Un bien joli titre pour un joli roman. Kader Abdolah est iranien d’origine. Physicien de formation, il émigre aux Pays-Bas en 1988 où il obtient le statut de réfugié politique. Il en apprend la langue rugueuse et commence alors à rédiger nativement en néerlandais plusieurs romans, dont « Le voyage des bouteilles vides ».
Ce roman traite du thème de l’exilé déraciné qui arrive dans un pays, en l’occurrence les Pays-Bas, pour fuir la terreur qui règne en Iran. Un roman autobiographique donc. Grâce à une langue très poétique, chantante comme le sont souvent les langues du Moyen-Orient, Kader Abdolah nous dépeint avec justesse et émotion la difficulté à s’acclimater quand il vous manque les mots, la structure grammaticale pour dire.
Dire fait aussi partie d’un apprentissage d’une nouvelle vie car, pendant des années, il a fallu se méfier et se taire, par peur des représailles.
S’intégrer dans un pays occidental, c’est aussi renoncer à une grande partie de sa culture, accepter l’émancipation de sa femme, ne plus voir en elle une sorte d’esclave domestique au service de son homme. C’est donc prendre le risque de voir sa compagne, entreprenante, moderne et libérée, vous échapper, et en tant qu’homme perdre son statut de dominant. Perdre tous ses repères, petit à petit.
L’auteur rend compte avec précision et un doigté sensible de l’écartement dans lequel l’émigré se trouve. Il perd sa culture, ses références, les contes et les traditions qui ont fait de lui ce qu’il a été, socialement intégré dans son pays d’origine. Pour autant, il lui faudra parcourir un long chemin avant de s’intégrer. Franchir le redoutable obstacle de la langue. Comprendre les règles du jeu occidentales en matière de communication et de sociabilité. Envisager la possibilité de l’homosexualité masculine en la découvrant littéralement à sa porte, chez son voisin immédiat.
Le voyage des bouteilles vides, c’est celui des bouteilles que chacun des hommes de la famille a remisées dans une cave, en-dessous de la maison familiale, depuis des centaines d’années. Des bouteilles qui portent la date à laquelle elles ont été ouvertes et en l’honneur de quoi. Pour conserver la mémoire des évènements familiaux, pour comprendre ce qui nous lie au passé et nous enchaîne à un futur que nous ne connaîtrons pas.
C’est celui aussi d’un alcoolisme occidental, un alcoolisme pour masquer la dépression de ceux qui vivent au coin de notre porte et que nous ne savons ni voir ni entendre. Un même objet pour décrire deux cheminements antinomyques.
Jamais le livre ne sombre dans le sordide. Il y a toujours un petit grain de joie, de poésie, de pensée différente qui nous permet de progresser dans la découverte d’un auteur à part, sensible, qui fait le pont entre deux cultures si différentes.
A découvrir.
Publié aux Editions Gallimard – 189 pages
Blog d'humeur littéraire - Livres, lectures, romans, essais, critiques. La lecture comme source de plaisir, d'inspiration et de réflexion.
Qui êtes-vous ?
- Thierry Collet
- Cadre dirigeant, je trouve en la lecture une source d'équilibre et de plénitude. Comme une mise en suspens du temps, une parenthèse pour des évasions, des émotions que la magie des infinis agencements des mots fait scintiller. Lire m'est aussi essentiel que respirer. Lisant vite, passant de longues heures en avion, ma consommation annuelle se situe entre 250 et 300 ouvrages. Je les bloggue tous, peu à peu. Tout commentaire est bienvenu car réaliser ces notes de lecture est un acte de foi, consommateur en temps. N'hésitez pas également à consulter le blog lecture/écriture auquel je contribue sur le lien http://www.lecture-ecriture.com/index.php Bonnes lectures !
29.12.08
26.12.08
Les herbes du chemin – Sôseki
Sôseki est un des grands romanciers japonais de la fin du XIXeme – début du Xxeme siècle.
« Les herbes du chemin » constitue son dernier roman, écrit en 1915 alors qu’il était malade et n’allait pas tarder à mourir.
Un roman très autobiographique qui nous laisse découvrir un personnage incapable de maîtriser ses émotions, hypersensible, égocentrique, ayant un rapport au temps proche de celui d’un avare à l’argent. Il en manque toujours mais n’en fait rien !
Un mari égoïste et rarement à l’écoute de son épouse, un couple bizarre, bancal et où les disputes sont fréquentes et se traduisent par le fait que le mari se réfugie dans son bureau à la moindre occasion.
Un père coupé de ses enfants pour lesquels il semble n’éprouver aucun sentiment.
Et surtout, un homme tourmenté par des problèmes d’argent. Placé à trois ans dans une famille adoptive selon la loi japonaise qui rend cette démarche très simple, Kenzô, le personnage principal du roman, va suivre le même chemin que celui emprunté par Sôseki lui-même.
