du caractère insultant et dégradant des pratiques qu’elle subit. On assiste hébété à chacune des scènes et dévore d’une seule traite un roman qui vous happe, comme le vieil homme a su happer un corps jeune, malléable, docile et naïf.
C’est cette forme d’ensorcellement qui est fascinante et extraordinairement rendue par l’auteur. Pourquoi courir vers un abîme à chaque fois plus profond ? Quelle est la limite entre la souffrance et la jouissance et en quoi la violence et la dégradation sont-ils d’indispensables carburants à des amours coupables ?
Il y a un spectacle de l’araignée et de la mouche dans ce duo sordide et la mouche, étourdie de fulgurances, saoule et consentante contribue à rendre les liens et le piège de la toile toujours plus serrés.
Bien sûr, tout se terminera assez mal, la mort du bourreau ou de sa victime ne pouvant être que l’étape ultime d’une relation perverse qui ne connaît aucune limite.
A lire absolument bien qu’à ne pas laisser en d’innocentes mains.
Publié aux Editions Actes Sud – 238 pages
27.10.07
De plus en plus de gens deviennent gauchers – Eugène Durif
Attiré par un titre racoleur, j’ai ouvert ce court recueil en m’apprêtant à y trouver un trésor inconnu.
Quelle ne fut pas ma déception de découvrir, tout d’abord, un recueil de nouvelles (et vous savez que ce n’est pas le genre littéraire que je privilégie), ensuite, des textes, pour moi en tout cas, parfaitement hermétiques.
Rien dans ces nouvelles pour la plupart très courtes n’a trouvé grâce à mes yeux. Ni la forme littéraire, inintéressante et manquant de la moindre originalité, ni le fond à l’exception de la première « A des signes infirmes » qui décrit assez bien la paranoïa qui s’empare d’un professeur des écoles, exilé loin de chez lui et qui subit la double tyrannie des antidépresseurs et de ses logeurs qui ont décidé de lui remettre la colonne vertébrale en place à l’aide d’une machine allemande infernale.
Le reste aurait carrément mérité de ne jamais être publié. C’est dire…
Publié chez Actes Sud – 117 pages
Quelle ne fut pas ma déception de découvrir, tout d’abord, un recueil de nouvelles (et vous savez que ce n’est pas le genre littéraire que je privilégie), ensuite, des textes, pour moi en tout cas, parfaitement hermétiques.
Rien dans ces nouvelles pour la plupart très courtes n’a trouvé grâce à mes yeux. Ni la forme littéraire, inintéressante et manquant de la moindre originalité, ni le fond à l’exception de la première « A des signes infirmes » qui décrit assez bien la paranoïa qui s’empare d’un professeur des écoles, exilé loin de chez lui et qui subit la double tyrannie des antidépresseurs et de ses logeurs qui ont décidé de lui remettre la colonne vertébrale en place à l’aide d’une machine allemande infernale.
Le reste aurait carrément mérité de ne jamais être publié. C’est dire…
Publié chez Actes Sud – 117 pages
20.10.07
Azarel - Karoly Pap
Karoly Pap est un auteur hongrois du début du XXeme siècle dont le roman « Azarel » fut publié en 1937.
Ce roman nous plonge au cœur de Prague, en plein quartier juif, au début du XXeme siècle.
Azarel est le dernier né d’une famille dont le père, lui-même septième et dernier enfant de Jeremy, est rabbin d’une communauté hassidique.
A la mort de la grand-mère paternelle, celle-ci fait promettre, sur la demande insistante et réitérée de Jeremy, de remettre Azarel à son grand-père pour qu’il l’éduque dans la plus pure tradition hébraïque. Azarel va ainsi passer les premières années, sitôt qu’il sait marcher, auprès de son grand-père, de plus en plus extrémiste dans sa foi et de plus en plus isolé du monde.
A la mort de Jeremy, Azarel va réintégrer une famille qui n’est plus tout à fait la sienne : il ne connaît ni son père, ni sa mère, ni ses frères et sœurs. Il lui faut ré-apprendre à vivre normalement et à se comporter de même.
Or, Azarel est un garçon intelligent mais espiègle et rebelle, sans doute en partie à cause de l’éducation qu’il a reçue de son grand-père. Il ne cesse de faire des bêtises et de créer de vives émotions à ses parents. Il teste avec sincérité les limites.
A l’âge de neuf ans, au moment où l’éducation religieuse devient prégnante, il va oser mettre en doute l’existence même de Dieu et provoquer ainsi l’ire de son père qui va le chasser de la maison.
Grâce à un dialogue in extremis intérieur entre Dieu et Azarel, tout finira par s’arranger…
J’avoue avoir eu du mal à entrer dans le roman. Les vingt premières pages sont en effet très axées sur des interprétations de la Torah mais prises du point de vue sans concessions de Jeremy. Il faut passer le cap car, ensuite, ce roman est un véritable enchantement.
Il dit le doute qui habite plus ou moins chacun de nous face à cette question fondamentale qu’est l’existence de Dieu et sa manifestation tangible. Comment croire quand la Vérité est celle des Livres ? Le point de vue étant celui d’un petit enfant, quoique très intelligent pour son âge, des questions aussi graves que la mise en adéquation de nos actes par rapport à nos croyances, l’expression que peut prendre l’amour familial, le rapport à l’argent sont ici abordées avec profondeur, intelligence et une petite dose d’humour.
On peut aussi bien lire ce roman pour ce qu’il est, in sui, que comme une allégorie sur ce à quoi nos vies devraient ressembler, selon le degré de notre foi et quelle que soit notre religion.
D’ailleurs, la part entre la réalité vécue par Azarel, une fois chassé de chez lui, le rêve et le délire n’est volontairement pas levée par Pap qui cherche ainsi à nous interroger sur nos propres convictions et la vérité de nos comportements.
Je ne saurai trop vous recommander ce roman méconnu et qui révèle une beauté d’âme.
Publié aux Editions Mercure de France – 232 pages
Ce roman nous plonge au cœur de Prague, en plein quartier juif, au début du XXeme siècle.
Azarel est le dernier né d’une famille dont le père, lui-même septième et dernier enfant de Jeremy, est rabbin d’une communauté hassidique.
A la mort de la grand-mère paternelle, celle-ci fait promettre, sur la demande insistante et réitérée de Jeremy, de remettre Azarel à son grand-père pour qu’il l’éduque dans la plus pure tradition hébraïque. Azarel va ainsi passer les premières années, sitôt qu’il sait marcher, auprès de son grand-père, de plus en plus extrémiste dans sa foi et de plus en plus isolé du monde.
A la mort de Jeremy, Azarel va réintégrer une famille qui n’est plus tout à fait la sienne : il ne connaît ni son père, ni sa mère, ni ses frères et sœurs. Il lui faut ré-apprendre à vivre normalement et à se comporter de même.
Or, Azarel est un garçon intelligent mais espiègle et rebelle, sans doute en partie à cause de l’éducation qu’il a reçue de son grand-père. Il ne cesse de faire des bêtises et de créer de vives émotions à ses parents. Il teste avec sincérité les limites.
A l’âge de neuf ans, au moment où l’éducation religieuse devient prégnante, il va oser mettre en doute l’existence même de Dieu et provoquer ainsi l’ire de son père qui va le chasser de la maison.
Grâce à un dialogue in extremis intérieur entre Dieu et Azarel, tout finira par s’arranger…
J’avoue avoir eu du mal à entrer dans le roman. Les vingt premières pages sont en effet très axées sur des interprétations de la Torah mais prises du point de vue sans concessions de Jeremy. Il faut passer le cap car, ensuite, ce roman est un véritable enchantement.
Il dit le doute qui habite plus ou moins chacun de nous face à cette question fondamentale qu’est l’existence de Dieu et sa manifestation tangible. Comment croire quand la Vérité est celle des Livres ? Le point de vue étant celui d’un petit enfant, quoique très intelligent pour son âge, des questions aussi graves que la mise en adéquation de nos actes par rapport à nos croyances, l’expression que peut prendre l’amour familial, le rapport à l’argent sont ici abordées avec profondeur, intelligence et une petite dose d’humour.
On peut aussi bien lire ce roman pour ce qu’il est, in sui, que comme une allégorie sur ce à quoi nos vies devraient ressembler, selon le degré de notre foi et quelle que soit notre religion.
D’ailleurs, la part entre la réalité vécue par Azarel, une fois chassé de chez lui, le rêve et le délire n’est volontairement pas levée par Pap qui cherche ainsi à nous interroger sur nos propres convictions et la vérité de nos comportements.
Je ne saurai trop vous recommander ce roman méconnu et qui révèle une beauté d’âme.
Publié aux Editions Mercure de France – 232 pages
14.10.07
Volupté singulière – A.L. Kennedy
Il est certains textes dont la résonance ou le thème vous mettent particulièrement mal à l’aise. C’est le cas de ce roman de cette auteur écossaise contemporaine.
Helen est une femme une foyer qui dépérit. Elle s’est réfugiée en une croyance en Dieu, un peu légère mais sincère, pour la préserver de toute pensée pécheresse et pour mieux masquer le vide de sa vie.
Pour combler l’absence d’amour de son mari, violent et pervers, elle se met à cuisiner follement. Lors de diverses émissions radiophoniques ou télévisées, elle fait connaissance de la théorie du « Processus » mise au point par le Professeur Edward Gluck.
Cette théorie un rien fumeuse est censée rendre la joie à celles et ceux qui l’ont perdu. Helen décide de se rendre à une conférence de plusieurs jours que le Professeur donne à Stuttgart et lui écrit pour le prier de le rencontrer.
Une histoire d’amour va se construire, malgré eux, entre ces deux personnages que tout semble opposer. En fait, il va s’avérer qu’ils sont aussi affectivement déséquilibrés l’un que l’autre et qu’ils vont trouver en l’autre la personne qui va leur permettre de se reconstruire.
Là où le récit nous met mal à l’aise, c’est que le Professeur Gluck se révèle en fait être une sorte de pervers sexuel, obsédé par la pornographie et ne pouvant assouvir ses pulsions que face à des scènes, qui nous sont décrites, particulièrement crues. Ce sentiment glauque, parfaitement voulu par l’auteur, trouve un écho troublant et bouleversant dans la violence dont le mari d’Helen fera preuve envers son épouse et lui-même lorsqu’il pensera, à tort, que son épouse le trompe.
Le « Processus » se mettra alors en route, malgré eux, pour Helen et Edward jusqu’à une forme de rédemption totale l’un par l’autre, une fois les obstacles réels ou imaginaires, éliminés.
L’écriture est en cela originale que les dialogues sont souvent à peine amorcés : les phrases restent fréquemment suspendues comme si les protagonistes étaient incapables d’exprimer clairement leurs sentiments ou, de temps en temps, en avaient peur ainsi que de leurs conséquences. C’est souvent troublant, voire déroutant.
L’entrée dans le texte n’est pas immédiate et la lecture se doit d’être lente, à l’image de la vitesse à laquelle les personnages font des petits pas l’un vers l’autre, vers leurs destins.
Il en résulte un roman auquel il est impossible de rester insensible et qui peut provoquer un rejet, par dégoût. Ce serait dommage car A. L. Kennedy est certainement une femme littéraire qui compte parmi les écrivains britanniques actuels.
Publié aux Editions de l’Olivier – 237 pages
Helen est une femme une foyer qui dépérit. Elle s’est réfugiée en une croyance en Dieu, un peu légère mais sincère, pour la préserver de toute pensée pécheresse et pour mieux masquer le vide de sa vie.
Pour combler l’absence d’amour de son mari, violent et pervers, elle se met à cuisiner follement. Lors de diverses émissions radiophoniques ou télévisées, elle fait connaissance de la théorie du « Processus » mise au point par le Professeur Edward Gluck.
Cette théorie un rien fumeuse est censée rendre la joie à celles et ceux qui l’ont perdu. Helen décide de se rendre à une conférence de plusieurs jours que le Professeur donne à Stuttgart et lui écrit pour le prier de le rencontrer.
Une histoire d’amour va se construire, malgré eux, entre ces deux personnages que tout semble opposer. En fait, il va s’avérer qu’ils sont aussi affectivement déséquilibrés l’un que l’autre et qu’ils vont trouver en l’autre la personne qui va leur permettre de se reconstruire.
Là où le récit nous met mal à l’aise, c’est que le Professeur Gluck se révèle en fait être une sorte de pervers sexuel, obsédé par la pornographie et ne pouvant assouvir ses pulsions que face à des scènes, qui nous sont décrites, particulièrement crues. Ce sentiment glauque, parfaitement voulu par l’auteur, trouve un écho troublant et bouleversant dans la violence dont le mari d’Helen fera preuve envers son épouse et lui-même lorsqu’il pensera, à tort, que son épouse le trompe.
Le « Processus » se mettra alors en route, malgré eux, pour Helen et Edward jusqu’à une forme de rédemption totale l’un par l’autre, une fois les obstacles réels ou imaginaires, éliminés.
L’écriture est en cela originale que les dialogues sont souvent à peine amorcés : les phrases restent fréquemment suspendues comme si les protagonistes étaient incapables d’exprimer clairement leurs sentiments ou, de temps en temps, en avaient peur ainsi que de leurs conséquences. C’est souvent troublant, voire déroutant.
L’entrée dans le texte n’est pas immédiate et la lecture se doit d’être lente, à l’image de la vitesse à laquelle les personnages font des petits pas l’un vers l’autre, vers leurs destins.
Il en résulte un roman auquel il est impossible de rester insensible et qui peut provoquer un rejet, par dégoût. Ce serait dommage car A. L. Kennedy est certainement une femme littéraire qui compte parmi les écrivains britanniques actuels.
Publié aux Editions de l’Olivier – 237 pages
6.10.07
Double vie – Pierre Assouline
D’un thème au départ banal, un adultère passionné entre une psychiatre et un spécialiste de l’art pariétal, Pierre Assouline parvient à tirer un roman assez flamboyant et dont la chute est un véritable régal d’invention…
Pourtant, la lecture de ce livre avait assez mal commencé : il faut dire qu’Assouline nous assomme de formules littéraires, certes brillantes et souvent acérées, et que leur accumulation rend la lecture des 80 premières pages peu naturelle et médiocrement plaisante. Il faut s’accrocher, car le livre vaut le détour.
En fait, Assouline devient carrément génial lorsque d’une part, il se départit d’un style trop travaillé, où le trop plein de formules journalistiques finit par déborder, pour laisser l’intrigue se dérouler sous une écriture aérée et simplifiée.
Alors, les quelques traits décochés sont mortels. La séquence du dîner en ville est à ce titre un morceau somptueux de bravoure littéraire où chaque formule fait mouche. On s’y croirait…
Assouline en profite pour régler ses comptes avec les notables, la grande bourgeoisie et sa mondanité, les avocats arrivistes et les multinationales qui ne pensent que profits. Rien de très original mais c’est brillamment exécuté. Les flèches stylistiques clouent chacun à un pilori définitif.
L’auteur sait aussi créer un climat quasi paranoïaque dans la tête du personnage principal, Remi Laredo (bon, là c’est carrément trop, de mauvais goût et surtout inutile, Mr Assouline !). Une paranoïa entretenue par un sentiment, fondé, de culpabilité et par la découverte progressive que nous sommes tous en permanence surveillés, écoutés, enregistrés et filmés. Y compris par nos amis. L’intimité devient un luxe dans nos sociétés hyper-technologiques et Assouline sait en jouer pour nous préparer au dénouement qui est un véritable coup de théâtre.
Au final, il en sort un livre sympathique, brillant, imaginatif, qui dépoussière l’éculée (sans jeu de mots) intrigue faite d’adultère. Plus de naturel aurait mieux mis en valeur certaines formules dignes d’être apprises par cœur, histoire, à son tour, de briller en ville !
Publié aux Editions Gallimard – 212 pages
Pourtant, la lecture de ce livre avait assez mal commencé : il faut dire qu’Assouline nous assomme de formules littéraires, certes brillantes et souvent acérées, et que leur accumulation rend la lecture des 80 premières pages peu naturelle et médiocrement plaisante. Il faut s’accrocher, car le livre vaut le détour.
En fait, Assouline devient carrément génial lorsque d’une part, il se départit d’un style trop travaillé, où le trop plein de formules journalistiques finit par déborder, pour laisser l’intrigue se dérouler sous une écriture aérée et simplifiée.
Alors, les quelques traits décochés sont mortels. La séquence du dîner en ville est à ce titre un morceau somptueux de bravoure littéraire où chaque formule fait mouche. On s’y croirait…
Assouline en profite pour régler ses comptes avec les notables, la grande bourgeoisie et sa mondanité, les avocats arrivistes et les multinationales qui ne pensent que profits. Rien de très original mais c’est brillamment exécuté. Les flèches stylistiques clouent chacun à un pilori définitif.
L’auteur sait aussi créer un climat quasi paranoïaque dans la tête du personnage principal, Remi Laredo (bon, là c’est carrément trop, de mauvais goût et surtout inutile, Mr Assouline !). Une paranoïa entretenue par un sentiment, fondé, de culpabilité et par la découverte progressive que nous sommes tous en permanence surveillés, écoutés, enregistrés et filmés. Y compris par nos amis. L’intimité devient un luxe dans nos sociétés hyper-technologiques et Assouline sait en jouer pour nous préparer au dénouement qui est un véritable coup de théâtre.
Au final, il en sort un livre sympathique, brillant, imaginatif, qui dépoussière l’éculée (sans jeu de mots) intrigue faite d’adultère. Plus de naturel aurait mieux mis en valeur certaines formules dignes d’être apprises par cœur, histoire, à son tour, de briller en ville !
Publié aux Editions Gallimard – 212 pages
29.9.07
Un réveillon mortel – Alice Thomas Ellis
Encore un réjouissant roman anglais contemporain bien décapant…
Eric est propriétaire d’un pub aux confins de l’Ecosse, paumé sur une île vaguement desservie par un ferry ou par un factotum alcoolique, Finlay, qui donne de temps en temps un coup de main à Eric.
Celui-ci, pour attirer des clients hors saison et refaire ses finances, fait passer une annonce dans divers magazines en vue londoniens. L’annonce invite les célibataires intéressés à passer Noël dans un endroit retiré du monde. Sa femme en profitera pour le plaquer au moment où les hôtes vont se présenter.
Cinq Londoniens répondent à l’appel.
Jessica, actrice en vue, reine des spots publicitaires et que son mec vient de plaquer. Jessica est vaguement dépressive et en proie à un doute métaphysique. Elle a su rester naturelle et simple malgré la gloire et cache plus oiu moins ses sentiments derrière une façade passe-partout.
