Il est des livres qui, d’emblée, sortent de l’ordinaire et laissent une trace durable dans l’esprit d’un boulimique de lecture comme moi. Par l’originalité de son thème, sa tonalité mélancolique mais fulgurée de pointes d’optimisme ici ou là, l’extrême précision psychologique des personnages à la dérive et qui ont perdu leurs plus profondes attaches, la qualité de son écriture, « Les chaussures italiennes » s’imposent comme une de mes découvertes majeures de l’année 2009.
Le thème récurrent qui sous-tend l’œuvre est celui de la recherche de soi ou comment l’amour, sous toutes ses formes mais toujours pudiquement ici, souvent à la frontière du simple souci de l’autre, peut recréer du lien social, des attaches affectives fondamentales pour des personnages qui, pour des raisons différentes, sont en rupture de la société, condamnés à la solitude, l’incompréhension, la violence ou la mort. Ou comment un évènement fortuit, une rencontre non sollicitée, une découverte inattendue peut transformer une vie d’ombres et de désespoir un des univers possibles qui amènent à se reconsidérer soi-même, à envisager de donner du sens à une vie qui n’en avait plus guère.
Or, et c’est la force de ce roman, l’auteur sait ne pas tomber dans le pathos, le tragique ou l’hypertrophie face à des thèmes aussi lourds. Au contraire, une écriture maîtrisée fondée sur les nuances, les infimes variations du quotidien, la vertu de laisser au temps le soin de donner et prendre du sens font du livre un récit aux profondes racines, puissant sans ostentation, souvent bouleversant.
Un homme de soixante cinq ans vit seul sur une île de la Baltique simplement accompagné d’un vieux chat, d’un chien souffreteux et d’une fourmilière géante qu’il a laissé s’installer depuis dix ans dans son salon déserté. Il vit reclus là, simplement visité d’un facteur que la présence de cet ancien chirurgien, retiré du monde et de lui-même, conforte à ce que cet employé des postes se considère comme un éternel malade imaginaire. L’activité principale de l’habitant solitaire îlien consiste à creuser un trou dans la glace de la mer et à s’y plonger, en un geste de catharsis symbolique et douloureux.
Soudainement, la vie de cet homme va basculer lorsque, Hariett, une femme qu’il a aimée trente ans plus tôt et qu’il a abandonnée sans explication, lâchement, va surgir inopinément. Hariett est en phase terminale d’un cancer et vient solder une existence entachée d’un lourd secret.
A partir de cette survenue, notre homme va devoir quitter son île, partir à la quête de souvenirs profondément enfouis dans les forêts enneigées d’une Suède glaciale et solitaire, accepter d’être ce qu’il ne pouvait imaginer être en faisant une découverte capitale. Par la magie de rencontres que nous vous laisserons le soin de découvrir et parce que celles-ci vont lui donner la force de sortir de sa réclusion volontaire, il va alors entreprendre une démarche de repentance envers une patiente dont il a brisé la vie, suite à une erreur médicale. Une démarche qui, à nouveau, va lui ouvrir les yeux sur des misères, des terreurs et des horreurs bien plus profondes que les siennes propres et, peu à peu, l’obliger à prendre conscience de la fatuité de son isolement jusqu’à redonner un sens à une vie qui était dans une impasse totale.
Chaque personnage est porteur d’une souffrance particulière qui a besoin d’un autre, d’actes souvent incompréhensibles au premier abord pour s’exprimer et devenir, plus ou moins, supportable. C’est de la combinaison de ces maux, de la juxtaposition des chemins ne menant nulle part de tous ces personnages que sortira un avenir positif redevenu possible parce que ceux qui auront survécu auront su accepter de s’assumer.
Un livre rare et magnifique.
Publié aux Editions Seuil – 2009 – 341 pages