Il sera élevé par une famille adoptive qui mettra de côté tout l’argent reçu de la famille d’origine de Kenzô et l’élèvera chichement. A la suite du divorce de ses parents adoptifs, Kenzô retournera dans sa famille génétique et son père de sang devra acquitter une pension alimentaire à son père adoptif. Jamais il ne sera véritablement accepté par ses parents génétiques qui auront été obligés de le reprendre. Toute notion d’amour filial est absente.
Devenu adulte, Kenzô se débattra toujours avec l’argent. Il en gagne trop peu pour assurer une vie décente à sa famille. Sa femme, en cachette de lui, n’a d’autres solutions que de porter kimonos et objets précieux chez les usuriers.
Lorsque Kenzô se décidera à travailler plus sur l’insistance de son épouse, pour gagner plus, alors sa famille d’origine comme ses parents adoptifs n’auront de cesse de le harceler pour lui soutirer la moindre somme d’argent. Son train de vie proche du néant combiné à un poste d’enseignant ne peuvent que signifier richesse et économie.
Dépressif, incapable de se maîtriser, centré sur lui-même, asocial, Kenzô saura rarement refuser et s’enfoncera tout seul dans une spirale d’endettement et de vie chiche. Au détriment de sa propre famille, de sa propre épouse qui ne bénéficie jamais de la moindre attention, de ses propres enfants qui le répulsent.
Kenzô, harcelé par son père adoptif malgré un acte signifiant que plus rien n’était dû à ce dernier, va se laisser envahir par ses ex-parents adoptifs qui vont tout mettre en œuvre pour le dépouiller du moindre yen, jouant de son caractère pusillanime.
Un roman sombre qui semble sans issue. Le roman d’un grand dépressif, incapable d’être au monde et de comprendre les fonctionnements normaux des hommes en société.
Littérairement parlant, un roman assez difficile d’approche, dont la langue, très dure, faite de phrases factuelles, presque dénuées de tout sentiment, rend la lecture éprouvante et contribue à l’impression générale de malaise qui suit sa lecture.
A découvrir pour qui s’intéresse à la littérature nippone.
Publié aux Editions Picquier Poche – 246 pages
« Les herbes du chemin » constitue son dernier roman, écrit en 1915 alors qu’il était malade et n’allait pas tarder à mourir.
Un roman très autobiographique qui nous laisse découvrir un personnage incapable de maîtriser ses émotions, hypersensible, égocentrique, ayant un rapport au temps proche de celui d’un avare à l’argent. Il en manque toujours mais n’en fait rien !
Un mari égoïste et rarement à l’écoute de son épouse, un couple bizarre, bancal et où les disputes sont fréquentes et se traduisent par le fait que le mari se réfugie dans son bureau à la moindre occasion.
Un père coupé de ses enfants pour lesquels il semble n’éprouver aucun sentiment.
Et surtout, un homme tourmenté par des problèmes d’argent. Placé à trois ans dans une famille adoptive selon la loi japonaise qui rend cette démarche très simple, Kenzô, le personnage principal du roman, va suivre le même chemin que celui emprunté par Sôseki lui-même.
Il sera élevé par une famille adoptive qui mettra de côté tout l’argent reçu de la famille d’origine de Kenzô et l’élèvera chichement. A la suite du divorce de ses parents adoptifs, Kenzô retournera dans sa famille génétique et son père de sang devra acquitter une pension alimentaire à son père adoptif. Jamais il ne sera véritablement accepté par ses parents génétiques qui auront été obligés de le reprendre. Toute notion d’amour filial est absente.
Devenu adulte, Kenzô se débattra toujours avec l’argent. Il en gagne trop peu pour assurer une vie décente à sa famille. Sa femme, en cachette de lui, n’a d’autres solutions que de porter kimonos et objets précieux chez les usuriers.
Lorsque Kenzô se décidera à travailler plus sur l’insistance de son épouse, pour gagner plus, alors sa famille d’origine comme ses parents adoptifs n’auront de cesse de le harceler pour lui soutirer la moindre somme d’argent. Son train de vie proche du néant combiné à un poste d’enseignant ne peuvent que signifier richesse et économie.
Dépressif, incapable de se maîtriser, centré sur lui-même, asocial, Kenzô saura rarement refuser et s’enfoncera tout seul dans une spirale d’endettement et de vie chiche. Au détriment de sa propre famille, de sa propre épouse qui ne bénéficie jamais de la moindre attention, de ses propres enfants qui le répulsent.
Kenzô, harcelé par son père adoptif malgré un acte signifiant que plus rien n’était dû à ce dernier, va se laisser envahir par ses ex-parents adoptifs qui vont tout mettre en œuvre pour le dépouiller du moindre yen, jouant de son caractère pusillanime.
Un roman sombre qui semble sans issue. Le roman d’un grand dépressif, incapable d’être au monde et de comprendre les fonctionnements normaux des hommes en société.
Littérairement parlant, un roman assez difficile d’approche, dont la langue, très dure, faite de phrases factuelles, presque dénuées de tout sentiment, rend la lecture éprouvante et contribue à l’impression générale de malaise qui suit sa lecture.