Anita, chef de rayon papeterie dans une grande surface quelconque, vient également de rompre. C’est une fille peu sûre d’elle-même et qui ne rêve qu’à une chose : trouver l’homme de sa vie.
C’est sur Ronald, psychiatre, dépressif, introverti, qui ne supporte plus ses patients, qu’elle va jeter son dévolu. Ronald vient lui aussi de se faire larguer par sa femme et il n’arrive pas à assumer la solitude et les tâches ménagères. C’est aussi un obsédé du prochain repas, qui rythme des journées vides.
Il y a Harold, officier à la retraite, veuf et dont on apprendra que son fils s’est noyé au large de cette île. Lui aussi est dépressif, suicidaire et peuple une vie sans but par la réalisation d’une monographie sur le Général Gordon, héros oublié de Khartoum.
Enfin, Jon complète le quintette. C’est lui aussi un acteur qui a suivi Jessica à son insu et la poursuit obsessionnellement de ses assuidités. Jon est paranoïaque, menteur et totalement imprévisible. C’est un fou dangereux.
Le décor est alors en place pour laisser libre cours à une écriture à la fois drôle et féroce. Une écriture pour révéler les pensées intimes de chacun des personnages et les scenarii qu’ils élaborent dans leurs pauvres cerveaux pour s’accaparer ou rejeter l’un ou l’autre de ces célibataires avec lesquels il va bien falloir composer pendant trois jours.
L’auteur manie subtilement l’esprit de la terre, celui qui anime les quelques îliens dont le seul passe-temps consiste à s’abrutir d’alcool et à médire sur ses congénères et l’oppose à l’esprit de la mer qui apporte son lot de malheurs, de fantômes (nous sommes en Ecosse) et de violence.
De la violence, il y en a beaucoup dans ce roman jouissif et subtilement méchant. Elle est avant tout psychologique, intérieure et contenue derrière un inévitable flegme britannique. Toutefois, cela n’empêche pas la perfidie de percer aux détours de certaines répliques bien senties.
L’une des nombreuses réussites de ce récit tient dans ses dialogues où Alice Thomas Ellis superpose brillamment des répliques entre protagonistes. Le tout se traduit par des rapprochements improbables et des séquences à « la Cantatrice Chauve ».
Comme souvent avec ce genre de roman anglais, l’histoire se terminera mal. La fin est moins surprenante que dans « Le tyran Domestique » (blogué ici) mais elle réserve son lot de justice immanente.
A lire absolument si, comme moi, vous appréciez le genre !
Publié aux Editions de l’Olivier – 255 pages
Eric est propriétaire d’un pub aux confins de l’Ecosse, paumé sur une île vaguement desservie par un ferry ou par un factotum alcoolique, Finlay, qui donne de temps en temps un coup de main à Eric.
Celui-ci, pour attirer des clients hors saison et refaire ses finances, fait passer une annonce dans divers magazines en vue londoniens. L’annonce invite les célibataires intéressés à passer Noël dans un endroit retiré du monde. Sa femme en profitera pour le plaquer au moment où les hôtes vont se présenter.
Cinq Londoniens répondent à l’appel.
Jessica, actrice en vue, reine des spots publicitaires et que son mec vient de plaquer. Jessica est vaguement dépressive et en proie à un doute métaphysique. Elle a su rester naturelle et simple malgré la gloire et cache plus oiu moins ses sentiments derrière une façade passe-partout.
Anita, chef de rayon papeterie dans une grande surface quelconque, vient également de rompre. C’est une fille peu sûre d’elle-même et qui ne rêve qu’à une chose : trouver l’homme de sa vie.
C’est sur Ronald, psychiatre, dépressif, introverti, qui ne supporte plus ses patients, qu’elle va jeter son dévolu. Ronald vient lui aussi de se faire larguer par sa femme et il n’arrive pas à assumer la solitude et les tâches ménagères. C’est aussi un obsédé du prochain repas, qui rythme des journées vides.
Il y a Harold, officier à la retraite, veuf et dont on apprendra que son fils s’est noyé au large de cette île. Lui aussi est dépressif, suicidaire et peuple une vie sans but par la réalisation d’une monographie sur le Général Gordon, héros oublié de Khartoum.
Enfin, Jon complète le quintette. C’est lui aussi un acteur qui a suivi Jessica à son insu et la poursuit obsessionnellement de ses assuidités. Jon est paranoïaque, menteur et totalement imprévisible. C’est un fou dangereux.
Le décor est alors en place pour laisser libre cours à une écriture à la fois drôle et féroce. Une écriture pour révéler les pensées intimes de chacun des personnages et les scenarii qu’ils élaborent dans leurs pauvres cerveaux pour s’accaparer ou rejeter l’un ou l’autre de ces célibataires avec lesquels il va bien falloir composer pendant trois jours.
L’auteur manie subtilement l’esprit de la terre, celui qui anime les quelques îliens dont le seul passe-temps consiste à s’abrutir d’alcool et à médire sur ses congénères et l’oppose à l’esprit de la mer qui apporte son lot de malheurs, de fantômes (nous sommes en Ecosse) et de violence.
De la violence, il y en a beaucoup dans ce roman jouissif et subtilement méchant. Elle est avant tout psychologique, intérieure et contenue derrière un inévitable flegme britannique. Toutefois, cela n’empêche pas la perfidie de percer aux détours de certaines répliques bien senties.
L’une des nombreuses réussites de ce récit tient dans ses dialogues où Alice Thomas Ellis superpose brillamment des répliques entre protagonistes. Le tout se traduit par des rapprochements improbables et des séquences à « la Cantatrice Chauve ».
Comme souvent avec ce genre de roman anglais, l’histoire se terminera mal. La fin est moins surprenante que dans « Le tyran Domestique » (blogué ici) mais elle réserve son lot de justice immanente.
A lire absolument si, comme moi, vous appréciez le genre !
Publié aux Editions de l’Olivier – 255 pages
21.9.07
Partir – Tahar Ben Jelloum
« Partir » n’est certainement pas le meilleur roman de Tahar Ben Jelloum, écrivain contemporain d’expression francophone majeur et prolifique.
C’est cependant un livre attachant et douloureux, d’une brûlante actualité, et comme toujours avec Ben Jelloum, superbement écrit. Le titre provient de cette pulsion que tout marocain, surtout s’il est jeune et diplômé, ressent. Celle de quitter le pays faute de travail en « brûlant la mer » c’est-à-dire en s’embarquant, au péril de sa vie, pour rejoindre l’Espagne, promesse de vie meilleure et de boulots lucratifs.
Après s’y être essayé vainement, un frère et une sœur vont employer des moyens plus légaux pour y parvenir, jusqu’à y perdre totalement ou partiellement leur âme.
Le frère, beau comme un dieu et aimant les femmes, séduira malgré lui un riche Espagnol qui lui procurera le sésame, sous la forme d’un contrat de travail, pour émigrer. Mais le prix à payer est de devenir son amant. Or le jeune homme n’a aucun penchant homosexuel. Cette liaison va finir par le détruire psychologiquement, en le faisant douter de sa sexualité malgré deux maîtresses entretenues en parallèle, à la grande fureur de son maître et amant. Il finira certes par se faire éjecter de son rôle de gigolo mais en ayant perdu son âme, son honneur et en se vendant au diable pour survivre en tant que clandestin. C’est une fin tragique, dans l’anonymat et l’oubli, déraciné et exclu, qui l’attend au bout de l’aventure.
La sœur quant à elle épousera l’amant de son frère qui pour cela devra se convertir à l’Islam. Tahar Ben Jelloum en profite pour critiquer ouvertement le cynisme des religieux qui ferment ouvertement les yeux sur une conversion d’autant moins sincère que le mariage ne sera pas consommé, le mari n’ayant cure d’une femme. Le mariage finira par être dissout et l’ex-épouse par revenir au pays. Elle aura gagné la liberté d’une femme moderne émancipée mais restera décalée dans une société traditionnelle qui ne comprend par qu’une belle femme de trente ans ne soit pas mariée et mère de famille.
Car c’est la principale morale de ce douloureux roman : le salut n’est point dans ce désir de partir surtout lorsqu’il se réalise. C’est au Maroc que les marocains peuvent et doivent vivre. C’est là qu’ils y ont leurs racines, leur culture, leur tradition. C’est au pays de fabriquer les emplois, ce à quoi le petit royaume s’attaque fermement d’ailleurs depuis quelques années.
Fuir c’est mourir en sacrifiant ce que l’on est au plus profond de soi, en salissant ce que l’on a de plus sacré, en se confrontant à une culture occidentale qui corrompt. Pourtant, il n’y a point de militantisme de la part de l’auteur, ni de prosélytisme musulman. Un simple constat d’inéluctabilité.
Le livre est écrit un peu comme une polyphonie en prenant le point de vue successif des principaux protagonistes au fur et à mesure que le roman progresse. Le fond commun est le désespoir et la déception. C’est « no future » pour ces paumés qui ne trouvent pas vraiment leur place dans une société qui ne fait que les tolérer et qui finira par les condamner, d’une manière ou d’une autre. Seule la mère, restée sur place et qui fait face, semble trouver grâce aux yeux de l’auteur. Un roman noir et qui donne à comprendre les tragiques destins de ces émigrés.
Publié aux Editions Gallimard – 267 pages
C’est cependant un livre attachant et douloureux, d’une brûlante actualité, et comme toujours avec Ben Jelloum, superbement écrit. Le titre provient de cette pulsion que tout marocain, surtout s’il est jeune et diplômé, ressent. Celle de quitter le pays faute de travail en « brûlant la mer » c’est-à-dire en s’embarquant, au péril de sa vie, pour rejoindre l’Espagne, promesse de vie meilleure et de boulots lucratifs.
Après s’y être essayé vainement, un frère et une sœur vont employer des moyens plus légaux pour y parvenir, jusqu’à y perdre totalement ou partiellement leur âme.
Le frère, beau comme un dieu et aimant les femmes, séduira malgré lui un riche Espagnol qui lui procurera le sésame, sous la forme d’un contrat de travail, pour émigrer. Mais le prix à payer est de devenir son amant. Or le jeune homme n’a aucun penchant homosexuel. Cette liaison va finir par le détruire psychologiquement, en le faisant douter de sa sexualité malgré deux maîtresses entretenues en parallèle, à la grande fureur de son maître et amant. Il finira certes par se faire éjecter de son rôle de gigolo mais en ayant perdu son âme, son honneur et en se vendant au diable pour survivre en tant que clandestin. C’est une fin tragique, dans l’anonymat et l’oubli, déraciné et exclu, qui l’attend au bout de l’aventure.
La sœur quant à elle épousera l’amant de son frère qui pour cela devra se convertir à l’Islam. Tahar Ben Jelloum en profite pour critiquer ouvertement le cynisme des religieux qui ferment ouvertement les yeux sur une conversion d’autant moins sincère que le mariage ne sera pas consommé, le mari n’ayant cure d’une femme. Le mariage finira par être dissout et l’ex-épouse par revenir au pays. Elle aura gagné la liberté d’une femme moderne émancipée mais restera décalée dans une société traditionnelle qui ne comprend par qu’une belle femme de trente ans ne soit pas mariée et mère de famille.
Car c’est la principale morale de ce douloureux roman : le salut n’est point dans ce désir de partir surtout lorsqu’il se réalise. C’est au Maroc que les marocains peuvent et doivent vivre. C’est là qu’ils y ont leurs racines, leur culture, leur tradition. C’est au pays de fabriquer les emplois, ce à quoi le petit royaume s’attaque fermement d’ailleurs depuis quelques années.
Fuir c’est mourir en sacrifiant ce que l’on est au plus profond de soi, en salissant ce que l’on a de plus sacré, en se confrontant à une culture occidentale qui corrompt. Pourtant, il n’y a point de militantisme de la part de l’auteur, ni de prosélytisme musulman. Un simple constat d’inéluctabilité.
Le livre est écrit un peu comme une polyphonie en prenant le point de vue successif des principaux protagonistes au fur et à mesure que le roman progresse. Le fond commun est le désespoir et la déception. C’est « no future » pour ces paumés qui ne trouvent pas vraiment leur place dans une société qui ne fait que les tolérer et qui finira par les condamner, d’une manière ou d’une autre. Seule la mère, restée sur place et qui fait face, semble trouver grâce aux yeux de l’auteur. Un roman noir et qui donne à comprendre les tragiques destins de ces émigrés.
Publié aux Editions Gallimard – 267 pages
16.9.07
Les voisins – Grigori Petrov
Par cette série de dix nouvelles , nous plongeons dans un univers fantasmagorique typiquement russe. Il y a du Gogol dans les personnages extravagants que met en scène Petrov.
Celui-ci réalise une savante déclinaison autour de thèmes omniprésents. Il y a perpétuelle confusion entre le royaume des vivants et des morts, les vivants côtoyant les défunts au détour d’un banquet, d’un rêve, d’une promenade ou de menus détails de la vie quotidienne. La roublardise est la règle pour survivre dans une Russie de fin de vingtième siècle où comme le proclame l’un des personnages « la réforme c’est quand on vole les pauvres pour donner aux riches ». Nous en avons dans ces nouvelles de nombreuses illustrations chacun y allant de sa combine pour escroquer sympathiquement son prochain. Le tout sur fond de fatalisme slave.
Bien sûr lorsque la police apparaît, tout d’abord on ne sait jamais s’il s’agit de prétendus hommes de loi. Dans tous les cas, cette police à son tour se comporte en oppresseur des faibles car il faut bien nourrir les hommes.
Alors le refuge c’est l’alcoolisme, celui qui brouille l’esprit, celui fait d’alcools frelatés et qui accélère la confusion des genres et permet de prendre pour réel ce qui n’est souvent que le pur produit de l’autosuggestion.
Petrov nous fait voyager avec talent à travers les âges. Souvent, ses personnages revivent des moments de l’histoire glorieuse des tsars, lorsque la Russie était encore un pays puissant et organisé. On y sent un petit goût de nostalgie ou, à tout le moins, de moquerie face à la gabegie actuelle. Le temps devient tellement distordu que l’on passe en l’espace d’une phrase d’une époque à une autre sans que ceci ne semble perturber outre mesure les personnages de ces étonnantes nouvelles. Nous visitons le moyen-âge, l’orthodoxie du mont Athos, la cour de Catherine II, les guerres Napoléoniennes et même les pyramides égyptiennes dans une farandole infernale. De toute façon, il y a presque toujours un improbable revenant, une réincarnation de l’autrefois qui vient attester de la réalité de scènes pourtant impossibles, sauf dans un livre débridé.
Car il ne faut chercher aucune logique. C’est avant tout l’imaginaire au pouvoir, celui qui permet de s’affranchir des contraintes quotidiennes où les morts sont souvent plus vivants et plus drôles que les vivants qui en bavent pour survivre. Un imaginaire où la cupidité mâtinée de stupidité amènent les pères à s’inventer des fils en lieu et place de leur descendance qu’ils renient sur une illumination ou une intuition, où les filles spolient leurs mères pour s’arroger l’héritage sans attendre le décès et où toute limite rationnelle est définitivement effacée.
Le style en est certes souvent brouillon et les nouvelles sont de qualités inégales. Mais l’écriture est prise à bras le corps et souvent secouée. Un écrivain russe mature (il est né en 1939) qui renouvelle le genre sur fond de tradition populaire.
Publié aux Editions Phébus – 260 pages
Celui-ci réalise une savante déclinaison autour de thèmes omniprésents. Il y a perpétuelle confusion entre le royaume des vivants et des morts, les vivants côtoyant les défunts au détour d’un banquet, d’un rêve, d’une promenade ou de menus détails de la vie quotidienne. La roublardise est la règle pour survivre dans une Russie de fin de vingtième siècle où comme le proclame l’un des personnages « la réforme c’est quand on vole les pauvres pour donner aux riches ». Nous en avons dans ces nouvelles de nombreuses illustrations chacun y allant de sa combine pour escroquer sympathiquement son prochain. Le tout sur fond de fatalisme slave.
Bien sûr lorsque la police apparaît, tout d’abord on ne sait jamais s’il s’agit de prétendus hommes de loi. Dans tous les cas, cette police à son tour se comporte en oppresseur des faibles car il faut bien nourrir les hommes.
Alors le refuge c’est l’alcoolisme, celui qui brouille l’esprit, celui fait d’alcools frelatés et qui accélère la confusion des genres et permet de prendre pour réel ce qui n’est souvent que le pur produit de l’autosuggestion.
Petrov nous fait voyager avec talent à travers les âges. Souvent, ses personnages revivent des moments de l’histoire glorieuse des tsars, lorsque la Russie était encore un pays puissant et organisé. On y sent un petit goût de nostalgie ou, à tout le moins, de moquerie face à la gabegie actuelle. Le temps devient tellement distordu que l’on passe en l’espace d’une phrase d’une époque à une autre sans que ceci ne semble perturber outre mesure les personnages de ces étonnantes nouvelles. Nous visitons le moyen-âge, l’orthodoxie du mont Athos, la cour de Catherine II, les guerres Napoléoniennes et même les pyramides égyptiennes dans une farandole infernale. De toute façon, il y a presque toujours un improbable revenant, une réincarnation de l’autrefois qui vient attester de la réalité de scènes pourtant impossibles, sauf dans un livre débridé.
Car il ne faut chercher aucune logique. C’est avant tout l’imaginaire au pouvoir, celui qui permet de s’affranchir des contraintes quotidiennes où les morts sont souvent plus vivants et plus drôles que les vivants qui en bavent pour survivre. Un imaginaire où la cupidité mâtinée de stupidité amènent les pères à s’inventer des fils en lieu et place de leur descendance qu’ils renient sur une illumination ou une intuition, où les filles spolient leurs mères pour s’arroger l’héritage sans attendre le décès et où toute limite rationnelle est définitivement effacée.
Le style en est certes souvent brouillon et les nouvelles sont de qualités inégales. Mais l’écriture est prise à bras le corps et souvent secouée. Un écrivain russe mature (il est né en 1939) qui renouvelle le genre sur fond de tradition populaire.
Publié aux Editions Phébus – 260 pages
8.9.07
Le Cerf Volant d’Or – Dezsö Kosztolanyi
Dezsö Kosztolanyi est considéré comme le romancier hongrois majeur du XXeme siècle. Une fois de plus, les Editions Viviane Hamy qui se sont spécialisées sur la publication d’auteurs d’Europe Centrale, nous donnent ici à découvrir ce roman jusqu’ici jamais traduit et publié en France.
