28.6.08

Le phare – P.D. James

Amateurs de romans policiers dans la grande tradition britannique, ce livre est fait pour vous.

Perdue sur une île au large de la Cornouailles, une petite communauté vit en autonomie et en toute discrétion. Sa raison d’être est l’entretien de quelques cottages dont l’usage est exclusivement réservé aux VIPs du monde entier qui se rendent là, en toute discrétion, pour se reposer. Leur tranquillité est préservée grâce à de stricts statuts qui interdisent toute communication et tout accès à l’île pour le commun des mortels.

Tout à coup, la petite vie bien réglée de cette collection d’individus dont nous allons peu à peu découvrir le passé, est troublée par la survenue d’un décès.

Un écrivain anglais, mondialement célèbre, est retrouvé pendu à la rambarde du phare majestueux qui indique l’île aux navigateurs.

Dépêchés en secret sur l’île, le commandant Dalgliesh et ses deux acolytes ne vont pas tarder à soupçonner un meurtre bientôt scientifiquement confirmé.

Le décor est planté pour que l’auteur, un des maîtres contemporains du genre, se livre à une minutieuse description des ressorts psychologiques et affectifs qui animent chacun des membres de la petite collectivité. Derrière la tranquillité de façade se cachent des secrets plus ou moins lourds qui pourraient faire de la plupart le meurtrier idéal.

L’une des forces du livre est également de montrer une équipe policière moderne, telle qu’elle est : un trio humain, en proie aux doutes, et dont la vie personnelle en plein chambardement affecte plus ou moins la vision professionnelle de la situation. Deux hommes et une femme en construction, aux passés personnels abîmés par la vie et ses déceptions. Trois êtres en devenir et à des tournants personnels.

Le roman se déroule sur un ton très intimiste. Même si l’horreur y est présente, la violence est feutrée et les bonnes manières toujours préservées. La contrepartie en est un livre au rythme lent : trois jours y sont détaillés en plus de 400 pages. C’est dire si les sentiments et les ressentiments y sont disséqués avec une précision quasi chirurgicale.

Il ne faut donc pas y chercher un rythme effréné. Toute la force repose sur cette lenteur progressive et où les rebondissements sont savamment distillés jusqu’au dénouement, comme toujours, surprenant.

Bref, un bon moment pour un bon polar, même si vous trouverez dans Cetalir quelques titres du genre que nous avons préférés à celui-ci (cf Manta Corridor ou Déjanté par exemple).

Publié aux Editions Fayard – 424 pages

23.6.08

Ravel – Jean Echenoz

Qualifié de roman, il s’agit plutôt d’une biographie précise et détaillée des dix dernières années de Ravel.

Dix années marquées par la gloire – Ravel est alors le compositeur le plus admiré au monde à égalité avec Stravinsky – mais aussi dix années marquées par un lent déclin de l’esprit.

C’est dans cette dualité que l’humanité du compositeur apparaît dans son entièreté. Elle est admirablement rendue par Echenoz qui sait décrire avec pudeur les progrès inéluctables d’une maladie dans laquelle les facultés intellectuelles immenses de l’artiste vont s’affadir jusqu’à disparaître totalement quelques semaines avant sa mort.

C’est aussi cette souffrance qui distancie Ravel par rapport à lui-même, qui le fait voir à lui-même comme un autre que soi dont il admire les œuvres qu’il ne reconnaît plus comme siennes, les ayant oubliées, qui rend l’homme admirable et pardonnable.

Car Ravel avait un caractère épouvantable. Homme malingre et au visage peu amène, c’était un véritable dandy, tiré à quatre épingles, soucieux du moindre détail jusqu’à refuser d’apparaître en public faute d’avoir ses souliers vernis. Il les fit venir de Paris à Vienne par le mécanicien du premier train afin d’éviter un incident diplomatique.

Il oubliait les noms, y compris de ses plus intimes, les désignant par des métaphores souvent peu glorieuses et se comportait vis-à-vis d’eux comme un malfrat peu reconnaissant.

Parfois imbu de sa personne, souvent asocial, il éprouvait de réelles difficultés à communiquer en société.