A découvrir pour qui s’intéresse à la littérature nippone.
Publié aux Editions Picquier Poche – 246 pages
20.12.08
La répudiée – Eliette Abécassis
Avec une extrême sensibilité et une grande pudeur, Eliette Abécassis nous fait entrer dans la vie d’une jeune femme juive, Rachel, mariée à seize ans à un juif hassidim en plein cœur du quartier traditionaliste de « Méa Shéarim », à Jérusalem.
C’est avec joie qu’elle accepte ce à quoi ses parents l’ont préparée, certains diraient conditionnée : être une épouse loyale, fidèle et entièrement dévoué à son mari, pour que ce dernier puisse totalement se consacrer à l’étude des textes de la Torah. Et surtout, engendrer le plus grand nombre d’enfants possible puisque Dieu a enjoint à l’humanité de croître et de se multiplier et que le mariage ne sert qu’à cela.
D’ailleurs l’acte d’amour est extrêmement réglementé : à dates et périodes fixes, face à face, l’homme au-dessus de la femme, certains conseillant de rester habillés. Il ne faut pas que le plaisir s’immisce dans un geste mécanique et purement utile.
Or, le mariage va se trouver mis en danger car Rachel ne met toujours pas d’enfants au monde. Au bout de dix ans, en cas de stérilité, le mariage peut alors être dissous et l’homme a le droit de se remarier.
Car, bien entendu, la stérilité ne peut provenir que de la femme. Il est inconcevable dans ce quartier traditionaliste qu’il puisse en être autrement.
Et c’est cette douleur de voir l’inéluctable se préparer et se dérouler, alors que Rachel sait, après avoir consulté en cachette, qu’elle n’est pas à la cause de cette stérilité qui est magnifiquement dépeinte.
Le poids des traditions, la pression des familles et de la religion pour faire éclater une union solide, fondée sur l’amour et le respect mutuels, au nom de Dieu qui ne peut accepter un mariage stérile, honteux.
Rachel n’aura d’autre solution que de se sacrifier et d’y laisser toute forme d’espoir d’une vie valant la peine d’être vécue car la femme doit se sacrifier pour son homme.
Drôle de religion… Un livre douloureux et qui donne à réfléchir au libre-arbitre.
Publié en Livre de Poche – 125 pages
C’est avec joie qu’elle accepte ce à quoi ses parents l’ont préparée, certains diraient conditionnée : être une épouse loyale, fidèle et entièrement dévoué à son mari, pour que ce dernier puisse totalement se consacrer à l’étude des textes de la Torah. Et surtout, engendrer le plus grand nombre d’enfants possible puisque Dieu a enjoint à l’humanité de croître et de se multiplier et que le mariage ne sert qu’à cela.
D’ailleurs l’acte d’amour est extrêmement réglementé : à dates et périodes fixes, face à face, l’homme au-dessus de la femme, certains conseillant de rester habillés. Il ne faut pas que le plaisir s’immisce dans un geste mécanique et purement utile.
Or, le mariage va se trouver mis en danger car Rachel ne met toujours pas d’enfants au monde. Au bout de dix ans, en cas de stérilité, le mariage peut alors être dissous et l’homme a le droit de se remarier.
Car, bien entendu, la stérilité ne peut provenir que de la femme. Il est inconcevable dans ce quartier traditionaliste qu’il puisse en être autrement.
Et c’est cette douleur de voir l’inéluctable se préparer et se dérouler, alors que Rachel sait, après avoir consulté en cachette, qu’elle n’est pas à la cause de cette stérilité qui est magnifiquement dépeinte.
Le poids des traditions, la pression des familles et de la religion pour faire éclater une union solide, fondée sur l’amour et le respect mutuels, au nom de Dieu qui ne peut accepter un mariage stérile, honteux.
Rachel n’aura d’autre solution que de se sacrifier et d’y laisser toute forme d’espoir d’une vie valant la peine d’être vécue car la femme doit se sacrifier pour son homme.
Drôle de religion… Un livre douloureux et qui donne à réfléchir au libre-arbitre.
Publié en Livre de Poche – 125 pages
13.12.08
Bright Lights, Big City – Jay McInerney
Pourquoi n’avoir pas traduit le titre de ce roman, mystère ? Peut-être pour attirer le chaland avec un titre qui donne l’impression de se démarquer de la foule ne comprenant pas la signification potentielle de ces quatre mots… Passons.
Ce roman constitue la première publication de l’auteur, en 1984, et rencontra un vif succès dans la jeune génération américaine.
Vraisemblablement car il en décrit de façon assez saisissante les composantes excessives et festives. Une vie professionnelle terne que l’on supporte en se réfugiant à corps perdu dans la cocaïne, d’abord un peu, puis de plus en plus en augmentant les lignes. Histoire de s’abrutir, de trouver à tout prix l’excitation payée à prix d’or.