Antal Novak est un professeur de mathématiques et de physique dans une petite ville du centre de la Hongrie. Il est respecté et craint de ses élèves du fait de son autorité naturelle et de son intégrité qui implique une certaine juste sévérité.
Novak est un homme dont la vie va s’effondrer au fur et à mesure de la progression de ce roman classique. Veuf et ayant élevé sa fille seul depuis son plus jeune âge, celle-ci va le trahir et s’enfuir avec l’un de ses élèves qu’elle épousera sans son consentement.
A l’épreuve du BAC, toute sa classe sera reçue sauf un élève, champion de course à pied, mais cancre avéré. Pourtant, tout aura été tenté avec bienveillance pour que Visli Liszner réussisse cette épreuve de maturité qui permet à la jeunesse hongroise de s’émanciper.
A partir de là, un engrenage fatal fait de jalousie, de honte, de stupidité va se mettre en route et altérer à jamais la vie jusqu’alors bien réglée de Novak.
C’est un peu un roman dans la tradition allemande où l’on prend le temps de décrire les personnages, de détailler les liens implicites et explicites entre eux. L’auteur met à profit un été brûlant et sec pour insister sur la lenteur du temps qui s’écoule, les doutes qui s’installent et l’intrigue qui page après page se met en place.
Un roman qui montre la limite du sacerdoce des enseignants en un temps que l’on situera en fin de XIX eme siècle et où les menaces mondiales vont fragiliser ce petit pays qu’est la Hongrie.
Il n’y a pas de grandes envolées lyriques et les actions qui se déroulent s’enchaînent de façon logique et presque prévisibles. C’est ce qui fait en grande partie le charme de cet ouvrage avec une fatalité slave, un destin prédéterminé que rien ne peut arrêter.
Dezsö Kosztolanyi a su parfaitement rendre l’ambiance de la petite et moyenne bourgeoisie dans une petite ville moyenne de la Hongrie. Personne n’en sort grandi, la médiocrité étant le plus petits dénominateur commun !
Un grand bravo à la traductrice pour ses notes et commentaires éclairants sur les jeux de mots intraduisibles et les nombreuses références qui émaillent l’ouvrage.
Publié aux Editions Viviane Hamy – 377 pages
Antal Novak est un professeur de mathématiques et de physique dans une petite ville du centre de la Hongrie. Il est respecté et craint de ses élèves du fait de son autorité naturelle et de son intégrité qui implique une certaine juste sévérité.
Novak est un homme dont la vie va s’effondrer au fur et à mesure de la progression de ce roman classique. Veuf et ayant élevé sa fille seul depuis son plus jeune âge, celle-ci va le trahir et s’enfuir avec l’un de ses élèves qu’elle épousera sans son consentement.
A l’épreuve du BAC, toute sa classe sera reçue sauf un élève, champion de course à pied, mais cancre avéré. Pourtant, tout aura été tenté avec bienveillance pour que Visli Liszner réussisse cette épreuve de maturité qui permet à la jeunesse hongroise de s’émanciper.
A partir de là, un engrenage fatal fait de jalousie, de honte, de stupidité va se mettre en route et altérer à jamais la vie jusqu’alors bien réglée de Novak.
C’est un peu un roman dans la tradition allemande où l’on prend le temps de décrire les personnages, de détailler les liens implicites et explicites entre eux. L’auteur met à profit un été brûlant et sec pour insister sur la lenteur du temps qui s’écoule, les doutes qui s’installent et l’intrigue qui page après page se met en place.
Un roman qui montre la limite du sacerdoce des enseignants en un temps que l’on situera en fin de XIX eme siècle et où les menaces mondiales vont fragiliser ce petit pays qu’est la Hongrie.
Il n’y a pas de grandes envolées lyriques et les actions qui se déroulent s’enchaînent de façon logique et presque prévisibles. C’est ce qui fait en grande partie le charme de cet ouvrage avec une fatalité slave, un destin prédéterminé que rien ne peut arrêter.
Dezsö Kosztolanyi a su parfaitement rendre l’ambiance de la petite et moyenne bourgeoisie dans une petite ville moyenne de la Hongrie. Personne n’en sort grandi, la médiocrité étant le plus petits dénominateur commun !
Un grand bravo à la traductrice pour ses notes et commentaires éclairants sur les jeux de mots intraduisibles et les nombreuses références qui émaillent l’ouvrage.
Publié aux Editions Viviane Hamy – 377 pages
1.9.07
La lucidité – José Saramago
Livre majeur d’un écrivain majeur, portugais et qui fut prix Nobel de littérature en 1998.
L’idée qui sert de trame à ce roman est originale : lors des élections municipales, les citoyens de la capitale (dont on déduira qu’il s’agit de Lisbonne) vont voter blanc à quatre-vingt-trois pour cent. Une crise politique sans précédent se déclenche qui va immédiatement pousser le pouvoir à vider la capitale de ses administrations, à l’encercler militairement, à en faire le blocus jusqu’à ce que la population cède et accepte de voter pour l’un quelconque des partis en place.
Comme les plans échafaudés par les politiques ne donnent pas les résultats escomptés et que la population fait preuve d’un incroyable civisme, un commissaire est ensuite envoyé sur place pour fabriquer toute preuve susceptible de rendre coupable de cette rébellion douce la seule femme qui n’aura pas été aveugle quatre ans auparavant lors d’une mystérieuse épidémie qui aura aveuglé et paralysé le pays. Saramago fait ici référence à cet autre ouvrage majeur qu’est « l’Aveuglement » et dont il nous paraît indispensable que le lecteur l’ait lu avant d’aborder « La lucidité ».
Bientôt le commissaire, jusqu’ici loyal et dévoué, sera rattrappé par le sens moral et les doutes sur la mission injuste et infondée qui lui est assignée.
Au plan stylistique, Saramago a subdivisé son ouvrage en deux parties bien distinctes. La première, qui couvre en gros les deux premiers tiers du roman, repose sur une juxtaposition de phrases accolées les unes aux autres, usant d’un minimum de ponctuation et dont la longueur peut aisément être de plusieurs pages. On y suit les variations subtiles, les hésitations du pouvoir, les lents glissements qui progressivement vont installer une paisible démocratie dans un régime de quasi terreur policière. L’analyse est brillante d’autant plus que Saramago fait preuve d’une distanciation humoristique décapante, un peu à la façon d’un Jorge Amado.
La deuxième partie est de facture plus classique : nous y retrouvons des phrases ponctuées et de longueur normale, bien que les rares dialogues soient systématiquement fondues dans la masse afin de souligner leur caractère fondamental dans la construction du puzzle fatal qui se met, pièce après pièce, en place. L’humour y est moins présent car le cynisme politique est à l’œuvre : il n’est plus temps d’en rire mais de savoir s’en préserver si cela est encore possible…
L’œuvre est fascinante et nous démontre, avec saisissement, en quoi nos démocraties sont fragiles et peuvent basculer, du jour au lendemain, dans un monde totalitaire et arbitraire. Un roman qui fait froid dans le dos et nous invite à réfléchir à nos responsabilités politiques, démocratiques et électorales.
Publié aux Editions du Seuil – 355 pages
L’idée qui sert de trame à ce roman est originale : lors des élections municipales, les citoyens de la capitale (dont on déduira qu’il s’agit de Lisbonne) vont voter blanc à quatre-vingt-trois pour cent. Une crise politique sans précédent se déclenche qui va immédiatement pousser le pouvoir à vider la capitale de ses administrations, à l’encercler militairement, à en faire le blocus jusqu’à ce que la population cède et accepte de voter pour l’un quelconque des partis en place.
Comme les plans échafaudés par les politiques ne donnent pas les résultats escomptés et que la population fait preuve d’un incroyable civisme, un commissaire est ensuite envoyé sur place pour fabriquer toute preuve susceptible de rendre coupable de cette rébellion douce la seule femme qui n’aura pas été aveugle quatre ans auparavant lors d’une mystérieuse épidémie qui aura aveuglé et paralysé le pays. Saramago fait ici référence à cet autre ouvrage majeur qu’est « l’Aveuglement » et dont il nous paraît indispensable que le lecteur l’ait lu avant d’aborder « La lucidité ».
Bientôt le commissaire, jusqu’ici loyal et dévoué, sera rattrappé par le sens moral et les doutes sur la mission injuste et infondée qui lui est assignée.
Au plan stylistique, Saramago a subdivisé son ouvrage en deux parties bien distinctes. La première, qui couvre en gros les deux premiers tiers du roman, repose sur une juxtaposition de phrases accolées les unes aux autres, usant d’un minimum de ponctuation et dont la longueur peut aisément être de plusieurs pages. On y suit les variations subtiles, les hésitations du pouvoir, les lents glissements qui progressivement vont installer une paisible démocratie dans un régime de quasi terreur policière. L’analyse est brillante d’autant plus que Saramago fait preuve d’une distanciation humoristique décapante, un peu à la façon d’un Jorge Amado.
La deuxième partie est de facture plus classique : nous y retrouvons des phrases ponctuées et de longueur normale, bien que les rares dialogues soient systématiquement fondues dans la masse afin de souligner leur caractère fondamental dans la construction du puzzle fatal qui se met, pièce après pièce, en place. L’humour y est moins présent car le cynisme politique est à l’œuvre : il n’est plus temps d’en rire mais de savoir s’en préserver si cela est encore possible…
L’œuvre est fascinante et nous démontre, avec saisissement, en quoi nos démocraties sont fragiles et peuvent basculer, du jour au lendemain, dans un monde totalitaire et arbitraire. Un roman qui fait froid dans le dos et nous invite à réfléchir à nos responsabilités politiques, démocratiques et électorales.
Publié aux Editions du Seuil – 355 pages
24.8.07
Et il y eut un matin – Sayed Kashua
Un de mes plus grands plaisirs, depuis que je me suis lancé dans l’aventure de Cetalir, est la découverte de jeunes talents fort peu connus en nos contrées.
En voici un nouvel exemple en la personne de Sayed Kashua, jeune journaliste arabe et critique de cinéma pour un journal de Tel Aviv.
« Et il y eut un matin » nous conte la difficulté d’être arabe en territoire occupé, de dépendre de tout pour les Israéliens, de travailler comme arabe pour des employeurs juifs. Une économie de survie permanente où quand on vous fait l’aumône d’un boulot, il vous faut tout accepter, y compris et surtout, la discrimination négative pour paraphraser nos politiques locaux, celle qui apporte son lot permanent d’humiliation, de frustration.
C’est aussi un beau roman pour comprendre comment l’économie palestinienne dépend étroitement des juifs d’Israël qui en contrôle l’approvisionnement en eau, en électricité, en essence, en nourriture ainsi que les banques… C’est aussi une fiction pour imaginer une paix, ardemment souhaitée mais hautement improbable, entre les ennemis jurés de la région et réaliser une belle étude sociologique sur les comportements entre arabes en situation de blocus militaire, dans un village assiégé par Tsahal et où la moindre tentative interprétée comme une volonté de fuir est immédiatement sanctionnée par un tir meurtrier sans sommation.
Sayed Kashua nous dépeint avec un indéniable talent ce soleil de plomb qui assomme le village, les techniques de survie quand plus rien ne fonctionne et que la haine, attisée par la jalousie, la soif et la faim, s’empare de ses voisins jusqu’à les pousser à vous vandaliser.
C’est aussi une magnifique interrogation introspective sur le comportement à adopter en tant qu’homme, que mari, que journaliste quand on est un arabe talentueux et intelligent, qu’il n’y a pas de travail en Palestine et que seule l’intégration a minima dans la société hébraïque offre une forme de perspective.
Sans doute est-ce le prix à payer, conjugué à tous les temps, pour qu’à la fin « il y eut un matin », celui de la réconciliation et de la vie en bon voisinage.
Un livre indispensable à tout honnête homme qui veut comprendre plus de l’intérieur ce qui se passe à cinq heures de vol de chez nous.
Publié aux Editions de l’olivier – 281 pages
En voici un nouvel exemple en la personne de Sayed Kashua, jeune journaliste arabe et critique de cinéma pour un journal de Tel Aviv.
« Et il y eut un matin » nous conte la difficulté d’être arabe en territoire occupé, de dépendre de tout pour les Israéliens, de travailler comme arabe pour des employeurs juifs. Une économie de survie permanente où quand on vous fait l’aumône d’un boulot, il vous faut tout accepter, y compris et surtout, la discrimination négative pour paraphraser nos politiques locaux, celle qui apporte son lot permanent d’humiliation, de frustration.
C’est aussi un beau roman pour comprendre comment l’économie palestinienne dépend étroitement des juifs d’Israël qui en contrôle l’approvisionnement en eau, en électricité, en essence, en nourriture ainsi que les banques… C’est aussi une fiction pour imaginer une paix, ardemment souhaitée mais hautement improbable, entre les ennemis jurés de la région et réaliser une belle étude sociologique sur les comportements entre arabes en situation de blocus militaire, dans un village assiégé par Tsahal et où la moindre tentative interprétée comme une volonté de fuir est immédiatement sanctionnée par un tir meurtrier sans sommation.
Sayed Kashua nous dépeint avec un indéniable talent ce soleil de plomb qui assomme le village, les techniques de survie quand plus rien ne fonctionne et que la haine, attisée par la jalousie, la soif et la faim, s’empare de ses voisins jusqu’à les pousser à vous vandaliser.
C’est aussi une magnifique interrogation introspective sur le comportement à adopter en tant qu’homme, que mari, que journaliste quand on est un arabe talentueux et intelligent, qu’il n’y a pas de travail en Palestine et que seule l’intégration a minima dans la société hébraïque offre une forme de perspective.
Sans doute est-ce le prix à payer, conjugué à tous les temps, pour qu’à la fin « il y eut un matin », celui de la réconciliation et de la vie en bon voisinage.
Un livre indispensable à tout honnête homme qui veut comprendre plus de l’intérieur ce qui se passe à cinq heures de vol de chez nous.
Publié aux Editions de l’olivier – 281 pages
17.8.07
Trahison – Charles Dupechez
Charles Dupêchez s’était jusqu’ici fait connaître par des publications historiques particulièrement bien documentées.
Passer de l’hagiographie au roman est un exercice délicat dont on ne peut malheureusement pas dire qu’il soit ici réussi.
Derrière une écriture soignée mais parfaitement convenue, sans aucun charme, manquant d’allant et de verve et où les meilleurs passages sont ceux où Dupêchez fait démonstration de sa culture historique, l’auteur commet une intrigue cousue de fil blanc et à la fin prédictible largement à l’avance.
Un jeune adolescent, surdoué et premier de sa classe, s’éveille à la vie lentement. Le contact avec les camarades de sa classe est laborieux. Il découvre peu à peu des parents qui s’entredéchirent, un père dont l’absence se prolonge, une amitié avec un garçon de sa classe qui ne résistera pas aux vacances d’été où il se frottera aux premiers émois amoureux et à l’attitude d’une fille provocante mais qui le laissera tomber face à son incapacité à savoir embrasser. Le style sait au moins rendre la difficulté du temps à passer, perdu dans un trou le temps d’insupportables vacances d’été.
Bref, des scènes déjà largement décrites et avec une plume nettement plus audacieuse que celle de Dupêchez. La comparaison est peu flatteuse pour l’auteur face aux classiques…
Ce roman un peu laborieux, mais qui a le mérite d’être court, tire son titre d’une double trahison : celle de sa mère et celle d’une amitié avec le fils unique des amis des parents. Mais taisons-nous, avant de dévoiler la chute qu’avec bien peu d’imagination vous aurez trouvée par vous-même à la simple lecture de ce qui précède.
Publié aux Editions Grasset – 208 pages
Passer de l’hagiographie au roman est un exercice délicat dont on ne peut malheureusement pas dire qu’il soit ici réussi.
Derrière une écriture soignée mais parfaitement convenue, sans aucun charme, manquant d’allant et de verve et où les meilleurs passages sont ceux où Dupêchez fait démonstration de sa culture historique, l’auteur commet une intrigue cousue de fil blanc et à la fin prédictible largement à l’avance.
Un jeune adolescent, surdoué et premier de sa classe, s’éveille à la vie lentement. Le contact avec les camarades de sa classe est laborieux. Il découvre peu à peu des parents qui s’entredéchirent, un père dont l’absence se prolonge, une amitié avec un garçon de sa classe qui ne résistera pas aux vacances d’été où il se frottera aux premiers émois amoureux et à l’attitude d’une fille provocante mais qui le laissera tomber face à son incapacité à savoir embrasser. Le style sait au moins rendre la difficulté du temps à passer, perdu dans un trou le temps d’insupportables vacances d’été.
Bref, des scènes déjà largement décrites et avec une plume nettement plus audacieuse que celle de Dupêchez. La comparaison est peu flatteuse pour l’auteur face aux classiques…
Ce roman un peu laborieux, mais qui a le mérite d’être court, tire son titre d’une double trahison : celle de sa mère et celle d’une amitié avec le fils unique des amis des parents. Mais taisons-nous, avant de dévoiler la chute qu’avec bien peu d’imagination vous aurez trouvée par vous-même à la simple lecture de ce qui précède.
Publié aux Editions Grasset – 208 pages
13.8.07
La forteresse – Robert Hasz
Il y a du Buzzati, du Borges dans ce fascinant et superbe roman de Robert Hasz, écrivain contemporain d’origine yougoslave.
Maxim Livius est un jeune homme un peu nonchalant, partagé entre l’amour de deux sœurs, perdu dans un village écrasé l’été par le soleil, l’hiver par la neige. Pour éviter d’être confronté à de multiples choix personnels, il se fait appeler par l’armée au moment où l’ex-Yougoslavie commence à donner d’évidents signes de craquements et de guerre civile.
A deux semaines de sa libération, le voici muté sans explication et pour une durée illimitée dans une citadelle moyenâgeuse, perdue au milieu du désert.
Au sein de la Forteresse, la vie prend une autre tournure : le temps n’a plus la même consistance, le présent se confond avec le passé qui surgit sans prendre gare et que l’on peut réinventer et matérialiser.