Pourtant ce fut une star adulée, portée aux nues et dont le fameux boléro l’imposa comme un novateur absolu. Médiocre pianiste, médiocre instrumentiste, il n’en composa pas moins des œuvres pour piano seul ou piano et orchestre (cf ses deux concerti) d’une difficulté technique presque sans pareille. Il fut l’un des compositeurs majeurs du vingtième siècle, un de ceux qui firent la transition entre le romantisme et la musique atonale.

Echenoz nous fait voir l’homme ; celui qui doute, qui souffre, qui se débat avec les multiples difficultés, mentales ou musicales, pour se transcender et faire avancer l’humanité.

Un livre touchant et indispensable à tous ceux qui s’intéressent un tant soi peu à la musique et aux hommes qui la composent.

Publié aux Editions de Minuit – 124 pages

13.6.08

L’amour soudain – Ahar on Appelfe

Le grand romancier israélien nous propose une fois encore un parcours intérieur dans un univers clos, celui qui va se nouer entre deux personnages, progressivement.

A l’automne de sa vie, un écrivain juif originaire des Carpathes et émigré à Tel-Aviv va prendre les services d’une jeune femme, simple, travailleuse et dévouée.

Veuf de sa première épouse dont on apprendra qu’elle est morte pendant la retraite de Russie et divorcé de sa seconde épouse, qu’il détestait, l’écrivain par ailleurs spécialiste des langues et membre de l’intelligentsia locale, vit en reclus et en toute simpicité.

Malade d’un cancer et temporairement en phase de rémission, il entreprend de conter sa vie. Entre lui et Irena, la jeune femme qui prend soin de lui, va se nouer petites touches par petites touches, une relation chaste mais fusionnelle. Un sentiment d’une telle pureté qu’il va permettre à l’écrivain de trouver le chemin d’une écriture allégée, essentielle, celle qui va droit au cœur des lecteurs.

Une écriture qui lui permet d’affronter ses démons. Tout jeune, il s’embrigada dans les jeunesses communistes et, grâce à son talent d’écriture et de dialectique, il en devint un cadre essentiel entièrement tourné vers la persécution des siens, Juifs, pour les sauver d’une religion abrutissante et dégradante.

Coupé de ses parents dont le silence pesant l’étouffait, il lui faudra la fureur de la deuxième guerre mondiale, ses horreurs et les exactions staliniennes pour comprendre ses erreurs et, progressivement, se rapprocher de ceux qu’il aura abominés et terrorrisés.

Cette vie dont il se repent et le retour vers ses souvenirs d’enfance, ryhtmés par une religion ancrée au plus profond du quotidien ne pourront refaire surface que grâce au progrès de la maladie qui accélère l’urgence de se souvenir et d’écrire et à l’amour quasi céleste qui se noue entre lui et Irena.

C’est à un duo entre deux êtres que tout oppose que se livre brillamment Appelfeld, une fois de plus. Celui de l’érudit dont l’intégrité physique ne cesse diminuer d’une part, celui d’Irena, femme simple et aimante, auditrice attentive des récits où l’écrivain met avec énergie et détermination toute son âme, tout son cœur et tout l’amour qu’il éprouve une dernière fois.

Un duo aux phrases minimalistes car il y a peu à dire quand les âmes savent dialoguer. La force de ce roman réside dans sa puissance évocatrice et ses plongées, en apnée, dans un passé idéal et perdu qu’il convient de faire connaître aux nouvelles générations avant qu’il ne soit trop tard.

Car la vie n’est pas l’érudition. C’est ce que comprend enfin l’écrivain. Elle est avant tout savoir être aux autres, les écouter et apprendre d’eux. Elle est symbiose avec son environnment, ce que dit la religion hébraïque de façon symbolique lorsqu’il convient de laver à grande eau ses péchés dans la rivière.

Un superbe moment de sincèrité, un cheminement vers le dépouillement indispensable quand on sait avoir encore le temps de se préparer à la mort qui vous attend.