Puis, pris dans les fêtes nocturnes, l’alcool, les tranquillisants et le sexe car tout est histoire de séduction, pour se rassurer, pour s’illusionner.
A ce jeu là, le personnage principal de ce roman, jeune correcteur dans un journal new-yorkais, finira par y perdre sa femme, mannequin vedette, sa santé, son job et surtout, son âme. Un jeu qui n’en vaut pas la chandelle.
Au plan littéraire, le roman ne présente aucun intérêt particulier en dehors d’une propension humoristique issue d’une bonne pratique de l’understatement.
A part cela, le style est hyper-journalistique, sans saveur particulière et certains chapitres sont carrément bâclés voire ratés. Au bout du compte, vous aurez sans doute tout oublié du bouquin quelques heures après l’avoir refermé.
Bref, un livre qui marqua sa génération, un livre mode et comme tel, un livre qui tombe à plat presque vingt ans plus tard.
Publié aux Editions de l’Olivier – 182 pages
Ce roman constitue la première publication de l’auteur, en 1984, et rencontra un vif succès dans la jeune génération américaine.
Vraisemblablement car il en décrit de façon assez saisissante les composantes excessives et festives. Une vie professionnelle terne que l’on supporte en se réfugiant à corps perdu dans la cocaïne, d’abord un peu, puis de plus en plus en augmentant les lignes. Histoire de s’abrutir, de trouver à tout prix l’excitation payée à prix d’or.
Puis, pris dans les fêtes nocturnes, l’alcool, les tranquillisants et le sexe car tout est histoire de séduction, pour se rassurer, pour s’illusionner.
A ce jeu là, le personnage principal de ce roman, jeune correcteur dans un journal new-yorkais, finira par y perdre sa femme, mannequin vedette, sa santé, son job et surtout, son âme. Un jeu qui n’en vaut pas la chandelle.
Au plan littéraire, le roman ne présente aucun intérêt particulier en dehors d’une propension humoristique issue d’une bonne pratique de l’understatement.
A part cela, le style est hyper-journalistique, sans saveur particulière et certains chapitres sont carrément bâclés voire ratés. Au bout du compte, vous aurez sans doute tout oublié du bouquin quelques heures après l’avoir refermé.
Bref, un livre qui marqua sa génération, un livre mode et comme tel, un livre qui tombe à plat presque vingt ans plus tard.
Publié aux Editions de l’Olivier – 182 pages
11.12.08
L’autre moitié du soleil – Chimamanda Ngozi Adichie
C’est par référence à cette moitié de soleil jaune, cousue sur les manches des militaires de l’armée de la petite et éphémère république du Biafra, que l’auteur a choisi son titre. Ce gros roman se déroule lentement, sur une dizaine d’années. C’est une sorte d’analyse sociologique et affective de deux cellules familiales de la haute société Nigériane, membre de la tribu dominante des Igbos, et qui vont peu à peu se laisser emporter par l’idéal d’une république du Biafra indépendante et autonome et se faire emporter par la guerre et ses horreurs.
Nous sommes à Lagos, capitale du grand Etat du Nigeria au début des années soixante. Olanna est une grande femme séduisante, diplômée d’une grande université Britannique, libre et indépendante. Elle va tomber amoureuse d’un universitaire mathématicien noir, aux idées socialistes avancées, Odenigbo, et le suivre au grand dam de se parents, membres de la haute bourgeoisie locale et faisant affaires avec tout ce qui compte au Nigeria.
Sa sœur jumelle Kainene est plus distante, moins attirante. Elle se consacre totalement à faire prospérer les entreprises de son père et à développer de nouveaux marchés. Richard, écrivain et journaliste laborieux, britannique blond et séduisant, va éprouver un coup de foudre absolu pour elle en même temps qu’il tombe amoureux des bronzes antiques igbo et décide d’y consacrer un livre. Ils vont vivre l’expérience rare à l’époque d’un couple mixte.
C’est à travers ce quatuor, complété de l’indispensable Ugwu, boy de treize ans et enfant surdoué, artisan infatigable de la cohésion du quatuor, que l’auteur va s’attacher à décrire les différents rouages qui ne pourront que conduire à l’explosion du Nigéria et à l’effroyable génocide qui engloutira le Biafra.
Le livre possède une réelle sensibilité féminine et l’on sent que Chimamanda Ngozi Adichie est d’ailleurs beaucoup plus à l’aise pour analyser et mettre en scène la difficulté pour une femme à aimer malgré l’infidélité ou l’adversité, qu’elle ne l’est avec ses personnages masculins plus simples et moins tourmentés. Il en résulte un déséquilibre gênant entre l’extrême précision des affres qu’elle décrit avec compassion pour ses personnages féminins et un tableau plus sommaire des tourments qui peuvent agiter les hommes en toute chose. C’est un des éléments qui m’a le plus perturbé dans ce roman qui devrait cependant conquérir largement un public sensible aux belles histoires, au romantisme, à la grandeur de la défense des causes nobles mais perdues d’avance.