C’est à partir de cet argument que Hasz va nous livrer un extraordinaire roman au souffle majestueux. Une galerie de personnages truculents et inhabituels va se charger de nous plonger au sein d’une dimension parallèle : un colonel désabusé mais habité par l’Ordre, celui de défendre la colline à tout prix contre un ennemi invisible et une attaque improbable ; un cuisinier habité par le mysticisme et qui voit Dieu exaucer ses commandes au service d’une cuisine elle-même divine ; un magasinier qui loin de remettre les uniformes indispensables, marchande tout, pour le plaisir, en échange de services à inventer…
Nous n’avons aucune idée, jusqu’à la dernière page, de là où l’auteur veut nous mener. Qui manipule qui ? Qu’est-ce qui est du réel et de l’imaginaire ? Qui est derrière cette mascarade militaire dans cette forteresse abandonnée des hommes ? Pourquoi tant d’évènements inexplicables ? Comment se forme cette paranoïa ambiante qui fait croire aux hommes qu’ils sont l’objet d’une gigantesque expérience extra-terrestre ?
On nous laisse voir des pistes qui se referment bientôt pour mieux nous happer. Le truc est classique mais fonctionne toujours aussi bien, surtout quand il est manié avec un tel talent.
Hasz sait nous faire imperceptiblement glisser entre le présent réel et le passé réinventé comme si cette forteresse était un lieu de purification, un creuset permettant à ceux qui y échouent de se débarrasser du superflu, d’y voir clair en eux. Les personnages oscillent sans arrêt entre une réalité objective absurde dans un monde militaire sans commandement, sans règles immanentes, sans buts, sans temps, sans armes ,à la nourriture et la boisson pour ainsi dire infinies et à laquelle il faut bien tenter une explication rationnelle, et la tentation de la folie prenant la forme d’une douce rêverie qui envoûte les habitants infortunés.
Pour couronner le tout, la fin est franchement décalée et constitue un superbe clin d’œil à ce qui fit la force et la limite de l’ancien régime qui eut au moins le mérite de maintenir ensemble des peuples qui ne pensaient à s’entre-déchirer.
Un vrai régal qu’une fois commencé, vous ne pourrez plus lâcher !
Publié aux Editions Viviane Hamy – 252 pages
Maxim Livius est un jeune homme un peu nonchalant, partagé entre l’amour de deux sœurs, perdu dans un village écrasé l’été par le soleil, l’hiver par la neige. Pour éviter d’être confronté à de multiples choix personnels, il se fait appeler par l’armée au moment où l’ex-Yougoslavie commence à donner d’évidents signes de craquements et de guerre civile.
A deux semaines de sa libération, le voici muté sans explication et pour une durée illimitée dans une citadelle moyenâgeuse, perdue au milieu du désert.
Au sein de la Forteresse, la vie prend une autre tournure : le temps n’a plus la même consistance, le présent se confond avec le passé qui surgit sans prendre gare et que l’on peut réinventer et matérialiser.
C’est à partir de cet argument que Hasz va nous livrer un extraordinaire roman au souffle majestueux. Une galerie de personnages truculents et inhabituels va se charger de nous plonger au sein d’une dimension parallèle : un colonel désabusé mais habité par l’Ordre, celui de défendre la colline à tout prix contre un ennemi invisible et une attaque improbable ; un cuisinier habité par le mysticisme et qui voit Dieu exaucer ses commandes au service d’une cuisine elle-même divine ; un magasinier qui loin de remettre les uniformes indispensables, marchande tout, pour le plaisir, en échange de services à inventer…
Nous n’avons aucune idée, jusqu’à la dernière page, de là où l’auteur veut nous mener. Qui manipule qui ? Qu’est-ce qui est du réel et de l’imaginaire ? Qui est derrière cette mascarade militaire dans cette forteresse abandonnée des hommes ? Pourquoi tant d’évènements inexplicables ? Comment se forme cette paranoïa ambiante qui fait croire aux hommes qu’ils sont l’objet d’une gigantesque expérience extra-terrestre ?
On nous laisse voir des pistes qui se referment bientôt pour mieux nous happer. Le truc est classique mais fonctionne toujours aussi bien, surtout quand il est manié avec un tel talent.
Hasz sait nous faire imperceptiblement glisser entre le présent réel et le passé réinventé comme si cette forteresse était un lieu de purification, un creuset permettant à ceux qui y échouent de se débarrasser du superflu, d’y voir clair en eux. Les personnages oscillent sans arrêt entre une réalité objective absurde dans un monde militaire sans commandement, sans règles immanentes, sans buts, sans temps, sans armes ,à la nourriture et la boisson pour ainsi dire infinies et à laquelle il faut bien tenter une explication rationnelle, et la tentation de la folie prenant la forme d’une douce rêverie qui envoûte les habitants infortunés.
Pour couronner le tout, la fin est franchement décalée et constitue un superbe clin d’œil à ce qui fit la force et la limite de l’ancien régime qui eut au moins le mérite de maintenir ensemble des peuples qui ne pensaient à s’entre-déchirer.
Un vrai régal qu’une fois commencé, vous ne pourrez plus lâcher !
Publié aux Editions Viviane Hamy – 252 pages
Le magicien (ou l’ultime voyage initiatique) – Rezvani
Voilà un roman aux très nombreuses et réjouissantes facettes : à la fois roman policier, sur fond d’intrigues et de disparitions mystérieuses, roman philosophique et ésotérique qui n’est pas sans rappeler Umberto Eco, roman de science-fiction nous projetant à quelques décennies de notre époque en un monde dominé par une Chine technologique, esthétique et démocratique.
Un bien curieux mélange qui aurait pu mal tourner si ce n’était l’exceptionnel talent de conteur poétique qu’est Rezvani.
Les magiciens du monde entier se retrouvent pour un colloque ésotérique et philosophique dont on sent que le fond vise à délimiter les contours artistiques, humanistes, sociologiques d’une magie poussé à une certaine forme divine. L’attraction du colloque est la présence du fils de Rezvani (tiens, tiens), magicien disparu, absolu et qui a poussé son art à un état inégalé.
Son fils n’a pas voulu reprendre le flambeau et perpétuer l’art de son père. Il est écrivain et a décidé de se joindre au colloque, qui se tient en une effroyable forteresse chinoise nommée Sin-Fou, afin de rassembler des éléments sur la vie de son père et de rédiger le roman de sa vie.
Bientôt, les magiciens les plus doués n’auront de cesse que de convaincre le Fils que les doutes dont il ne cesse de faire preuve vis-à-vis des preuves réitérées de la réalité magique évoquée sous de multiples formes originales voire totalitaires, dogmatiques, n’ont aucun fondement. Commencera alors pour le Fils une lente descente forcée, irrésistible, vers les degrés ultimes de la magie, celle où l’âme s’élève et visite l’envers du monde puis y affronte des dangers inconnus des hommes.
L’exercice est brillantissime. Rezvani nous emporte allégoriquement vers les confins de l’imaginaire et nous interpelle sur les limites entre la réalité du monde, la perception objective que nous pensons en avoir et la subjectivité de ce que nous désirons réellement voir, admettre et comprendre.
Où se situe notre perception objective du monde, qui croire lorsque l’Autre affirme nous avoir vu participer activement à des évènements extraordinaires dont nous n’avons aucun souvenir ? Quelle limite entre magie, religion et philosophie ? Qui détient le vrai pouvoir ? Ce sont autant de questions que Rezvani aborde, par la bande, dans cet ouvrage d’une rare originalité.
Notre sensibilité occidentale, marquée par l’observation des faits, une approche technique et scientifique de la réalité, est ici questionnée. Car la parole influe sur la réalité, le temps est un paramètre modifiable, à la marge, au-delà du mur de Planck. L’approche fondamentalement dictée par une recherche d’esthétique absolue n’est-elle pas une alternative acceptable ? Des ébauches de réponses, qu’il nous appartient de compléter ou d’abandonner, nous sont ici proposées.
Un roman particulièrement intelligent et dont chaque étape surprenante nous amène à nous interroger sur notre relation au monde. A ne pas lire d’un œil distrait, faute de manquer l’atmosphère, l’esprit et la lettre…
Publié aux Editions Actes Sud – 250 pages
Un bien curieux mélange qui aurait pu mal tourner si ce n’était l’exceptionnel talent de conteur poétique qu’est Rezvani.
Les magiciens du monde entier se retrouvent pour un colloque ésotérique et philosophique dont on sent que le fond vise à délimiter les contours artistiques, humanistes, sociologiques d’une magie poussé à une certaine forme divine. L’attraction du colloque est la présence du fils de Rezvani (tiens, tiens), magicien disparu, absolu et qui a poussé son art à un état inégalé.
Son fils n’a pas voulu reprendre le flambeau et perpétuer l’art de son père. Il est écrivain et a décidé de se joindre au colloque, qui se tient en une effroyable forteresse chinoise nommée Sin-Fou, afin de rassembler des éléments sur la vie de son père et de rédiger le roman de sa vie.
Bientôt, les magiciens les plus doués n’auront de cesse que de convaincre le Fils que les doutes dont il ne cesse de faire preuve vis-à-vis des preuves réitérées de la réalité magique évoquée sous de multiples formes originales voire totalitaires, dogmatiques, n’ont aucun fondement. Commencera alors pour le Fils une lente descente forcée, irrésistible, vers les degrés ultimes de la magie, celle où l’âme s’élève et visite l’envers du monde puis y affronte des dangers inconnus des hommes.
L’exercice est brillantissime. Rezvani nous emporte allégoriquement vers les confins de l’imaginaire et nous interpelle sur les limites entre la réalité du monde, la perception objective que nous pensons en avoir et la subjectivité de ce que nous désirons réellement voir, admettre et comprendre.
Où se situe notre perception objective du monde, qui croire lorsque l’Autre affirme nous avoir vu participer activement à des évènements extraordinaires dont nous n’avons aucun souvenir ? Quelle limite entre magie, religion et philosophie ? Qui détient le vrai pouvoir ? Ce sont autant de questions que Rezvani aborde, par la bande, dans cet ouvrage d’une rare originalité.
Notre sensibilité occidentale, marquée par l’observation des faits, une approche technique et scientifique de la réalité, est ici questionnée. Car la parole influe sur la réalité, le temps est un paramètre modifiable, à la marge, au-delà du mur de Planck. L’approche fondamentalement dictée par une recherche d’esthétique absolue n’est-elle pas une alternative acceptable ? Des ébauches de réponses, qu’il nous appartient de compléter ou d’abandonner, nous sont ici proposées.
Un roman particulièrement intelligent et dont chaque étape surprenante nous amène à nous interroger sur notre relation au monde. A ne pas lire d’un œil distrait, faute de manquer l’atmosphère, l’esprit et la lettre…
Publié aux Editions Actes Sud – 250 pages
26.7.07
La déchirure – Henry Bauchau
Henry Bauchau est un écrivain belge francophone que son pays a fréquemment récompensé. C’est avant tout un auteur de pièces de théâtre et de recueils de poèmes et qui s’essaye, régulièrement, à l’écriture de quelques romans.
La déchirure a été écrit entre 1960 et 1965 et traite des dernières journées et de l’agonie d’une vieille femme et de la façon dont son plus jeune fils vit, de l’intérieur, la préparation à un deuil inévitable.
L’écriture est dense, très travaillée. Les scènes d’enfance de celui qui assiste, dans tous les sens du terme, à l’agonie de sa mère, se déroulent sous forme de fash-backs pour aider à conserver la mémoire d’une mère qui fut aimée de son fils, même si cet amour ne fut pas toujours payé de retour.
Trois ou quatre générations sont ainsi brossées sans qu’il soit pourtant possible un seul instant de véritablement comprendre la composition de cette famille. En effet, le récit hésite perpétuellement entre le récit familial historique et l’album photo jauni des couleur sépia de son enfance.
Je dois avouer que je n’ai pas un seul instant accroché à ce récit. L’écriture manque terriblement de naturel, de clarté et de spontanéité. Les personnages sont assez confus et l’on éprouve le plus grand mal à faire le distingo entre la réalité et ce que l’esprit d’un enfant a pu inventer.
C’est vraisemblablement voulu de la part de Bauchau, mais le résultat est très décevant. Bref, malgré une langue riche et un style techniquement brillant, je me suis ennuyé ferme.
Un livre loin d’être indispensable donc…
Publié aux Editions Actes Sud – 252 pages
La déchirure a été écrit entre 1960 et 1965 et traite des dernières journées et de l’agonie d’une vieille femme et de la façon dont son plus jeune fils vit, de l’intérieur, la préparation à un deuil inévitable.
L’écriture est dense, très travaillée. Les scènes d’enfance de celui qui assiste, dans tous les sens du terme, à l’agonie de sa mère, se déroulent sous forme de fash-backs pour aider à conserver la mémoire d’une mère qui fut aimée de son fils, même si cet amour ne fut pas toujours payé de retour.
Trois ou quatre générations sont ainsi brossées sans qu’il soit pourtant possible un seul instant de véritablement comprendre la composition de cette famille. En effet, le récit hésite perpétuellement entre le récit familial historique et l’album photo jauni des couleur sépia de son enfance.
Je dois avouer que je n’ai pas un seul instant accroché à ce récit. L’écriture manque terriblement de naturel, de clarté et de spontanéité. Les personnages sont assez confus et l’on éprouve le plus grand mal à faire le distingo entre la réalité et ce que l’esprit d’un enfant a pu inventer.
C’est vraisemblablement voulu de la part de Bauchau, mais le résultat est très décevant. Bref, malgré une langue riche et un style techniquement brillant, je me suis ennuyé ferme.
Un livre loin d’être indispensable donc…
Publié aux Editions Actes Sud – 252 pages
19.7.07
La peau froide – Albert Sanchez Pinol
Amateurs de fantastique, de poétique, de bizarre et d’original, ce livre est pour vous.
Poussé pour une raison que nous ignorons à se retirer du monde, un jeune homme se fait enrôler comme climatologue maritime que l’on va débarquer aux confins de l’Antarctique, sur une île habitée seulement d’un gardien de phare.
La cohabitation entre ces deux hommes qui haïssent la société, chacun à leur façon, et ont choisi de la fuir, va se révéler difficile. Mais nécessité fait loi. Chaque nuit, une armée de lézards humanoïdes venus des profondeurs de la mer débarque en force sur l’île et met tout en œuvre pour mettre à bas les défenses des deux humains oubliés de tous, et tenter de les dévorer.
La force de ce récit romanesque, très inspiré des univers fantasmagoriques de Lovecraft, tient dans la puissance de son imaginaire. D’ailleurs, ces animaux ne sont-ils pas, dans une certaine mesure, l’expression incarnée des péchés ou des fantasmes de nos deux égarés ?
L’idée géniale de ce récit fascinant, à l’écriture puissante, tient aussi dans le fait que ces deux hommes ont fait une prisonnière parmi les assaillants. Cette femelle à la beauté fascinante, plus belle que bien des femmes européennes avouera le climatologue, leur sert d’esclave, de souffre-douleur et de défouloir sexuel. Un défouloir sublimant toutefois, la puissance de la jouissance éprouvée n’ayant pas son pareil parmi les humains.
Pour autant, le récit ne sombre à aucun moment dans la grivoiserie ou le mauvais goût, le narrateur – le climatologue – cherchant à comprendre la fascination, puis l’amour physique réel, qui va l’unir à cette créature qui n’appartient pourtant pas à son univers normal.
Pinol parvient avec talent à rendre l’angoisse de l’attente des attaques, leur férocité absolue, la folie qui peu à peu s’empare des deux hommes. Il nous trempe deux protagonistes aux caractères affirmés, violents tantôt physiquement, tantôt psychologiquement, envers leurs assaillants, certes, mais surtout envers eux-mêmes.
L’isolement sans possibilité de recours à la moindre aide externe sera le moyen pour chacun d’eux , selon ses possibilités, sa force et ses désirs, d’emprunter une voie rédemptrice.
Le meilleur compliment que l’on puisse faire à cet ouvrage est, qu’une fois ouvert, on ne peut plus le refermer, pris que l’on est par un univers si particulier et si extraordinairement fascinant. Décidément, il y a beaucoup de vrais talents parmi les écrivains espagnols contemporains !
Publié aux Editions Actes Sud – 262 pages
Poussé pour une raison que nous ignorons à se retirer du monde, un jeune homme se fait enrôler comme climatologue maritime que l’on va débarquer aux confins de l’Antarctique, sur une île habitée seulement d’un gardien de phare.
La cohabitation entre ces deux hommes qui haïssent la société, chacun à leur façon, et ont choisi de la fuir, va se révéler difficile. Mais nécessité fait loi. Chaque nuit, une armée de lézards humanoïdes venus des profondeurs de la mer débarque en force sur l’île et met tout en œuvre pour mettre à bas les défenses des deux humains oubliés de tous, et tenter de les dévorer.
La force de ce récit romanesque, très inspiré des univers fantasmagoriques de Lovecraft, tient dans la puissance de son imaginaire. D’ailleurs, ces animaux ne sont-ils pas, dans une certaine mesure, l’expression incarnée des péchés ou des fantasmes de nos deux égarés ?
L’idée géniale de ce récit fascinant, à l’écriture puissante, tient aussi dans le fait que ces deux hommes ont fait une prisonnière parmi les assaillants. Cette femelle à la beauté fascinante, plus belle que bien des femmes européennes avouera le climatologue, leur sert d’esclave, de souffre-douleur et de défouloir sexuel. Un défouloir sublimant toutefois, la puissance de la jouissance éprouvée n’ayant pas son pareil parmi les humains.
Pour autant, le récit ne sombre à aucun moment dans la grivoiserie ou le mauvais goût, le narrateur – le climatologue – cherchant à comprendre la fascination, puis l’amour physique réel, qui va l’unir à cette créature qui n’appartient pourtant pas à son univers normal.
Pinol parvient avec talent à rendre l’angoisse de l’attente des attaques, leur férocité absolue, la folie qui peu à peu s’empare des deux hommes. Il nous trempe deux protagonistes aux caractères affirmés, violents tantôt physiquement, tantôt psychologiquement, envers leurs assaillants, certes, mais surtout envers eux-mêmes.
L’isolement sans possibilité de recours à la moindre aide externe sera le moyen pour chacun d’eux , selon ses possibilités, sa force et ses désirs, d’emprunter une voie rédemptrice.
Le meilleur compliment que l’on puisse faire à cet ouvrage est, qu’une fois ouvert, on ne peut plus le refermer, pris que l’on est par un univers si particulier et si extraordinairement fascinant. Décidément, il y a beaucoup de vrais talents parmi les écrivains espagnols contemporains !
Publié aux Editions Actes Sud – 262 pages
13.7.07
Unica – Elise Fontenaille
Jolie surprise que ce roman pétillant et un brin insolent. Grâce à une plume alerte, à une écriture minimaliste et qui va droit au but, on entre immédiatement dans ce court roman aux allures policières. Tellement sympathique qu’une fois ouvert, on n’a plus envie de le lâcher.