Publié aux Editions de l’Olivier – 232 pages

6.6.08

Vie et mort de Samuel Rozowski – Myriam Anissimov

Sans cesse, au fil des pages, je me serai interrogé sur le fait de savoir si ce roman était bon ou mauvais. Une fois la dernière page refermée, j’avoue encore hésiter. Comme Salomon, je ne m’engagerai pas trop et finirai par dire qu’il est sans doute moyen… Mais très moyen, alors !

Il faut avancer dans la lecture pour réaliser que les cinquante premières pages ont quelque chose à voir avec la suite. Pourtant, tout donne l’impression qu’il s’agirait plutôt de deux récits, commencés indépendamment l’un de l’autre, et qu’un éditeur inattentif aurait assemblé par hasard. C’est dire, mais je dois finalement être insensible à certains partis-pris littéraires qui consistent à semer délibérément le lecteur.

On finit, cahin-caha, par comprendre que cette jeune femme juive à l’adolescence tumultueuse à une époque où coucher signifiait assez rapidement avorter, par faiseuse d’ange interposée, et ce gangster juif qui, après de minables casses de braves commerçants, juifs pour la plupart, finit par assassiner deux vendeuses d’une boutique chic de lingerie après un hold-up qui tourne mal, ont un point commun. Ma phrase est longue et tortueuse, j’en conviens. Dites-vous qu’elle traduit le cours sinueux de la pensée peu inspirée de Myriam Anissimov !

Bref, ces deux personnages sont liés par une même vie. Celle d’une femme d’âge mur, partie à Riga retrouver son compagnon, chef d’orchestre assez insupportable et qui met à profit un vol fastidieux et long pour repasser les étapes essentielles de sa vie.

L’adolescente indomptable, ce fut elle. Le voyou, Samuel Rozowski, défraya la chronique et rassembla sous sa cause improbable et brillamment défendue par un avocat ambitieux et talentueux, une multitude prête à l’innocenter quand le dossier d’instruction l’accablait. Elle fut de cette multitude, y crut. Ses parents connurent ceux de Samuel : il y a comme un devoir de loyauté. Déçue par Samuel, dupée par lui, elle le laissa tomber, peu de temps avant que lui-même ne tombe sous les balles de terroristes qu’il avait floués.

La culture hébraïque, le yiddish et l’allemand sont omniprésents dans cet ouvrage. Bref, le fond commun de ce qui fit la culture d’un peuple décimé il y a plus de soixante ans. On y apprend pas mal sur le laxisme occidental, pendant le carnage, ainsi que sur la faiblesse des poursuites légales, bien vite interrompues, des bourreaux des camps de la mort. Mais tout ceci reste superficiel, comme l’ensemble de cet ouvrage.

Rozowski, personnage inspiré d’un fait réel des années soixante, entretenait une relation pour le moins ambiguë avec les Juifs, fils de héros de la résistance et meurtrier inconfessé, calque son comportement sur le personnage principal d’un roman populaire yiddish de la moitié du XXeme siècle. Il n’en a pas la classe.

Manipulateur, philosophe, retords, il n’en reste pas moins un personnage psychotique, vulgaire et qui n’inspire que dégoût. Il est une certaine fascination à voir comment les foules peuvent ainsi se convaincre de contre-vérités frappantes.

Pour le reste, nous sommes improprement trimballés entre les grands nazis, pourchassés pour payer leurs fautes, les membres des services secrets israéliens chargés de les liquider ou de les arrêter, les mafieux russes et une portion de l’intelligentsia parisienne.

Tout cela manque d’allant, de tenue, de structure : on se perd bien vite et l’attention est inversement proportionnelle au volume des pages écoulées…

Publié aux Editions Denoël – 244 pages

1.6.08

Le bouddha blanc – Hitonari Tsuji

Comme nous l’apprend la postface de l’auteur, ce superbe roman a été inspiré par la vie de son grand-père, Yutaka Imamura, armurier et qui, comme le héros du livre, fit ériger un bouddha blanc sur la fin de sa vie.

Hitonari Tsuji, qui s’est toujours interrogé sur les motivations de cette démarche, a tenté ici d’inventer des réponses cohérentes et intimes.