L’aspect le plus intéressant, de mon point de vue, tient à l’analyse pertinente et approfondie des rapports complexes qui lient l’élite Nigériane et la Couronne britannique. On voit bien le jeu de la Couronne pour monter la majorité Hassoua du Nord contre les Igbos du Sud, les rapports d’admiration et de rejet de l’intelligentsia noire vis-à-vis de l’ex colonisateur, l’emprunt et la reproduction du mode de vie des Blancs par les nantis locaux. Lorsque les Igbos commencèrent à devenir puissants et menaçants, il suffit à la Grande Bretagne d’organiser la haine tribale pour retrouver la main-mise sur le pétrole et les richesses d’un des plus grands Etats de l’Afrique noire. Autre temps, autres mœurs : pas sûr, souvenez-vous du Rwanda…
C’est à l’occasion des crises majeures que les véritables personnalités se révèlent. Chacun des cinq personnages principaux qui habitent ce roman en permanence va peu à peu se révéler, chacun à sa façon, se dépasser en faisant don de soi, en renonçant à la facilité pour le bien d’une cause supérieure. La vie quotidienne en temps de guerre et de famine est particulièrement bien rendue dans ce roman où l’expérience familiale de l’auteur fut une source concrète d’inspiration. Les scènes de bombardement, de pillage et de viols recèlent une véritable intensité dramatique et procèdent d’un réalisme terrifiant.
Il en résulte un livre certes bien écrit mais un peu convenu, parfois presque prédictible, un roman qui pourrait parfaitement inspirer une saga télévisée à succès et bien menée. Il trouvera donc son public comme en atteste l’attribution de l’Orange Prize.
Nous remercions :
La Librairie Les Beaux Livres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
Pour avoir mis à notre disposition cet ouvrage.
Publié aux Editions Gallimard – 500 pages
Nous sommes à Lagos, capitale du grand Etat du Nigeria au début des années soixante. Olanna est une grande femme séduisante, diplômée d’une grande université Britannique, libre et indépendante. Elle va tomber amoureuse d’un universitaire mathématicien noir, aux idées socialistes avancées, Odenigbo, et le suivre au grand dam de se parents, membres de la haute bourgeoisie locale et faisant affaires avec tout ce qui compte au Nigeria.
Sa sœur jumelle Kainene est plus distante, moins attirante. Elle se consacre totalement à faire prospérer les entreprises de son père et à développer de nouveaux marchés. Richard, écrivain et journaliste laborieux, britannique blond et séduisant, va éprouver un coup de foudre absolu pour elle en même temps qu’il tombe amoureux des bronzes antiques igbo et décide d’y consacrer un livre. Ils vont vivre l’expérience rare à l’époque d’un couple mixte.
C’est à travers ce quatuor, complété de l’indispensable Ugwu, boy de treize ans et enfant surdoué, artisan infatigable de la cohésion du quatuor, que l’auteur va s’attacher à décrire les différents rouages qui ne pourront que conduire à l’explosion du Nigéria et à l’effroyable génocide qui engloutira le Biafra.
Le livre possède une réelle sensibilité féminine et l’on sent que Chimamanda Ngozi Adichie est d’ailleurs beaucoup plus à l’aise pour analyser et mettre en scène la difficulté pour une femme à aimer malgré l’infidélité ou l’adversité, qu’elle ne l’est avec ses personnages masculins plus simples et moins tourmentés. Il en résulte un déséquilibre gênant entre l’extrême précision des affres qu’elle décrit avec compassion pour ses personnages féminins et un tableau plus sommaire des tourments qui peuvent agiter les hommes en toute chose. C’est un des éléments qui m’a le plus perturbé dans ce roman qui devrait cependant conquérir largement un public sensible aux belles histoires, au romantisme, à la grandeur de la défense des causes nobles mais perdues d’avance.
L’aspect le plus intéressant, de mon point de vue, tient à l’analyse pertinente et approfondie des rapports complexes qui lient l’élite Nigériane et la Couronne britannique. On voit bien le jeu de la Couronne pour monter la majorité Hassoua du Nord contre les Igbos du Sud, les rapports d’admiration et de rejet de l’intelligentsia noire vis-à-vis de l’ex colonisateur, l’emprunt et la reproduction du mode de vie des Blancs par les nantis locaux. Lorsque les Igbos commencèrent à devenir puissants et menaçants, il suffit à la Grande Bretagne d’organiser la haine tribale pour retrouver la main-mise sur le pétrole et les richesses d’un des plus grands Etats de l’Afrique noire. Autre temps, autres mœurs : pas sûr, souvenez-vous du Rwanda…
C’est à l’occasion des crises majeures que les véritables personnalités se révèlent. Chacun des cinq personnages principaux qui habitent ce roman en permanence va peu à peu se révéler, chacun à sa façon, se dépasser en faisant don de soi, en renonçant à la facilité pour le bien d’une cause supérieure. La vie quotidienne en temps de guerre et de famine est particulièrement bien rendue dans ce roman où l’expérience familiale de l’auteur fut une source concrète d’inspiration. Les scènes de bombardement, de pillage et de viols recèlent une véritable intensité dramatique et procèdent d’un réalisme terrifiant.