L’auteur nous transporte à Vancouver où l’anti-héros typique, un brin calqué sur un patchwork de bandes-dessinées, Herb Charity, exerce le rôle difficile et stressant de cyber-flic pour la brigade criminelle en charge des affaires de pédophilie par internet.
Herb est un personnage décalé. Hacker de génie, il a réussi à coincer le procureur de Vancouver en se lançant à la traque de sa petite sœur disparue brutalement et réputée avoir été enlevée par de sinistres criminels de la toile.
Malheureusement pour lui, coincer le procureur c’était se frotter à plus fort que lui. Arrêté puis emprisonné, il n’aura d’autre choix pour recouvrer sa liberté que de coopérer avec la Crim cybernétique. Il y brillera rapidement jusqu’à y gagner le droit d’exercer comme inspecteur. Une réinsertion utile après tout.
La brigade semble composée de personnages aux vies douteuses, au passé flou et dont l’efficacité est confiée à une femme énigmatique et homosexuelle.
Au cours d’une enquête parmi d’autres, Herb va se trouver confronté à des cas cliniques inhabituels. D’impénitents pédophiles sont repérés par une bande de gamins qui se déplacent en skate à la vitesse de l’éclair. Ils se mettent à pleurer des larmes de sang et à hurler de terreur lorsque les images honteuses de leurs sites favoris se déroulent sur leurs écrans.
Comment et par qui arrive la punition ? Qui en sait plus long que la Crim ? Qui est vraiment Unica, petite fille aux cheveux blancs, d’apparence fragile et qui se nourrit de philosophie ?
C’est à toutes ses questions, et bien d’autres, et sur un rythme effréné que l’auteur va tenter de répondre.
Il y a dans ce succulent roman une inventivité et une poésie, malgré l’horreur de l’environnement dans lequel il se déroule, qu’on ne trouve pas si souvent. On peut le lire comme un reportage haletant sur les milieux glauques de la toile, un polar technologique où puces électroniques et gadgets à la James Bond ouvrent d’incroyables perspectives, histoire d’amour du XXIe siècle où la technologie invente de nouvelles relations de couple.
C’est bluffant, souvent drôle, imprévisible. Bref tout simplement remarquable et conseillé par Cetalir.
Publié aux Editions Stock – 161 pages
L’auteur nous transporte à Vancouver où l’anti-héros typique, un brin calqué sur un patchwork de bandes-dessinées, Herb Charity, exerce le rôle difficile et stressant de cyber-flic pour la brigade criminelle en charge des affaires de pédophilie par internet.
Herb est un personnage décalé. Hacker de génie, il a réussi à coincer le procureur de Vancouver en se lançant à la traque de sa petite sœur disparue brutalement et réputée avoir été enlevée par de sinistres criminels de la toile.
Malheureusement pour lui, coincer le procureur c’était se frotter à plus fort que lui. Arrêté puis emprisonné, il n’aura d’autre choix pour recouvrer sa liberté que de coopérer avec la Crim cybernétique. Il y brillera rapidement jusqu’à y gagner le droit d’exercer comme inspecteur. Une réinsertion utile après tout.
La brigade semble composée de personnages aux vies douteuses, au passé flou et dont l’efficacité est confiée à une femme énigmatique et homosexuelle.
Au cours d’une enquête parmi d’autres, Herb va se trouver confronté à des cas cliniques inhabituels. D’impénitents pédophiles sont repérés par une bande de gamins qui se déplacent en skate à la vitesse de l’éclair. Ils se mettent à pleurer des larmes de sang et à hurler de terreur lorsque les images honteuses de leurs sites favoris se déroulent sur leurs écrans.
Comment et par qui arrive la punition ? Qui en sait plus long que la Crim ? Qui est vraiment Unica, petite fille aux cheveux blancs, d’apparence fragile et qui se nourrit de philosophie ?
C’est à toutes ses questions, et bien d’autres, et sur un rythme effréné que l’auteur va tenter de répondre.
Il y a dans ce succulent roman une inventivité et une poésie, malgré l’horreur de l’environnement dans lequel il se déroule, qu’on ne trouve pas si souvent. On peut le lire comme un reportage haletant sur les milieux glauques de la toile, un polar technologique où puces électroniques et gadgets à la James Bond ouvrent d’incroyables perspectives, histoire d’amour du XXIe siècle où la technologie invente de nouvelles relations de couple.
C’est bluffant, souvent drôle, imprévisible. Bref tout simplement remarquable et conseillé par Cetalir.
Publié aux Editions Stock – 161 pages
6.7.07
Une trop bruyante solitude – Bohumil Hrabal
Je crains, vu la profondeur spirituelle, l’intelligence et la densité de ce pourtant si court ouvrage, de n’avoir la capacité que d’en rester à sa surface.
Hanta est un pauvre hère qui, depuis 35 ans, noie la vacuité de sa vie personnelle et affective dans son métier, a priori, ingrat : celui de compresseur de livres, et de temps en temps de détritus, que les tziganes de Prague, entre autres, lui déversent à flots continus dans sa cave sombre et humide.
De cette profession, Hanta a fait un art : celui d’assembler les ouvrages que les régimes successifs envoient impunément à la destruction. Il met un soin particulier à décider des gravures ou reproductions de tableaux, par exemple, qui s’exposeront sur le dessus de la pile et rêve d’une modeste retraite, proche, où la presse achetée à son compte, il pourra se livrer à des compressions quintessentielles, en quelque sorte.
Hanta, en amoureux des livres, et en alcoolique qui se réfugie dans la bière dont la quantité qu’il a absorbée pourrait, dit-il, remplir une piscine olympique, sauve quelques raretés de la destruction. Il se livre (sans jeu de mots !) aussi à la lecture d’ouvrages philosophiques et religieux, avant que la presse ne les engloutisse et, l’alcool aidant, dialogue avec les représentations mentales de Jésus et Lao-Tseu, ou celles d’Hegel, de Schiller ou de Schopenhauer.
Et c’est là que ce roman inclassable tourne au génie. Il fourmille de citations qui sont autant d’éclairs de la puissance de la pensée dans un océan de néant. C’est ce qui grandit Hanta et en fait, une sorte de surhomme, qui tout en accomplissant sa tâche, extrait du cataclysme ce qui doit être absolument sauvé, pour que l’humanité, mise en marche forcée par l’automatisme et la modernisation, conserve le droit à une élévation spirituelle constante.
Hanta, c’est l’ultime résistant à un mal qui détruit notre société moderne par l’exercice d’un droit solitaire à la poésie, à l’art, à la pensée déviante, à la confusion mentale aussi.
C’est l’allégorie de la différence, une solitude habitée des mots des penseurs, rendant inadéquate la projection de soi aux autres.
De fait que, Hanta n’aura d’autre ressort, une fois privé par un chef imbécile de sa tâche de Sisyphe, que de se réfugier dans une mort compressée.
Un livre éblouissant, rare, magique !
Publié aux Editions Points – 126 pages
Hanta est un pauvre hère qui, depuis 35 ans, noie la vacuité de sa vie personnelle et affective dans son métier, a priori, ingrat : celui de compresseur de livres, et de temps en temps de détritus, que les tziganes de Prague, entre autres, lui déversent à flots continus dans sa cave sombre et humide.
De cette profession, Hanta a fait un art : celui d’assembler les ouvrages que les régimes successifs envoient impunément à la destruction. Il met un soin particulier à décider des gravures ou reproductions de tableaux, par exemple, qui s’exposeront sur le dessus de la pile et rêve d’une modeste retraite, proche, où la presse achetée à son compte, il pourra se livrer à des compressions quintessentielles, en quelque sorte.
Hanta, en amoureux des livres, et en alcoolique qui se réfugie dans la bière dont la quantité qu’il a absorbée pourrait, dit-il, remplir une piscine olympique, sauve quelques raretés de la destruction. Il se livre (sans jeu de mots !) aussi à la lecture d’ouvrages philosophiques et religieux, avant que la presse ne les engloutisse et, l’alcool aidant, dialogue avec les représentations mentales de Jésus et Lao-Tseu, ou celles d’Hegel, de Schiller ou de Schopenhauer.
Et c’est là que ce roman inclassable tourne au génie. Il fourmille de citations qui sont autant d’éclairs de la puissance de la pensée dans un océan de néant. C’est ce qui grandit Hanta et en fait, une sorte de surhomme, qui tout en accomplissant sa tâche, extrait du cataclysme ce qui doit être absolument sauvé, pour que l’humanité, mise en marche forcée par l’automatisme et la modernisation, conserve le droit à une élévation spirituelle constante.
Hanta, c’est l’ultime résistant à un mal qui détruit notre société moderne par l’exercice d’un droit solitaire à la poésie, à l’art, à la pensée déviante, à la confusion mentale aussi.
C’est l’allégorie de la différence, une solitude habitée des mots des penseurs, rendant inadéquate la projection de soi aux autres.
De fait que, Hanta n’aura d’autre ressort, une fois privé par un chef imbécile de sa tâche de Sisyphe, que de se réfugier dans une mort compressée.
Un livre éblouissant, rare, magique !
Publié aux Editions Points – 126 pages
29.6.07
Allah n’est pas obligé – Ahmadou Kourouma
Tout d’abord, un lien vers un site remarquable par la qualité des informations relatives à cette œuvre qui a valu le Renaudot à l’auteur en 2000 :
http://www.on-luebeck.de/~swessin/afrique/kourouma.htm
Le thème en quelques mots : un jeune guinéen devient par la force des choses qui nous seront contées, un « small-soldier » c’est-à-dire un enfant soldat. Celui-ci va nous conter, à l’africaine, par une succession de courtes scènes étonnantes de vérité, sa descente en enfer. Un enfer peuplé de meurtres, de viols, de rapines, d’alcool et de hasch pour être plus fort face aux ennemis.
Kourouma nous entraîne avec une maîtrise extraordinaire au sein de ces guerres tribales qui n’en finissent plus de faire crever l’Afrique de l’Ouest. Nous comprenons mieux les ressorts intimes à l’œuvre qui ont mis à feu et à sang la Guinée, le Liberia et la pauvre Sierra-Leone, ces trois pays étant le théâtre des opérations.
D’un point de vue littéraire, Kourouma adopte un parti-pris original tout au long du récit : celui de marier un français assez basique auquel il adjoint régulièrement des mots plus élaborés que le jeune conteur explique en direction des auditeurs/lecteurs supposés africains. Une forme d’autodérision vis-à-vis de peuples présupposés incultes. Par ailleurs, des expressions africaines sont régulièrement utilisées et commentée, à l’aide du lexique officiel préparé à cette intention ! Enfin, chaque chapitre s’achève par un ou deux jurons africains, qui nous sont expliqués, ce qui accentue ce côté vrai et impliquant du récit.
Grâce à Kourouma, nos yeux d’occidentaux se décillent sur nos responsabilités dans ses massacres qui arrangeaient bien des affaires. Nous apprenons aussi à voir, grâce en particulier à la dernière partie du récit qui se situe en Sierra-Leone, les prétendus sages d’Afrique sous un autre jour : celui de dictateurs absolus qui n’ont eu d’autre cesse que de s’enrichir et d’enrichir leur famille.
Le titre illustre bien le fatalisme africain, derrière un mélange incompréhensible pour nous de fétichisme, de religion musulmane et de catholicisme. « Allah n’est pas obligé » de nourrir ceux qui ont faim, alors il faut bien se débrouiller, y compris en massacrant pour ce faire.
Enfin, la religion n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est complétée de gri-gri mis au point par les gri-gri men dûment adoubés. Tant pis si les gri-gri censés transformer les balles des kalachnikov en eau montrent vite leurs limites : il y a toujours une bonne explication derrière une transgression mise au point sur le champ (de bataille).
Il est impossible pour tout amoureux de littérature, en particulier moderne et d’expression française, de se passer de la lecture de cet édifiant roman. Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Publié aux Editions du seuil – 233 pages
http://www.on-luebeck.de/~swessin/afrique/kourouma.htm
Le thème en quelques mots : un jeune guinéen devient par la force des choses qui nous seront contées, un « small-soldier » c’est-à-dire un enfant soldat. Celui-ci va nous conter, à l’africaine, par une succession de courtes scènes étonnantes de vérité, sa descente en enfer. Un enfer peuplé de meurtres, de viols, de rapines, d’alcool et de hasch pour être plus fort face aux ennemis.
Kourouma nous entraîne avec une maîtrise extraordinaire au sein de ces guerres tribales qui n’en finissent plus de faire crever l’Afrique de l’Ouest. Nous comprenons mieux les ressorts intimes à l’œuvre qui ont mis à feu et à sang la Guinée, le Liberia et la pauvre Sierra-Leone, ces trois pays étant le théâtre des opérations.
D’un point de vue littéraire, Kourouma adopte un parti-pris original tout au long du récit : celui de marier un français assez basique auquel il adjoint régulièrement des mots plus élaborés que le jeune conteur explique en direction des auditeurs/lecteurs supposés africains. Une forme d’autodérision vis-à-vis de peuples présupposés incultes. Par ailleurs, des expressions africaines sont régulièrement utilisées et commentée, à l’aide du lexique officiel préparé à cette intention ! Enfin, chaque chapitre s’achève par un ou deux jurons africains, qui nous sont expliqués, ce qui accentue ce côté vrai et impliquant du récit.
Grâce à Kourouma, nos yeux d’occidentaux se décillent sur nos responsabilités dans ses massacres qui arrangeaient bien des affaires. Nous apprenons aussi à voir, grâce en particulier à la dernière partie du récit qui se situe en Sierra-Leone, les prétendus sages d’Afrique sous un autre jour : celui de dictateurs absolus qui n’ont eu d’autre cesse que de s’enrichir et d’enrichir leur famille.
Le titre illustre bien le fatalisme africain, derrière un mélange incompréhensible pour nous de fétichisme, de religion musulmane et de catholicisme. « Allah n’est pas obligé » de nourrir ceux qui ont faim, alors il faut bien se débrouiller, y compris en massacrant pour ce faire.
Enfin, la religion n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est complétée de gri-gri mis au point par les gri-gri men dûment adoubés. Tant pis si les gri-gri censés transformer les balles des kalachnikov en eau montrent vite leurs limites : il y a toujours une bonne explication derrière une transgression mise au point sur le champ (de bataille).
Il est impossible pour tout amoureux de littérature, en particulier moderne et d’expression française, de se passer de la lecture de cet édifiant roman. Alors, vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Publié aux Editions du seuil – 233 pages
27.6.07
Le sommeil des poissons – Véronique Osvaldé
Mais qu’est-ce-qui a bien pu prendre l’éditeur de réveiller ces poissons qui dormaient si bien et qui ne faisaient de mal à personne ?
Avec ce premier roman, l’auteur devrait, enfin j’ose l’espérer, signer son dernier ouvrage et retourner sagement à ses occupations professionnelles. Ce machin est parfaitement indigeste : une histoire sans queue (de poisson) ni tête (de poisson), un langage, que dire un galimatias qui masque une pseudo-poésie derrière une avalanche de mots inventés pour mieux habiller un manque total d’inspiration et de talent. Des phrases absolument incompréhensibles et des mots assemblés qui ressemblent à un mauvais trip d’after.
Economisez votre temps, votre cerveau et votre argent : fuyez ! Il y a tellement de livres bien à lire. Vous trouverez sur ce blog un petit échantillon… Allez, on sourit tout de même !
Publié aux Editions du Seuil – 174 pages
Avec ce premier roman, l’auteur devrait, enfin j’ose l’espérer, signer son dernier ouvrage et retourner sagement à ses occupations professionnelles. Ce machin est parfaitement indigeste : une histoire sans queue (de poisson) ni tête (de poisson), un langage, que dire un galimatias qui masque une pseudo-poésie derrière une avalanche de mots inventés pour mieux habiller un manque total d’inspiration et de talent. Des phrases absolument incompréhensibles et des mots assemblés qui ressemblent à un mauvais trip d’after.
Economisez votre temps, votre cerveau et votre argent : fuyez ! Il y a tellement de livres bien à lire. Vous trouverez sur ce blog un petit échantillon… Allez, on sourit tout de même !
Publié aux Editions du Seuil – 174 pages
22.6.07
Annam – Christophe Bataille
Annam désigne à la fois les habitants du Vietnam et le centre de ce pays. Annam est un titre aussi court que le très court roman de Christophe Bataille.
Un premier roman récompensé par deux prix (Prix du Premier Roman et le Prix des Deux Magots) en 1993. Deux prix, presque quinze ans après, dont on peut affirmer qu’ils étaient absolument mérités !
Il faut dire que Christophe Bataille y révèle une force d’écriture considérable pour un aussi jeune auteur, alors. Nous voici rapidement porté successivement à la Cour d’un Louis XVI déliquescent où l’ennui suinte et que la présence, trop brève, fauchée par la mort subite qui frappait alors si souvent, du jeune empereur du Vietnam va un temps réveiller. En quelques lignes, tout est dit. Quelle force dans la synthèse !
Puis sur le port de La Rochelle d’où deux fiers navires, armés et financés par l’Eglise toute-puissante, contre l’avis du roi, à la veille de la révolution, s’apprêtent à appareiller vers cette terre que l’on prétend merveilleuse, aux fougères géantes, à la végétation luxuriante et au soleil ardent.
Après des mois de mer et d’infortune, un navire et un seul finira par accoster. Deux stratégies s’opposeront : l’une militaire, celle de la conquête évangélique par les armes, l’adoption d’un nouveau dieu étant toujours plus évidente sous la menace d’une épée ; l’autre par sédentarisation, apprentissage de la langue, acceptation réciproque.
La première conduira à la mort de tous les soldats, vaincus par les fièvres, les escarmouches et les fourches des paysans. L’autre, retenue par les seuls six frères et sœurs rescapés conduira à un relatif succès et à une sublimation des êtres.
Relatif succès, car le fond de religion locale ne disparaîtra jamais, l’adhésion au catholicisme restant de toute évidence marginale. Relatif aussi et surtout car comment maintenir sa foi occidentale, brûlante et conquérante, dans un pays écrasé de chaleur, où l’indolence prévaut, où la tolérance vous amène à reconsidérer la supériorité systématique de vos convictions, où les travaux vous abrutissent dans une pauvreté absolue. Qu’espérer de toute façon quand l’humidité, les fièvres, le temps défont tout ?