Une fois de plus, Tsuji nous invite à un parcours intérieur, tout en retenue, en finesse, en subtilité. Celui d’une vie. La vie de Minoru Eguchi qu’au soir de sa mort, entouré de ses enfants et de sa fidèle épouse, Nue, ce dernier va passer en revue, une dernière fois.

Minoru est armurier, sur une petite île, au large de Osaka. La population y est essentiellement agricole, vivant des rizières et d’un peu de pêche. Son métier, il l’a reçu en héritage de son père, qui l’avait lui-même reçu de son propre père.

Nous sommes au début du vingtième siècle. A l’occasion de la guerre sino-russe, l’armurerie paternelle va connaître un formidable essor, délaissant la fabrication des sabres de samouraï et des baïonnettes pour s’occuper de la réparation des fusils « 1906 ». Minoru va se révéler un formidable artisan, très jeune.

Quelques évènements majeurs vont marquer la vie de Minoru et dicter toute sa conduite par la suite.

Le premier, c’est la rencontre avec Otowa, une jeune fille îlienne, symbole de féminité. C’est elle qui l’initiera très tôt à la vie sexuelle. Elle lui fera promettre un amour éternel. Toute sa vie, malgré une fidélité totale à sa future épouse, il restera amoureux, post mortem, d’Otowa. Toute sa vie, Otowa surgira et l’invitera à un dialogue intérieur et le préparera, le moment approchant, à la rejoindre dans la mort.

Le deuxième événement fut dicté par la guerre. Envoyé au front sibérien pendant la seconde guerre mondiale, Minoru n’aura d’autre choix que de tuer un adversaire, l’achevant horriblement à la baïonnette. Cette épreuve hantera ses pensées et ses rêves. Orthogonale à ses principes, elle invitera Minoru à s’interroger sans cesse sur le bien et le mal et conduira ses pas dans toutes les grandes décisions qu’il aura à prendre.

Le troisième événement tient à la métempsycose, comme dans « l’arbre du voyageur », bloggué ici. La réincarnation tient une place essentielle dans la pensée bouddhiste. Minoru sera personnellement confronté à la métempsycose. Via sa fille, Rynko, dont il apparaîtra bientôt qu’elle est la réincarnation d’une grande prêtresse bouddhiste. Via des flashes qui surgissent sporadiquement dans la tête de Minoru pour l’avertir, à tous les moments cruciaux de sa vie, du futur très proche lui donnant à revivre certaines scènes d’une vie antérieure.

Mais l’élément structurant, celui qui donne un sens à tout ce qui précède ainsi qu’aux deuils douloureux qui parsèment toute vie, c’est le bouddha blanc.

Celui-ci surgit devant les yeux de Minoru à quatre ou cinq reprises dans sa vie, lui indiquant le chemin à suivre, sereinement mais avec une force irrésistible. C’est lui qui fera de Minoru un homme intègre, respecté, droit et entreprenant.
Arrivé à la fin de sa vie, ayant achevé un parcours familial et social exemplaire, malgré les épreuves traversées, Minoru n’aura qu’une seule pensée en tête : réunir les ossements de tous les défunts enterrés dans l’île, puis les broyer pour les transformer en une poudre blanche. De cette poudre, faire ériger un superbe bouddha blanc, debout, pour mieux sauver les enfants, par un artiste digne de cette réalisation.

Car en mêlant les ossements, c’est une des valeurs bouddhistes fondamentales qui s’accomplit : toute différence sociale ou humaine disparaît. Chaque homme et femme redevient égal et tous se trouvent mêlés.

On l’aura compris, il s’agit d’une œuvre profondément personnelle de l’auteur. Une œuvre intime, essentielle, pure, sans scorie. Chaque page est d’une beauté absolue. Point de haine, au seuil de la mort : le juste sentiment du devoir accompli, celui de laisser une famille en paix et de réunir, en paix encore, les habitants de l’île dans un projet sublimant.

S’il n’était qu’une oeuvre de Tsuji à découvrir, ce serait celle-ci.

Un grand bravo, une fois de plus, à la traductrice qui réalise un travail remarquable.

Publié aux Editions Mercure de France – 261 pages