Il en résulte un livre certes bien écrit mais un peu convenu, parfois presque prédictible, un roman qui pourrait parfaitement inspirer une saga télévisée à succès et bien menée. Il trouvera donc son public comme en atteste l’attribution de l’Orange Prize.
Nous remercions :
La Librairie Les Beaux Livres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
Pour avoir mis à notre disposition cet ouvrage.
Publié aux Editions Gallimard – 500 pages
5.12.08
New York City Blues - Jeffery Deaver
Bien que Jeffery Deaver soit donné pour un des maîtres du genre, ce roman policier me paraît loin d’être indispensable.
Nous voici plongés au cœur de Manhattan où une jeune assistante juridique, Tracy Lockwood, partage son temps entre la vie trépidante d’un grand cabinet indépendant d’avocats new-yorkais et des nuits à jouer comme pianiste de cabaret, incognito.
Femme sage, belle, intelligente, fille d’un grand avocat américain, sa vie va basculer lorsque l’un des jeunes avocats brillants du cabinet qui l’emploie va lui demander de mener une enquête un peu spéciale sur la disparition d’un billet à ordre de première importance dans une affaire capitale pour le plus important client du cabinet.
Hésitante sur la conduite à accepter, elle finit par se laisser convaincre. Fascinée par Alice au pays des Merveilles, elle va rapidement basculer dans la peau d’une détective qui devra faire preuve de sang-froid, d’inventivité, de culot pour avancer dans la jet-set new-yorkaise où la quantité de requins au mètre carré paraît redoutable.
Bien ficelé et racheté par les cinquante dernières pages qui vont nous tenir en haleine en multipliant les coups de théâtre, ce roman laisse cependant à désirer pour au moins deux raisons majeures.
Tout d’abord, la faiblesse de son écriture qui m’apparaît bâclée et qui se situe très loin d’autres productions de langue anglaise dont vous trouverez des analyses dans Cetalir (voir Déjanté ou Le Phare par exemple). Le style est plat, quelconque, sans aucun intérêt.
Ensuite du fait de l’absolue invraisemblance des faits et stratégies de déjouement dont Tracy va devoir faire preuve pour se tirer sans frais, ou presque, des situations les plus incroyables. Presque plus fort que Die Hard en version au féminin !
C’est tellement invraisemblable qu’on finit par se désolidariser du personnage et donc du roman. La lecture se poursuit alors en mode automatique et le plaisir n’est plus au rendez-vous.
Un polar qui meurt d’étouffement par un trop plein de grosses ficelles. Dommage…
Publié aux Editions de l’Archipel – 347 pages
Nous voici plongés au cœur de Manhattan où une jeune assistante juridique, Tracy Lockwood, partage son temps entre la vie trépidante d’un grand cabinet indépendant d’avocats new-yorkais et des nuits à jouer comme pianiste de cabaret, incognito.
Femme sage, belle, intelligente, fille d’un grand avocat américain, sa vie va basculer lorsque l’un des jeunes avocats brillants du cabinet qui l’emploie va lui demander de mener une enquête un peu spéciale sur la disparition d’un billet à ordre de première importance dans une affaire capitale pour le plus important client du cabinet.
Hésitante sur la conduite à accepter, elle finit par se laisser convaincre. Fascinée par Alice au pays des Merveilles, elle va rapidement basculer dans la peau d’une détective qui devra faire preuve de sang-froid, d’inventivité, de culot pour avancer dans la jet-set new-yorkaise où la quantité de requins au mètre carré paraît redoutable.
Bien ficelé et racheté par les cinquante dernières pages qui vont nous tenir en haleine en multipliant les coups de théâtre, ce roman laisse cependant à désirer pour au moins deux raisons majeures.
Tout d’abord, la faiblesse de son écriture qui m’apparaît bâclée et qui se situe très loin d’autres productions de langue anglaise dont vous trouverez des analyses dans Cetalir (voir Déjanté ou Le Phare par exemple). Le style est plat, quelconque, sans aucun intérêt.
Ensuite du fait de l’absolue invraisemblance des faits et stratégies de déjouement dont Tracy va devoir faire preuve pour se tirer sans frais, ou presque, des situations les plus incroyables. Presque plus fort que Die Hard en version au féminin !
C’est tellement invraisemblable qu’on finit par se désolidariser du personnage et donc du roman. La lecture se poursuit alors en mode automatique et le plaisir n’est plus au rendez-vous.
Un polar qui meurt d’étouffement par un trop plein de grosses ficelles. Dommage…
Publié aux Editions de l’Archipel – 347 pages
2.12.08
Guerre à Harvard – Nick McDonnell
Nick McDonell est du genre doué. Né en 1984, il publie son premier roman à dix-sept ans (« Douze ») et rencontre un succès immédiat, répété avec le roman suivant « Le Troisième Frère ». McDonell est aussi diplômé de Harvard, promotion 2006.