Et au-delà de la force littéraire de ce livre à tous points remarquables, c’est là sa vraie force : celle de nous montrer comment ces envoyés de dieu, à qui il fallait une foi d’airain pour oser se lancer dans de telles aventures, vont peu à peu devenir d’une profonde humanité, s’alléger pour mourir dans un don de soi et d’amour, pas seulement mystique.
Enfin, ce beau livre met une fois de plus en évidence la vacuité des ambitions humaines. Il suffira de peu d’années pour que cet héroïsme inutile tombe dans l’oubli. Même l’épitaphe des derniers emportés choquera les convictions de l’expédition suivante et conduira l’aumônier à briser la croix de l’ultime et humble sépulture. Tout ceci en valait-il la peine ?
Publié aux Editions Arlia – 93 pages
Un premier roman récompensé par deux prix (Prix du Premier Roman et le Prix des Deux Magots) en 1993. Deux prix, presque quinze ans après, dont on peut affirmer qu’ils étaient absolument mérités !
Il faut dire que Christophe Bataille y révèle une force d’écriture considérable pour un aussi jeune auteur, alors. Nous voici rapidement porté successivement à la Cour d’un Louis XVI déliquescent où l’ennui suinte et que la présence, trop brève, fauchée par la mort subite qui frappait alors si souvent, du jeune empereur du Vietnam va un temps réveiller. En quelques lignes, tout est dit. Quelle force dans la synthèse !
Puis sur le port de La Rochelle d’où deux fiers navires, armés et financés par l’Eglise toute-puissante, contre l’avis du roi, à la veille de la révolution, s’apprêtent à appareiller vers cette terre que l’on prétend merveilleuse, aux fougères géantes, à la végétation luxuriante et au soleil ardent.
Après des mois de mer et d’infortune, un navire et un seul finira par accoster. Deux stratégies s’opposeront : l’une militaire, celle de la conquête évangélique par les armes, l’adoption d’un nouveau dieu étant toujours plus évidente sous la menace d’une épée ; l’autre par sédentarisation, apprentissage de la langue, acceptation réciproque.
La première conduira à la mort de tous les soldats, vaincus par les fièvres, les escarmouches et les fourches des paysans. L’autre, retenue par les seuls six frères et sœurs rescapés conduira à un relatif succès et à une sublimation des êtres.
Relatif succès, car le fond de religion locale ne disparaîtra jamais, l’adhésion au catholicisme restant de toute évidence marginale. Relatif aussi et surtout car comment maintenir sa foi occidentale, brûlante et conquérante, dans un pays écrasé de chaleur, où l’indolence prévaut, où la tolérance vous amène à reconsidérer la supériorité systématique de vos convictions, où les travaux vous abrutissent dans une pauvreté absolue. Qu’espérer de toute façon quand l’humidité, les fièvres, le temps défont tout ?
Et au-delà de la force littéraire de ce livre à tous points remarquables, c’est là sa vraie force : celle de nous montrer comment ces envoyés de dieu, à qui il fallait une foi d’airain pour oser se lancer dans de telles aventures, vont peu à peu devenir d’une profonde humanité, s’alléger pour mourir dans un don de soi et d’amour, pas seulement mystique.
Enfin, ce beau livre met une fois de plus en évidence la vacuité des ambitions humaines. Il suffira de peu d’années pour que cet héroïsme inutile tombe dans l’oubli. Même l’épitaphe des derniers emportés choquera les convictions de l’expédition suivante et conduira l’aumônier à briser la croix de l’ultime et humble sépulture. Tout ceci en valait-il la peine ?
Publié aux Editions Arlia – 93 pages
17.6.07
Trop de soleil tue l’amour – Mongo Beti
Un livre idéal pour (re)découvrir la richesse de la littérature africaine d’expression francophone.
Mongo Beti, d’origine camerounaise, est un écrivain prolifique injustement méconnu. « Trop de soleil tue l’amour » met en scène une galerie de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres et qui adoptent des stratégies personnelles de survie dans un Cameroun putréfié par la corruption et l’absence de véritable démocratie.
Le roman, mi policier, mi politique, démarre sur les chapeaux de roue : un journaliste, passionné de jazz, se fait dérober l’intégralité de sa collection de CD et 33 tours. Son univers culturel de référence s’écroule. Puis, il est mystérieusement prévenu par un inconnu qu’un macchabée l’attend à son domicile.
A partir de ces deux évènements, une séquence de situations rocambolesques va s’enchaîner. Elle illustre parfaitement la paranoïa de certains dirigeants, la confusion totale entre l’intérêt général et celui des « grands », c’est-à-dire des nantis, des hommes et des femmes de pouvoir.
D’ailleurs, n’est-il pas fait absolue interdiction aux forces de police de mener la moindre enquête ? Le risque est trop systématique de mettre à nu les méfaits d’un grand !
Mongo Beti manie une langue riche et truculente. Une langue pour nous faire découvrir, à nous blancs de la France continentale, la beauté du français populaire d’Afrique, quoi même !
Une langue aussi pour dire la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda et où beaucoup nous reste caché. Une langue pour dénoncer l’incurie des coopérants et des diplomates qui ferment les yeux sur tous les trafics sales car il faut bien que l’Afrique serve de poubelle mondiale.
Ce roman est haletant : les poursuites y sont nombreuses, brillamment décrites. La vie compte si peu là-bas. Mongo Beti sait nous mener par le bout du nez, dans toutes les strates de la société camerounaise pour nous faire découvrir le dessous caché des choses. Les rebondissements sont multiples et les arroseurs souvent arrosés.
La fin est totalement inattendue et délirante. Elle laisse la place à l’imaginaire ou à une suite que l’on a hâte de découvrir.
Un livre drôle, acide, décalé et jouissif. Un livre pour réfléchir aussi à nos responsabilités d’occidentaux face à la misère et à ce qu’elle porte de risques d’explosion pour le monde en son entier.
Publié aux Editions Julliard – 239 pages
Mongo Beti, d’origine camerounaise, est un écrivain prolifique injustement méconnu. « Trop de soleil tue l’amour » met en scène une galerie de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres et qui adoptent des stratégies personnelles de survie dans un Cameroun putréfié par la corruption et l’absence de véritable démocratie.
Le roman, mi policier, mi politique, démarre sur les chapeaux de roue : un journaliste, passionné de jazz, se fait dérober l’intégralité de sa collection de CD et 33 tours. Son univers culturel de référence s’écroule. Puis, il est mystérieusement prévenu par un inconnu qu’un macchabée l’attend à son domicile.
A partir de ces deux évènements, une séquence de situations rocambolesques va s’enchaîner. Elle illustre parfaitement la paranoïa de certains dirigeants, la confusion totale entre l’intérêt général et celui des « grands », c’est-à-dire des nantis, des hommes et des femmes de pouvoir.
D’ailleurs, n’est-il pas fait absolue interdiction aux forces de police de mener la moindre enquête ? Le risque est trop systématique de mettre à nu les méfaits d’un grand !
Mongo Beti manie une langue riche et truculente. Une langue pour nous faire découvrir, à nous blancs de la France continentale, la beauté du français populaire d’Afrique, quoi même !
Une langue aussi pour dire la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda et où beaucoup nous reste caché. Une langue pour dénoncer l’incurie des coopérants et des diplomates qui ferment les yeux sur tous les trafics sales car il faut bien que l’Afrique serve de poubelle mondiale.
Ce roman est haletant : les poursuites y sont nombreuses, brillamment décrites. La vie compte si peu là-bas. Mongo Beti sait nous mener par le bout du nez, dans toutes les strates de la société camerounaise pour nous faire découvrir le dessous caché des choses. Les rebondissements sont multiples et les arroseurs souvent arrosés.
La fin est totalement inattendue et délirante. Elle laisse la place à l’imaginaire ou à une suite que l’on a hâte de découvrir.
Un livre drôle, acide, décalé et jouissif. Un livre pour réfléchir aussi à nos responsabilités d’occidentaux face à la misère et à ce qu’elle porte de risques d’explosion pour le monde en son entier.
Publié aux Editions Julliard – 239 pages
8.6.07
La ballade d’Iza – Magda Szabo
Tout d’abord un grand bravo aux Editions Viviane Hamy pour la qualité de leurs publications. Je les ai découverts avec un superbe roman « Ubiquité », non bloggé ici, mais que je ne saurai trop vous recommander.
L’ouvrage dont il est question ici est hongrois. Nous voici plongés au cœur d’une famille que les évènements politiques des années vingt vont précipiter dans une misère qui durera 27 ans. Le père, Vince, qui était haut magistrat a en effet été destitué pour un jugement qui a eu l’heur de déplaire bien qu’apparemment reposant sur une appréciation exacte de la vérité. Il faudra la lutte de sa fille pour obtenir tardivement la réhabilitation.
Vince précisément est très âgé. Il est à l’hôpital et va bientôt mourir. Ce sont sa fille, Iza, médecin chef réputée et son ancien gendre, Antal, brillant médecin de l’hôpital en question qui prennent soin de ses derniers instants.
A la mort de Vince, Iza va tout prendre en mains. Bientôt, sa mère verra la maison où elle a vécu vendue, les objets cédés, la vie passée nettoyée. Iza est une femme énergique, déterminée, organisée. Une femme moderne.
Sans lui laisser le choix, elle organise le transfert de sa mère chez elle, à Budapest, où une chambre qui accueille les plus beaux meubles conservés de la vie d’avant, lui est réservée.
Magda Szabo sait avec un véritable don nous plonger au cœur des pensées de ses personnages. Nous allons vivre en direct la détresse de cette mère arrachée à son village natal et qui, sous peu, va perturber la vie si organisée de sa fille.
Un mystère entoure celle-ci. Pourquoi Antal l’a-t-il quittée, soudainement, alors qu’ils semblaient s’aimer ? Pourquoi ne sait-elle pas aimer vraiment sa mère trop encombrante et inadaptée à la modernité de la vie du début des années soixante ?
L’auteur sait nous faire toucher du doigt la lenteur du temps qui s’écoule quand on n’a plus rien à faire, que, comme la mère, on se sent inutile, de trop ? Où chercher une raison de vivre encore ?
De fait, c’est une dépression qui ne dit pas son nom qui va s’emparer de la vieille dame qui ne vit plus que par souvenirs et dont la moindre initiative suscite l’irritation de sa fille.
Ce beau roman s’écoule dans un style intimiste et étrangement serein malgré la mort omniprésente. C’est un livre qui dit l’importance d’aimer les êtres qui nous sont chers et l’impossibilité de changer le passé. Une écriture par petites touches, comme les innombrables preuves d’amour qu’une vie peut nous donner l’occasion de semer.
Publié aux Editions Viviane Hamy – 262 pages
L’ouvrage dont il est question ici est hongrois. Nous voici plongés au cœur d’une famille que les évènements politiques des années vingt vont précipiter dans une misère qui durera 27 ans. Le père, Vince, qui était haut magistrat a en effet été destitué pour un jugement qui a eu l’heur de déplaire bien qu’apparemment reposant sur une appréciation exacte de la vérité. Il faudra la lutte de sa fille pour obtenir tardivement la réhabilitation.
Vince précisément est très âgé. Il est à l’hôpital et va bientôt mourir. Ce sont sa fille, Iza, médecin chef réputée et son ancien gendre, Antal, brillant médecin de l’hôpital en question qui prennent soin de ses derniers instants.
A la mort de Vince, Iza va tout prendre en mains. Bientôt, sa mère verra la maison où elle a vécu vendue, les objets cédés, la vie passée nettoyée. Iza est une femme énergique, déterminée, organisée. Une femme moderne.
Sans lui laisser le choix, elle organise le transfert de sa mère chez elle, à Budapest, où une chambre qui accueille les plus beaux meubles conservés de la vie d’avant, lui est réservée.
Magda Szabo sait avec un véritable don nous plonger au cœur des pensées de ses personnages. Nous allons vivre en direct la détresse de cette mère arrachée à son village natal et qui, sous peu, va perturber la vie si organisée de sa fille.
Un mystère entoure celle-ci. Pourquoi Antal l’a-t-il quittée, soudainement, alors qu’ils semblaient s’aimer ? Pourquoi ne sait-elle pas aimer vraiment sa mère trop encombrante et inadaptée à la modernité de la vie du début des années soixante ?
L’auteur sait nous faire toucher du doigt la lenteur du temps qui s’écoule quand on n’a plus rien à faire, que, comme la mère, on se sent inutile, de trop ? Où chercher une raison de vivre encore ?
De fait, c’est une dépression qui ne dit pas son nom qui va s’emparer de la vieille dame qui ne vit plus que par souvenirs et dont la moindre initiative suscite l’irritation de sa fille.
Ce beau roman s’écoule dans un style intimiste et étrangement serein malgré la mort omniprésente. C’est un livre qui dit l’importance d’aimer les êtres qui nous sont chers et l’impossibilité de changer le passé. Une écriture par petites touches, comme les innombrables preuves d’amour qu’une vie peut nous donner l’occasion de semer.
Publié aux Editions Viviane Hamy – 262 pages
2.6.07
Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie – Yôko OGAWA
Le titre est en soi une invitation à la poésie, à la rêverie. On dirait une de ces peintures sur soie qui nous plonge dans un monde serein et un brin nostalgique.
Les deux récits (le premier dont le titre est repris pour être attribué à ce court livre, le second sous celui de « Un thé qui ne refroidit pas ») ont chacun leur couleur et tonalité propres.
Ma préférence va définitivement au premier d’une douce poésie, d’une indolence absolue. Il n’y a pour ainsi dire aucune action, ou si peu. Une jeune japonaise sur le point de se marier contre l’avis de tous avec un homme dont nous ne savons rien si ce n’est qu’il est significativement plus âgé qu’elle, emménage avec son petit chien dans une petite maison en bord de mer. Elle entreprend des travaux de rafraîchissement. Soudain un homme et son jeune fils sonne à la porte. S’en suit une succession de courts dialogues qui vont nous révéler pudiquement certaines des souffrances d’enfance profondément enfouies de cet inconnu. Un récit sous forme de catharsis mais sans le côté tragique.
Je ne résiste pas à citer in extenso le passage suivant, en partie explicatif du titre et révélateur de ce si subtile enchantement :
« - Quand je vois un réfectoire le soir, cela me fait penser à une piscine sous la pluie.
Au moment où il a prononcé ces mots, après un silence alors que nous avions épuisé le sujet des chiens, je n’ai pas du tout compris ce qu’il voulait dire. Cela m’a fait l’effet d’un poème contemporain ou d’une de ces phrases qui ponctuent les contes de notre enfance.
- Une piscine sous la pluie ? ai-je répété, en insistant sur chaque syllabe.
- Oui, une piscine sous la pluie. Vous n’avez jamais nagé dans une piscine sous la plie ?
- Eh bien… J’ai l’impression que oui, mais je me trompe peut-être.
- Quand je pense à une piscine sous la pluie, je suis pris d’une nostalgie difficilement supportable. »
Le reste du récit s’écoulera sur des séquences étonnantes et nostalgiques, propices à la méditation ou à la rêverie. De magnifiques et incroyables description d’un réfectoire de cantine, vu comme un symbole d’efficacité et de purification sont à découvrir absolument.
Le deuxième récit, plus long, met en scène un jeune couple dont nous ne tarderons pas à comprendre qu’il est au bord de l’explosion. Cependant, aucune violence n’est dite ni directement décrite. Elle est suggérée, surtout implicitement, en juxtaposant la vie quotidienne de ces deux jeunes, trépidants, dont l’homme est happé par son travail, à celle en tout point exemplaire d’un autre couple, amoureux, uni et dont la sérénité se dégage naturellement. Une fois encore ce couple est marginalisé, la femme étant nettement plus âgée que son mari, camarade d’école retrouvé par hasard, à des funérailles, de la jeune femme du couple en souffrance. Cette dernière retrouvera la sérénité et la voie de la raison en séjournant régulièrement chez ce couple exemplaire.
Les deux récits portent des thèmes en commun : la vie à deux, l’absence d’un être aimé, la difficulté à vivre en marginalisation de la société japonaise, l’amour profond et sincère que peuvent éprouver des êtres de tranches d’âge différent, la rupture. Ils sont traités en variations d’une grandiose maîtrise par cette écrivain japonaise née en 1962 qui s’impose comme une figure contemporaine majeure de son pays.
Publié aux Editions Actes Sud – 110 pages
Les deux récits (le premier dont le titre est repris pour être attribué à ce court livre, le second sous celui de « Un thé qui ne refroidit pas ») ont chacun leur couleur et tonalité propres.
Ma préférence va définitivement au premier d’une douce poésie, d’une indolence absolue. Il n’y a pour ainsi dire aucune action, ou si peu. Une jeune japonaise sur le point de se marier contre l’avis de tous avec un homme dont nous ne savons rien si ce n’est qu’il est significativement plus âgé qu’elle, emménage avec son petit chien dans une petite maison en bord de mer. Elle entreprend des travaux de rafraîchissement. Soudain un homme et son jeune fils sonne à la porte. S’en suit une succession de courts dialogues qui vont nous révéler pudiquement certaines des souffrances d’enfance profondément enfouies de cet inconnu. Un récit sous forme de catharsis mais sans le côté tragique.
Je ne résiste pas à citer in extenso le passage suivant, en partie explicatif du titre et révélateur de ce si subtile enchantement :
« - Quand je vois un réfectoire le soir, cela me fait penser à une piscine sous la pluie.
Au moment où il a prononcé ces mots, après un silence alors que nous avions épuisé le sujet des chiens, je n’ai pas du tout compris ce qu’il voulait dire. Cela m’a fait l’effet d’un poème contemporain ou d’une de ces phrases qui ponctuent les contes de notre enfance.
- Une piscine sous la pluie ? ai-je répété, en insistant sur chaque syllabe.
- Oui, une piscine sous la pluie. Vous n’avez jamais nagé dans une piscine sous la plie ?
- Eh bien… J’ai l’impression que oui, mais je me trompe peut-être.
- Quand je pense à une piscine sous la pluie, je suis pris d’une nostalgie difficilement supportable. »
Le reste du récit s’écoulera sur des séquences étonnantes et nostalgiques, propices à la méditation ou à la rêverie. De magnifiques et incroyables description d’un réfectoire de cantine, vu comme un symbole d’efficacité et de purification sont à découvrir absolument.
Le deuxième récit, plus long, met en scène un jeune couple dont nous ne tarderons pas à comprendre qu’il est au bord de l’explosion. Cependant, aucune violence n’est dite ni directement décrite. Elle est suggérée, surtout implicitement, en juxtaposant la vie quotidienne de ces deux jeunes, trépidants, dont l’homme est happé par son travail, à celle en tout point exemplaire d’un autre couple, amoureux, uni et dont la sérénité se dégage naturellement. Une fois encore ce couple est marginalisé, la femme étant nettement plus âgée que son mari, camarade d’école retrouvé par hasard, à des funérailles, de la jeune femme du couple en souffrance. Cette dernière retrouvera la sérénité et la voie de la raison en séjournant régulièrement chez ce couple exemplaire.
Les deux récits portent des thèmes en commun : la vie à deux, l’absence d’un être aimé, la difficulté à vivre en marginalisation de la société japonaise, l’amour profond et sincère que peuvent éprouver des êtres de tranches d’âge différent, la rupture. Ils sont traités en variations d’une grandiose maîtrise par cette écrivain japonaise née en 1962 qui s’impose comme une figure contemporaine majeure de son pays.
Publié aux Editions Actes Sud – 110 pages
19.5.07
Testament à l’anglaise – Jonathan Coe
Johnathan Coe est un écrivain britannique qui commence à se faire de plus en plus connaître en France pour ses romans violemment opposés à l’ultralibéralisme et les excès dans lesquels le Royaume de Sa Très Gracieuse Majesté a, on doit le dire, sombré depuis l’avènement de Margaret Thatcher et de tous ceux qui l’ont suivi, depuis.
« Testament à l’anglaise » est un ouvrage époustouflant de maîtrise de technique narrative et qui nous donne une véritable leçon de cet humour si particulier qu’est l’undestatement britannique. Les traits y sont brefs mais acérés et féroces.
Ce roman repose sur un impeccable mélange des genres : tout d’abord thriller au dénouement en partie volontairement calqué sur « Dix Petits Nègres » d’Agatha Christie, pour mieux mettre en évidence le côté psychopathe de celui qui a décidé de purger une famille de ses dangereux excès de rapacité et de pouvoir. D’ailleurs les références littéraires et en provenance du cinéma sont nombreuses comme pour rappeler aussi que le pays repose sur des élites et sur des traditions profondes.
Cet ouvrage est également une brillante fugue littéraire à la ligne mélodique d’une extrême complexité. Les plans de superposent puis se croisent et se décroisent avant de se fonder intimement et de reprendre des voies séparées. La notion du temps y est délibérément niée et le passage se fait imperceptiblement entre le passé, le présent et un futur possible pour mieux assommer le lecteur d’une découverte presque incidente, quoique majeur, au détour d’une page. Une découverte qui donne à chaque fois à comprendre les scènes auxquelles nous avons assisté au cours parfois des centaines de pages précédentes. La vigilance s’impose donc ! Mélodie complexe et complaisamment entretenue par la multiplicité des narrateurs au passé comportant des dénominateurs communs à découvrir, peu à peu. C’est sans doute la limite fondamentale de l’ouvrage : une faute d’inattention et la partition risque de devenir illisible.
Certes, il y a bien un écrivain fil conducteur , Michael Owen, chargé par la tante Tabitha à moitié folle et internée de force dans un asile, certes chic, de raconter l’incroyable histoire de la famille des Winshaw et censé assurer une certaine linéarité de la narration.
Mais Michael est un perfectionniste, introverti, replié sur lui-même depuis 9 ans, incapable de sortir, d’affronter le monde et sa propre vérité. Incapable d’achever un ouvrage d’où toute objectivité finira par disparaître pour se transformer en une critique au vitriol de cette famille, de ses excès, de son mépris absolu de ceux qui n’appartiennent pas au même mode qu’elle.
Le choix de Michael est tout sauf fortuit. Malgré lui, il a un rôle essentiel à jouer, une vengeance inconsciente à assouvir.
Michael ne cesse de visionner la même scène d’un film anglais des années soixante, fascinante d’une promesse érotique qui n’ira pas à son terme, faute d’oser. Une scène brillamment transposée d’ailleurs, tirée d’un film policier où toute une famille finira par se faire assassiner nuitamment, dans un château glacial et perdu. Toute ressemblance avec des évènements susceptibles de se produire dans le livre lui-même serait bien entendu fortuite. Une scène à l’image de Michael. Une scène qui passe en boucle tout au long de ce fascinant roman. Une scène vue et vécue, dans des mondes d’abord parallèles mais qui finiront par se croiser, au gré de hasards ou de certains échecs, par différents protagonistes de l’histoire, chacun avec sa propre sensibilité et sa propre expérience. Une scène pour mieux comprendre et mieux nous perdre aussi.
Le cinéma tient une place particulière dans cet ouvrage foisonnant de trouvailles et une brillante dissertation sur l’arrêt sur image nous est livrée à plusieurs reprises. Des arrêts sur image indispensables pour observer une action conduite par de multiples intervenants et dont la manipulation est le fil conducteur, sans que l’on sache véritablement qui manipule qui. Des arrêts sur image métaphoriques où l’auteur nous interpelle en nous invitant à regarder de l’extérieur ce qui se passe, dans son roman et dans la société anglaise contemporaine.
Coe est lui-même un manipulateur hors pair. Il nous tient en haleine au fil de ce roman complexe où toute unité de temps, d’action, de lieu et de personnages a disparu. Un roman où les mondes s’enchevêtrent et où ceux qui détiennent le pouvoir finiront par payer le prix fort de leur rapacité. Un roman où la mort est obsédante et frappe régulièrement. Un roman férocement vengeur et destructeur.
Un roman pour dénoncer aussi une société britannique dont les fondamentaux s’écroulent, où l’état se confond avec les intérêts privés et où l’exploitation des petits et des faibles, les guerres (celle des Malouines, celle en Irak), omniprésentes, le démantèlement du système de santé n’ont d’autres buts que d’enrichir les familles au pouvoir.
Un livre sans concession sur l’Angleterre libérale et le cynisme politique, international dont elle fait preuve. Un diamant pur, parfait dans sa conception et qui sait maintenir jusqu’au bout le lecteur dans ses rets malgré la complexité de la structure et du partis pris narratif.
Un must de la littérature contemporaine.
Publié aux Editions Gallimard – 499 pages
« Testament à l’anglaise » est un ouvrage époustouflant de maîtrise de technique narrative et qui nous donne une véritable leçon de cet humour si particulier qu’est l’undestatement britannique. Les traits y sont brefs mais acérés et féroces.
Ce roman repose sur un impeccable mélange des genres : tout d’abord thriller au dénouement en partie volontairement calqué sur « Dix Petits Nègres » d’Agatha Christie, pour mieux mettre en évidence le côté psychopathe de celui qui a décidé de purger une famille de ses dangereux excès de rapacité et de pouvoir. D’ailleurs les références littéraires et en provenance du cinéma sont nombreuses comme pour rappeler aussi que le pays repose sur des élites et sur des traditions profondes.
Cet ouvrage est également une brillante fugue littéraire à la ligne mélodique d’une extrême complexité. Les plans de superposent puis se croisent et se décroisent avant de se fonder intimement et de reprendre des voies séparées. La notion du temps y est délibérément niée et le passage se fait imperceptiblement entre le passé, le présent et un futur possible pour mieux assommer le lecteur d’une découverte presque incidente, quoique majeur, au détour d’une page. Une découverte qui donne à chaque fois à comprendre les scènes auxquelles nous avons assisté au cours parfois des centaines de pages précédentes. La vigilance s’impose donc ! Mélodie complexe et complaisamment entretenue par la multiplicité des narrateurs au passé comportant des dénominateurs communs à découvrir, peu à peu. C’est sans doute la limite fondamentale de l’ouvrage : une faute d’inattention et la partition risque de devenir illisible.
Certes, il y a bien un écrivain fil conducteur , Michael Owen, chargé par la tante Tabitha à moitié folle et internée de force dans un asile, certes chic, de raconter l’incroyable histoire de la famille des Winshaw et censé assurer une certaine linéarité de la narration.
Mais Michael est un perfectionniste, introverti, replié sur lui-même depuis 9 ans, incapable de sortir, d’affronter le monde et sa propre vérité. Incapable d’achever un ouvrage d’où toute objectivité finira par disparaître pour se transformer en une critique au vitriol de cette famille, de ses excès, de son mépris absolu de ceux qui n’appartiennent pas au même mode qu’elle.
Le choix de Michael est tout sauf fortuit. Malgré lui, il a un rôle essentiel à jouer, une vengeance inconsciente à assouvir.
Michael ne cesse de visionner la même scène d’un film anglais des années soixante, fascinante d’une promesse érotique qui n’ira pas à son terme, faute d’oser. Une scène brillamment transposée d’ailleurs, tirée d’un film policier où toute une famille finira par se faire assassiner nuitamment, dans un château glacial et perdu. Toute ressemblance avec des évènements susceptibles de se produire dans le livre lui-même serait bien entendu fortuite. Une scène à l’image de Michael. Une scène qui passe en boucle tout au long de ce fascinant roman. Une scène vue et vécue, dans des mondes d’abord parallèles mais qui finiront par se croiser, au gré de hasards ou de certains échecs, par différents protagonistes de l’histoire, chacun avec sa propre sensibilité et sa propre expérience. Une scène pour mieux comprendre et mieux nous perdre aussi.
Le cinéma tient une place particulière dans cet ouvrage foisonnant de trouvailles et une brillante dissertation sur l’arrêt sur image nous est livrée à plusieurs reprises. Des arrêts sur image indispensables pour observer une action conduite par de multiples intervenants et dont la manipulation est le fil conducteur, sans que l’on sache véritablement qui manipule qui. Des arrêts sur image métaphoriques où l’auteur nous interpelle en nous invitant à regarder de l’extérieur ce qui se passe, dans son roman et dans la société anglaise contemporaine.
Coe est lui-même un manipulateur hors pair. Il nous tient en haleine au fil de ce roman complexe où toute unité de temps, d’action, de lieu et de personnages a disparu. Un roman où les mondes s’enchevêtrent et où ceux qui détiennent le pouvoir finiront par payer le prix fort de leur rapacité. Un roman où la mort est obsédante et frappe régulièrement. Un roman férocement vengeur et destructeur.
Un roman pour dénoncer aussi une société britannique dont les fondamentaux s’écroulent, où l’état se confond avec les intérêts privés et où l’exploitation des petits et des faibles, les guerres (celle des Malouines, celle en Irak), omniprésentes, le démantèlement du système de santé n’ont d’autres buts que d’enrichir les familles au pouvoir.
Un livre sans concession sur l’Angleterre libérale et le cynisme politique, international dont elle fait preuve. Un diamant pur, parfait dans sa conception et qui sait maintenir jusqu’au bout le lecteur dans ses rets malgré la complexité de la structure et du partis pris narratif.
Un must de la littérature contemporaine.
Publié aux Editions Gallimard – 499 pages
14.5.07
Une femme vertueuse – Kaye Gibbons
Ce court roman est construit sous la forme d’un dialogue entre Jack Stokes, dit Œil-qui-bat, fermier de soixante-cinq ans et son épouse, Rudy, de vingt ans de moins et qu’un cancer du poumon vient d’emporter. Les chapitres y sont courts et permettent de plonger dans l’intimité quotidienne de ce couple uni et que la mort s’apprête à séparer. Il dit aussi la douleur de n’avoir pu être parent et la façon qu’ils ont trouvé, ensemble, de l’être par procuration.
Un drame se prépare au fin fond de cette Caroline du Sud rurale, encore fortement raciste et conformiste. Il est temps pour Ruby de congeler trois mois de repas pour son mari puis de bientôt mourir, apaisée de ne pas le laisser démuni. Jack devra ensuite se débrouiller seul bien que Ruby sache qu’elle pourra compter sur leur vieux copain Rud et sa fille June, celle-là même qu’ils ont élevée à la place d’une mère hystérique et absente, tombée enceinte dans des conditions jamais éclaircies, d’un père qui n’est pas le mari.
L’un des charmes de ce petit livre est d’alterner des dialogues intérieurs entre Jack et Ruby avant puis après la mort de celle-ci. De nombreuses scènes de la vie quotidienne y sont successivement commentées par l’un et l’autre, un peu décalées, car la réalité est toujours empreinte de la subjectivité propre à nos émotions, nos peurs, nos expériences qui nous empêchent souvent de voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on désire les voir.
Ces scènes sont assez nostalgiques et disent la joie d’avoir vécu ensemble, l’immense douleur de l’absence, toujours pudique. C’est un cheminement intérieur pour accepter l’inévitable, postraumatique.
Malgré la tragédie, l’humour est souvent présent. Un humour bâti sur des scènes absurdes ou grotesques et où la verve de Jack cloue souvent le bec à ses détracteurs. Cet humour est salvateur : il permet à Jack de supporter la tristesse et au lecteur de respirer.
Ce livre dit aussi la solidité d’un amour qui perdure par delà la mort et que seul l’amour de la terre, profond, ancestral, absolu et qui est tout pour ces fermiers qui ne possèdent rien, pourra transcender.
A découvrir.
Publié aux Editions Rivages – 168 pages
Un drame se prépare au fin fond de cette Caroline du Sud rurale, encore fortement raciste et conformiste. Il est temps pour Ruby de congeler trois mois de repas pour son mari puis de bientôt mourir, apaisée de ne pas le laisser démuni. Jack devra ensuite se débrouiller seul bien que Ruby sache qu’elle pourra compter sur leur vieux copain Rud et sa fille June, celle-là même qu’ils ont élevée à la place d’une mère hystérique et absente, tombée enceinte dans des conditions jamais éclaircies, d’un père qui n’est pas le mari.
L’un des charmes de ce petit livre est d’alterner des dialogues intérieurs entre Jack et Ruby avant puis après la mort de celle-ci. De nombreuses scènes de la vie quotidienne y sont successivement commentées par l’un et l’autre, un peu décalées, car la réalité est toujours empreinte de la subjectivité propre à nos émotions, nos peurs, nos expériences qui nous empêchent souvent de voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on désire les voir.
Ces scènes sont assez nostalgiques et disent la joie d’avoir vécu ensemble, l’immense douleur de l’absence, toujours pudique. C’est un cheminement intérieur pour accepter l’inévitable, postraumatique.
Malgré la tragédie, l’humour est souvent présent. Un humour bâti sur des scènes absurdes ou grotesques et où la verve de Jack cloue souvent le bec à ses détracteurs. Cet humour est salvateur : il permet à Jack de supporter la tristesse et au lecteur de respirer.
Ce livre dit aussi la solidité d’un amour qui perdure par delà la mort et que seul l’amour de la terre, profond, ancestral, absolu et qui est tout pour ces fermiers qui ne possèdent rien, pourra transcender.
A découvrir.
Publié aux Editions Rivages – 168 pages
6.5.07
D’amour et d’ombre – Isabel Allende
J’avoue avoir toujours eu un préjugé négatif à l’égard d’Isabel Allende du fait de sa parenté avec son oncle, Président du Chili renversé par la junte militaire. Allez savoir pourquoi…
La découverte de ce très beau roman aura eu raison de cette posture que rien de scientifique ni d’objectif ne justifiait.
« D’amour et d’ombre » est un roman qui a d’abord pour mérite de mettre en scène une galerie de personnages peu communs, issus de l’imagination fertile de leur auteur. Le malheur arrivera par une adolescente épileptique, un peu sorcière et qui aura le tort de ridiculiser, malgré elle, un lieutenant devant ses troupes.
On y croise une cantatrice octogénaire dont les tenues de scène ont été préservées des outrages du temps, ainsi que sa voix ; un lieutenant-colonel aliéné qui salue les couleurs que lui seul est capable de discerner au sein de sa maison de retraite chic. Un prêtre ouvrier audacieux et militant, un cardinal prêt à en défaire avec la junte, usant de stratagèmes aussi vicelards que ceux de l’ennemi à abattre. Un coiffeur homosexuel, égérie des femmes de militaires et cheville ouvrière de la lutte clandestine. Un couple de réfugiés de la guerre civile espagnole sur lesquels le malheur s’acharne… Tous un rôle qui souvent les dépasse à jouer. Leur vie se croisent, s’entrecroisent et parfois se défont sur fond de tragédie quotidienne.
Isabel Allende sait sans cesse nous faire passer de l’ombre de la clandestinité, de ces hommes et femmes embarqués au hasard et à jamais oubliés au fond d’une geôle, de l’ombre des salles où l’on torture impunément, des galeries où assassiner sans raison est aussi naturel que respirer, à une lumière éblouissante.
Cette lumière c’est d’abord celle d’un amour, lent à se construire, entre un docteur en psychologie, inscrit sur la liste noire du pouvoir, et de ce fait condamné à survivre comme photographe de presse et une jeune journaliste à la lisière de ce que le pouvoir tolère. Un amour que la découverte d’un charnier renforcera, solidifiera à jamais dès que la chasse à l’homme, impitoyable, se déclenchera.
La lumière c’est celle qu’ose affronter la foule à la découverte des charniers, celle où l’on s’expose pour dire non et souvent mourir, abattu d’une balle dans la tête, sans autre forme de procès.
Jamais Isabel Allende n’écrit le mot de Chili derrière ce pays qui pourtant prolonge ses terres jusqu’au bout du continent sud-américain et que borde la Cordillière des Andes. Jamais non plus le non de Pinochet n’apparaîtra derrière ce général absurde et barbare, enfermé dans son bunker à l’abri derrière ses lunettes noires.
En tout état de cause, Isabel Allende est une vraie romancière qui nous donne à réfléchir avec talent tout en soutenant une intrigue bien ficelée et haletante.
Publié aux Editions Fayard – 389 pages
La découverte de ce très beau roman aura eu raison de cette posture que rien de scientifique ni d’objectif ne justifiait.
« D’amour et d’ombre » est un roman qui a d’abord pour mérite de mettre en scène une galerie de personnages peu communs, issus de l’imagination fertile de leur auteur. Le malheur arrivera par une adolescente épileptique, un peu sorcière et qui aura le tort de ridiculiser, malgré elle, un lieutenant devant ses troupes.
On y croise une cantatrice octogénaire dont les tenues de scène ont été préservées des outrages du temps, ainsi que sa voix ; un lieutenant-colonel aliéné qui salue les couleurs que lui seul est capable de discerner au sein de sa maison de retraite chic. Un prêtre ouvrier audacieux et militant, un cardinal prêt à en défaire avec la junte, usant de stratagèmes aussi vicelards que ceux de l’ennemi à abattre. Un coiffeur homosexuel, égérie des femmes de militaires et cheville ouvrière de la lutte clandestine. Un couple de réfugiés de la guerre civile espagnole sur lesquels le malheur s’acharne… Tous un rôle qui souvent les dépasse à jouer. Leur vie se croisent, s’entrecroisent et parfois se défont sur fond de tragédie quotidienne.