Guerre à Harvard n’est pas à proprement parler un roman. C’est plutôt une série d’instantanés sur ce qui se passe réellement sur l’un des campus les plus prestigieux au monde. On a d’ailleurs l’impression d’y pénétrer caméra sur l’épaule et de filmer sur le vif la vie désabusée de l’élitiste jeunesse américaine. D’où un rythme saccadé, une succession sans transition de scénettes plus ou moins réussies.
Ce que nous voyons, c’est une jeunesse prise entre le culte du passé, l’auteur brocardant gentiment les nombreux cours et rites consacrés à l’étude de l’Université de même que les cours rébarbatifs d’Histoire, avec un grand H, et un présent troublant, celui de la deuxième guerre en Irak. Car l’actualité s’impose par sa brutalité derrière les portes lambrissées de Massasuchets Avenue. Combien d’étudiants s’engageront dans l’armée pour porter les couleurs du drapeau, combien répondront à la propagande active de la CIA qui vient enrôler au nom de la défense d’une prétendue liberté ? Combien tomberont comme sont tombés par centaines les diplômés lors des deux grandes guerres ?
Le côté sympathique de ce petit pamphlet tient dans l’apparition rapide de vrais étudiants, paumés, qui se raccrochent à ce qu’ils peuvent ou à ce qu'ils croient être un sens à une vie qui a franchi le seuil de l’adolescence sans s’être encore enracinée dans le long parcours du monde des adultes.
On aimera Quinn et Izzy, un couple baroque d’étudiants qui se marie sur un coup de tête, l’étudiante aux cheveux roses qui visiblement tient à se faire remarquer des garçons, le serveur membre d’un groupe de rock… Mais tout reste superficiel comme un talk-show, un reportage sans mise en perspective et c’est bien ce qui constitue la limite essentielle de ce curieux recueil.
Certes, on aimera les quelques pages consacrées à Mark Zukenberg, le fondateur de Facebook qu’a croisé l’auteur avant qu’il ne réponde aux sirènes des venture capitalists californiens et ne devienne un milliardaire. C’est là que le ton est le plus juste, McDonnell hésitant entre l’admiration et un zeste de jalousie.
Mais la vie d’un campus, même le plus prestigieux, donne l’impression d’une série de rites sociaux, centrés sur l’alcool, la drague et la baise, comme s’il fallait en passer par là pour devenir adulte.
Superficiel et léger, pour plagier France Gall.
Merci à :
La Librairie Les Beaux Titres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
de nous avoir fourni l’occasion de découvrir ce livre.
Publié aux Editions Flammarion – 95 pages
Guerre à Harvard n’est pas à proprement parler un roman. C’est plutôt une série d’instantanés sur ce qui se passe réellement sur l’un des campus les plus prestigieux au monde. On a d’ailleurs l’impression d’y pénétrer caméra sur l’épaule et de filmer sur le vif la vie désabusée de l’élitiste jeunesse américaine. D’où un rythme saccadé, une succession sans transition de scénettes plus ou moins réussies.
Ce que nous voyons, c’est une jeunesse prise entre le culte du passé, l’auteur brocardant gentiment les nombreux cours et rites consacrés à l’étude de l’Université de même que les cours rébarbatifs d’Histoire, avec un grand H, et un présent troublant, celui de la deuxième guerre en Irak. Car l’actualité s’impose par sa brutalité derrière les portes lambrissées de Massasuchets Avenue. Combien d’étudiants s’engageront dans l’armée pour porter les couleurs du drapeau, combien répondront à la propagande active de la CIA qui vient enrôler au nom de la défense d’une prétendue liberté ? Combien tomberont comme sont tombés par centaines les diplômés lors des deux grandes guerres ?
Le côté sympathique de ce petit pamphlet tient dans l’apparition rapide de vrais étudiants, paumés, qui se raccrochent à ce qu’ils peuvent ou à ce qu'ils croient être un sens à une vie qui a franchi le seuil de l’adolescence sans s’être encore enracinée dans le long parcours du monde des adultes.
On aimera Quinn et Izzy, un couple baroque d’étudiants qui se marie sur un coup de tête, l’étudiante aux cheveux roses qui visiblement tient à se faire remarquer des garçons, le serveur membre d’un groupe de rock… Mais tout reste superficiel comme un talk-show, un reportage sans mise en perspective et c’est bien ce qui constitue la limite essentielle de ce curieux recueil.
Certes, on aimera les quelques pages consacrées à Mark Zukenberg, le fondateur de Facebook qu’a croisé l’auteur avant qu’il ne réponde aux sirènes des venture capitalists californiens et ne devienne un milliardaire. C’est là que le ton est le plus juste, McDonnell hésitant entre l’admiration et un zeste de jalousie.
Mais la vie d’un campus, même le plus prestigieux, donne l’impression d’une série de rites sociaux, centrés sur l’alcool, la drague et la baise, comme s’il fallait en passer par là pour devenir adulte.