Isabel Allende sait sans cesse nous faire passer de l’ombre de la clandestinité, de ces hommes et femmes embarqués au hasard et à jamais oubliés au fond d’une geôle, de l’ombre des salles où l’on torture impunément, des galeries où assassiner sans raison est aussi naturel que respirer, à une lumière éblouissante.
Cette lumière c’est d’abord celle d’un amour, lent à se construire, entre un docteur en psychologie, inscrit sur la liste noire du pouvoir, et de ce fait condamné à survivre comme photographe de presse et une jeune journaliste à la lisière de ce que le pouvoir tolère. Un amour que la découverte d’un charnier renforcera, solidifiera à jamais dès que la chasse à l’homme, impitoyable, se déclenchera.
La lumière c’est celle qu’ose affronter la foule à la découverte des charniers, celle où l’on s’expose pour dire non et souvent mourir, abattu d’une balle dans la tête, sans autre forme de procès.
Jamais Isabel Allende n’écrit le mot de Chili derrière ce pays qui pourtant prolonge ses terres jusqu’au bout du continent sud-américain et que borde la Cordillière des Andes. Jamais non plus le non de Pinochet n’apparaîtra derrière ce général absurde et barbare, enfermé dans son bunker à l’abri derrière ses lunettes noires.
En tout état de cause, Isabel Allende est une vraie romancière qui nous donne à réfléchir avec talent tout en soutenant une intrigue bien ficelée et haletante.
Publié aux Editions Fayard – 389 pages
1.5.07
Silence – Evelyne Sullerot
Un titre bien choisi à partir du moment où l’on y adjoint le point d’exclamation, pour intimer à l’auteur de se taire, de cesser de nous assommer de poncifs et de réflexions prétendument pointues et sociologiques.
Pourtant, l’idée de base est excellente. Une femme, la soixantaine alerte, quasi-sourde se fait opérer pour une greffe des deux tympans. A son réveil post-opératoire, un peu difficile, elle réalise soudain qu’elle va rester quinze jours sans entendre le moindre son, saisir la moindre parole.
Peu à peu, son cerveau se souvient des sons qui accompagnent la vie quotidienne. Il réinvente pour elle au gré des besoins. Chaque scène se voit associée une bande sonore, issue de la mémoire. A chaque bande est associé un souvenir et un souvenir en entraîne un autre.
Jusqu’au tiers de l’ouvrage, l’inventivité est tenue. L’histoire de cette femme, Catherine, se recompose sous nos yeux. Le lecteur comprend aussi, assez vite, que se cache un mystère derrière la naissance de la fille aînée de Catherine. Que ce mystère, dont on comprendra peu à peu qu’il s’agit d’un viol, a conditionné la vie de Catherine, son mariage, sans amour, et le comportement de plus en plus insupportable de son conjoint, ses choix, ses amants.
Malheureusement, brutalement Evelyne Sullerot perd le contrôle de son roman. Au lieu de jouer d’inventions et de nous faire voyager dans le cerveau de Catherine comme Ian Mc Ewan a su si brillamment le faire dans « Samedi » bloggué ici, nous nous retrouvons au café du commerce à subir un matraquage en règle de notre société. Pourquoi pas, après tout ? Sauf que le style devient pataud puis insupportable. Toute originalité disparaît et le sommeil vous gagne…
Je n’ai même pas pu aller au bout, tellement c’est mauvais. C’est vous dire !
Publié chez Fayard – 315 longues pages dont au moins 150 de trop !
Pourtant, l’idée de base est excellente. Une femme, la soixantaine alerte, quasi-sourde se fait opérer pour une greffe des deux tympans. A son réveil post-opératoire, un peu difficile, elle réalise soudain qu’elle va rester quinze jours sans entendre le moindre son, saisir la moindre parole.
Peu à peu, son cerveau se souvient des sons qui accompagnent la vie quotidienne. Il réinvente pour elle au gré des besoins. Chaque scène se voit associée une bande sonore, issue de la mémoire. A chaque bande est associé un souvenir et un souvenir en entraîne un autre.
Jusqu’au tiers de l’ouvrage, l’inventivité est tenue. L’histoire de cette femme, Catherine, se recompose sous nos yeux. Le lecteur comprend aussi, assez vite, que se cache un mystère derrière la naissance de la fille aînée de Catherine. Que ce mystère, dont on comprendra peu à peu qu’il s’agit d’un viol, a conditionné la vie de Catherine, son mariage, sans amour, et le comportement de plus en plus insupportable de son conjoint, ses choix, ses amants.
Malheureusement, brutalement Evelyne Sullerot perd le contrôle de son roman. Au lieu de jouer d’inventions et de nous faire voyager dans le cerveau de Catherine comme Ian Mc Ewan a su si brillamment le faire dans « Samedi » bloggué ici, nous nous retrouvons au café du commerce à subir un matraquage en règle de notre société. Pourquoi pas, après tout ? Sauf que le style devient pataud puis insupportable. Toute originalité disparaît et le sommeil vous gagne…
Je n’ai même pas pu aller au bout, tellement c’est mauvais. C’est vous dire !
Publié chez Fayard – 315 longues pages dont au moins 150 de trop !
27.4.07
Derrière la porte – Giorgio Bassani
Né en 1916, Giorgio Bassani est un écrivain, reconnu dans son pays d’origine et couronné de plusieurs prix, qui est empreint d’une mélancolie certaine, touché souvent par la douleur de vivre. Plus déprimé qu’extraverti.
Derrière la porte est un roman très inspiré de ses années de lycée. Il met en scène trois adolescents. Cattolica, premier de la classe, le fortiche de service, celui que vénèrent tous les profs et également officiellement fiancé à seize ans. Pulga, être chétif et suant, moyen et veule, enfant de la classe moyenne aux parents moyens mais que l’auteur, éternel poulidor de la classe, transposé dans la peau d’un gamin juif né d’un père médecin et rentier, adoptera pourtant, un peu par hasard, un peu par nécessité comme son ami. Mais, amis, le sont-ils vraiment ? C’est la question fondamentale de ce livre. Que signifie amitié, quelle en est la frontière et quelles limites autorise-t-elle ?
L’intrigue est à peine existante. Elle n’est qu’un prétexte à laisser filer un doux ennui pour illustrer finalement la profonde solitude dans laquelle se morfond, mais complaisamment, le narrateur.
Ce roman est aussi celui de la difficulté de nouer de véritables amitiés, la vie se chargeant par l’éloignement, la rivalité et surtout, ici, la trahison, de les briser, à peine formées. Il met aussi en scène, d’une certaine façon, le lent passage du stade d’adolescent à celui d’adulte devant faire face à ses responsabilités, prendre des décisions ou refuser de les prendre, par peur de s’assumer. C’est aussi le lieu pour dire la difficulté à voir ses propres parents comme des êtres de chair et de sang, des êtres s’étant livrés nécessairement à l’amour physique pour vous engendrer alors que soi-même l’on découvre progressivement les vertiges de la chair sans toutefois oser franchir le pas. Bref, un monde en pleine transformation, à l’aube la seconde guerre mondiale, du fascisme dont on perçoit les échos assourdis en toile de fond.
Pourtant ce roman, dois-je dire, distille un certain ennui. Celui d’une neutralité littéraire indubitablement voulue mais qui à force de nous plonger dans une observation nombriliste nous fait friser le lent ensommeillement. Il y manque un côté écorché, exalté, révolté pour en faire un ouvrage brillant. Dommage…
Publié aux éditions L’étrangère – Gallimard – 226 pages
Derrière la porte est un roman très inspiré de ses années de lycée. Il met en scène trois adolescents. Cattolica, premier de la classe, le fortiche de service, celui que vénèrent tous les profs et également officiellement fiancé à seize ans. Pulga, être chétif et suant, moyen et veule, enfant de la classe moyenne aux parents moyens mais que l’auteur, éternel poulidor de la classe, transposé dans la peau d’un gamin juif né d’un père médecin et rentier, adoptera pourtant, un peu par hasard, un peu par nécessité comme son ami. Mais, amis, le sont-ils vraiment ? C’est la question fondamentale de ce livre. Que signifie amitié, quelle en est la frontière et quelles limites autorise-t-elle ?
L’intrigue est à peine existante. Elle n’est qu’un prétexte à laisser filer un doux ennui pour illustrer finalement la profonde solitude dans laquelle se morfond, mais complaisamment, le narrateur.
Ce roman est aussi celui de la difficulté de nouer de véritables amitiés, la vie se chargeant par l’éloignement, la rivalité et surtout, ici, la trahison, de les briser, à peine formées. Il met aussi en scène, d’une certaine façon, le lent passage du stade d’adolescent à celui d’adulte devant faire face à ses responsabilités, prendre des décisions ou refuser de les prendre, par peur de s’assumer. C’est aussi le lieu pour dire la difficulté à voir ses propres parents comme des êtres de chair et de sang, des êtres s’étant livrés nécessairement à l’amour physique pour vous engendrer alors que soi-même l’on découvre progressivement les vertiges de la chair sans toutefois oser franchir le pas. Bref, un monde en pleine transformation, à l’aube la seconde guerre mondiale, du fascisme dont on perçoit les échos assourdis en toile de fond.
Pourtant ce roman, dois-je dire, distille un certain ennui. Celui d’une neutralité littéraire indubitablement voulue mais qui à force de nous plonger dans une observation nombriliste nous fait friser le lent ensommeillement. Il y manque un côté écorché, exalté, révolté pour en faire un ouvrage brillant. Dommage…
Publié aux éditions L’étrangère – Gallimard – 226 pages
19.4.07
Dona Flor et ses deux maris – Jorge Amado
Il est des livres comme des recettes de cuisine. Certains plats sont insipides et vous les oubliez sitôt après les avoir avalés. D’autres en revanche ont fait l’objet d’une longue et minutieuse préparation. Ils sont sources d’invention, de créativité débridée et vous surprennent bouchée après bouchée si bien que vous vous précipitez encore dessus sans même avoir faim.
Cette extraordinaire saga bahianaise est de ces dernières recettes. Une merveille absolue, un chef d’œuvre. Jorge Amado, l’un des grands maîtres de la littérature brésilienne décédé en 2001, nous entraîne dans une folle saga de plus de 700 pages dont l’on sert ravi, étourdi, ébahi. Une pluie d’étoiles !
Dona Flor est une jeune femme pauvre des faubourgs de Bahia. Malgré l’opposition de sa mère, elle va épouser à vingt ans, Vadinho, un jeune garçon séducteur, charmant, cajoleur et craquant. Vadinho est un amant merveilleux qui va révéler à Flor sa propre sensualité. Seulement, Vadinho est aussi et surtout un coureur invétéré de jupons et un joueur effréné qui mise tout sur le 17 à la roulette. Vadinho jouera un dernier tour à sa jeune épouse travailleuse, sérieuse et économe en mourant, foudroyé de trop d’alcool et de nuits d’insomnie, en plein carnaval.
Après une période veuvage et de doutes, Flor épousera en secondes noces le Docteur Teodoro, pharmacien et notable. Une ascension sociale en bref. Ce brave docteur est à l’absolu opposé de Vadinho : fidèle, organisé, docte, appliqué en amour qu’il pratique à horaires régulés le mercredi une fois et le samedi avec un bis. Un être rassurant, droit et prévisible.
Et bientôt, Flor s’ennuiera et appellera Vadinho en esprit. Comme nous sommes en plein royaume de la sorcellerie et des esprits de Bahia, Vadinho reviendra et bientôt Flor devra composer avec deux maris, l’un encombrant, imprévisible mais fabuleux amant, l’autre calme mais un rien pépère et ennuyeux.
Une fable épique sur l’ambivalence des sentiments, sur la difficulté de faire des choix raisonnables et d’arbitrer entre nos sentiments contradictoires. Une fable sur les apparences aussi et les secrets qu’elles dissimulent.
Derrière cette histoire originale se cache un style d’une totale inventivité où le narrateur ne cesse de se placer en position de commentateur un rien distant et pédant, accentuant par des comparaisons imagées et inattendues, le caractère drolatique de la fable.
La moindre situation est prétexte à débrider l’imagination et à nous entraîner dans la folle vie des habitants de Bahia : une vie d’insouciance, de jeu, d’amour, de frivolité et de pratiques en sorcellerie. Une vie où nul n’est terne : tout brille, tout bouge, tout surprend, tout est vie même la mort, simple prétexte à banqueter, boire, rire et s’amuser comme l’introduction délirante du livre nous le démontre.
Les personnages sont brossés avec une force rare et accentuent le caractère multiracial de l’endroit où se déroule l’action. Blanc, noirs, métis, indiens et esprits cohabitent dans la plus grande cohésion. La victoire est souvent au plus entreprenant, au plus tricheur, au plus roublard ou à celui qui sait boire, aimer et jouer.
J’ai plutôt une aversion envers les ouvrages longs, de crainte de voir le fil de l’histoire se distendre. Ici, une fois commencé, on ne peut refermer l’ouvrage. Musique, humour et situations les plus loufoques vous prennent aux tripes. Le tout enrobé dans un style riche, brillant comme l’or du Brésil, dansant comme une salsa, pétillant comme l’amour. Une véritable féerie enchanteresse.
Un seul conseil : bloquez dix bonnes heures pour un plaisir littéraire absolu !
Publé aux editions a Cosmopolite Stock – 709 pages
Cette extraordinaire saga bahianaise est de ces dernières recettes. Une merveille absolue, un chef d’œuvre. Jorge Amado, l’un des grands maîtres de la littérature brésilienne décédé en 2001, nous entraîne dans une folle saga de plus de 700 pages dont l’on sert ravi, étourdi, ébahi. Une pluie d’étoiles !
Dona Flor est une jeune femme pauvre des faubourgs de Bahia. Malgré l’opposition de sa mère, elle va épouser à vingt ans, Vadinho, un jeune garçon séducteur, charmant, cajoleur et craquant. Vadinho est un amant merveilleux qui va révéler à Flor sa propre sensualité. Seulement, Vadinho est aussi et surtout un coureur invétéré de jupons et un joueur effréné qui mise tout sur le 17 à la roulette. Vadinho jouera un dernier tour à sa jeune épouse travailleuse, sérieuse et économe en mourant, foudroyé de trop d’alcool et de nuits d’insomnie, en plein carnaval.
Après une période veuvage et de doutes, Flor épousera en secondes noces le Docteur Teodoro, pharmacien et notable. Une ascension sociale en bref. Ce brave docteur est à l’absolu opposé de Vadinho : fidèle, organisé, docte, appliqué en amour qu’il pratique à horaires régulés le mercredi une fois et le samedi avec un bis. Un être rassurant, droit et prévisible.
Et bientôt, Flor s’ennuiera et appellera Vadinho en esprit. Comme nous sommes en plein royaume de la sorcellerie et des esprits de Bahia, Vadinho reviendra et bientôt Flor devra composer avec deux maris, l’un encombrant, imprévisible mais fabuleux amant, l’autre calme mais un rien pépère et ennuyeux.
Une fable épique sur l’ambivalence des sentiments, sur la difficulté de faire des choix raisonnables et d’arbitrer entre nos sentiments contradictoires. Une fable sur les apparences aussi et les secrets qu’elles dissimulent.
Derrière cette histoire originale se cache un style d’une totale inventivité où le narrateur ne cesse de se placer en position de commentateur un rien distant et pédant, accentuant par des comparaisons imagées et inattendues, le caractère drolatique de la fable.
La moindre situation est prétexte à débrider l’imagination et à nous entraîner dans la folle vie des habitants de Bahia : une vie d’insouciance, de jeu, d’amour, de frivolité et de pratiques en sorcellerie. Une vie où nul n’est terne : tout brille, tout bouge, tout surprend, tout est vie même la mort, simple prétexte à banqueter, boire, rire et s’amuser comme l’introduction délirante du livre nous le démontre.
Les personnages sont brossés avec une force rare et accentuent le caractère multiracial de l’endroit où se déroule l’action. Blanc, noirs, métis, indiens et esprits cohabitent dans la plus grande cohésion. La victoire est souvent au plus entreprenant, au plus tricheur, au plus roublard ou à celui qui sait boire, aimer et jouer.
J’ai plutôt une aversion envers les ouvrages longs, de crainte de voir le fil de l’histoire se distendre. Ici, une fois commencé, on ne peut refermer l’ouvrage. Musique, humour et situations les plus loufoques vous prennent aux tripes. Le tout enrobé dans un style riche, brillant comme l’or du Brésil, dansant comme une salsa, pétillant comme l’amour. Une véritable féerie enchanteresse.
Un seul conseil : bloquez dix bonnes heures pour un plaisir littéraire absolu !
Publé aux editions a Cosmopolite Stock – 709 pages
15.4.07
Infection – Sergi Pames
Catalan, né à Paris, Sergi PAMES a été classé parmi les dix écrivains espagnols devant être lus.
Infection est un recueil de nouvelles toutes traitées sur le même mode : courtes, un rien décalées, caustiques, mettant en scène des situations de la vie courante, souvent nocturnes aussi car c’est là que la vie catalane atteint son comble. Toutes aussi, elles s’achèvent sur une chute inattendue et amusante.
L’effet est garanti. Si vous aimez les nouvelles, celles-ci valent le détour.
Si, comme moi, vous n’êtes pas un fanatique du genre, vous aurez fait le tour en une grosse heure de ce petit recueil et découvert un auteur plein de talents qui cisèle en finesse des histoires tranchantes comme des lames.
Comme souvent, la valeur en est inégale mais en moyenne, elles frappent le lecteur par leur inventivité et leur ton impertinent.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 123 pages
Infection est un recueil de nouvelles toutes traitées sur le même mode : courtes, un rien décalées, caustiques, mettant en scène des situations de la vie courante, souvent nocturnes aussi car c’est là que la vie catalane atteint son comble. Toutes aussi, elles s’achèvent sur une chute inattendue et amusante.
L’effet est garanti. Si vous aimez les nouvelles, celles-ci valent le détour.
Si, comme moi, vous n’êtes pas un fanatique du genre, vous aurez fait le tour en une grosse heure de ce petit recueil et découvert un auteur plein de talents qui cisèle en finesse des histoires tranchantes comme des lames.
Comme souvent, la valeur en est inégale mais en moyenne, elles frappent le lecteur par leur inventivité et leur ton impertinent.
Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 123 pages
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