Superficiel et léger, pour plagier France Gall.
Merci à :
La Librairie Les Beaux Titres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
de nous avoir fourni l’occasion de découvrir ce livre.
Publié aux Editions Flammarion – 95 pages
29.11.08
Les déferlantes – Claudie Gallay
Il faut se donner le temps d’entrer dans ce gros (très gros) roman dense, de plus de cinq cents pages et au rythme très lent.
Un roman d’ailleurs un peu écrit comme une pièce de théâtre qui prendrait le temps de camper des personnages énigmatiques, dont les faits et gestes commenceraient par nous échapper avant que, très progressivement et en multipliant les rebondissements, on ne finisse par y voir plus clair.
Une place de choix est faite aux dialogues qui structurent le récit. Des dialogues courts, comme dans la vie, mais dont le peu de mots suggèrent plus qu’ils n’en disent. Une place où descriptions et transitions sont rares, voire rarissimes.
La force du livre tient donc dans cette capacité maintenue à susciter l’attention et l’intérêt d’un lecteur interpellé par des personnages étranges, parfois au bord de la folie et qui évoluent dans un environnement austère, voire lugubre.
Nous sommes à La Hague. La mer est omniprésente. Il pleut souvent dans ce livre et l’orage se manifeste ostensiblement en soulevant des déferlantes et en plaquant les mouettes effrayées sur des vitres où elles viennent se fracasser et mourir, les yeux affolés par un destin insoupçonné.
A chaque tempête, le petit village proche de La Hague où se situe l’intrigue vient récolter ce que la mer restitue après l’avoir pris aux navires qui se sont aventurés à l’affronter.
A chaque tempête, la vieille Nan vient hanter la plage, les cheveux défaits, le regard hagard en croyant reconnaître Michel, personnage central du livre et dont le mystère nous sera peu à peu dévoilé.
Un homme, la bonne quarantaine, débarque un beau matin dans ce village perdu de solitude et d’ennui. Son arrivée intrigue d’autant qu’il s’installe dans une maison fermée depuis des décennies avant de la mettre en vente.
Autour de cet homme vont graviter une armée de paumés, en rupture avec la vie, en mal d’amour et d’être aimés, ayant toutes et tous des comptes, conscients ou inconscients, à régler. Telle Lili, qui tient fermement le comptoir du bar local, et qu’on surprendra en grande discussion avec cet inconnu. Tel le vieux gardien de phare, détenteur d’un secret jalousement gardé et dont il finira par se délivrer. Tel ce frère et cette sœur aux rapports presque incestueux, lui sculpteur en butte au monde, lançant sa souffrance en sculptant des bronzes de femmes hantés ou enfantant, elle, un brin allumeuse, brûlant les hommes pour se donner une consistance.
Et puis il y a la narratrice qui ouvre ce livre comme on ouvre un journal, pour se confier, raconter et donc évacuer le trop de peines qu’elle a longtemps porté.
Bref, c’est un roman sombre, assez dur que nous a concocté l’auteur. Un roman qui demande du temps et une certaine persévérance, un roman qui ne pourra laisser indifférent, provoquant adhésion ou rejet, sans nuance.
Nous avons fini par adhérer pour la force narrative, la capacité à maintenir au long cours une atmosphère pesante d’où jaillira la force de reconstruire et de revivre à nouveau.
Publié aux Editions du Rouergue – 525 pages
Un roman d’ailleurs un peu écrit comme une pièce de théâtre qui prendrait le temps de camper des personnages énigmatiques, dont les faits et gestes commenceraient par nous échapper avant que, très progressivement et en multipliant les rebondissements, on ne finisse par y voir plus clair.
Une place de choix est faite aux dialogues qui structurent le récit. Des dialogues courts, comme dans la vie, mais dont le peu de mots suggèrent plus qu’ils n’en disent. Une place où descriptions et transitions sont rares, voire rarissimes.
La force du livre tient donc dans cette capacité maintenue à susciter l’attention et l’intérêt d’un lecteur interpellé par des personnages étranges, parfois au bord de la folie et qui évoluent dans un environnement austère, voire lugubre.
Nous sommes à La Hague. La mer est omniprésente. Il pleut souvent dans ce livre et l’orage se manifeste ostensiblement en soulevant des déferlantes et en plaquant les mouettes effrayées sur des vitres où elles viennent se fracasser et mourir, les yeux affolés par un destin insoupçonné.
A chaque tempête, le petit village proche de La Hague où se situe l’intrigue vient récolter ce que la mer restitue après l’avoir pris aux navires qui se sont aventurés à l’affronter.
A chaque tempête, la vieille Nan vient hanter la plage, les cheveux défaits, le regard hagard en croyant reconnaître Michel, personnage central du livre et dont le mystère nous sera peu à peu dévoilé.
Un homme, la bonne quarantaine, débarque un beau matin dans ce village perdu de solitude et d’ennui. Son arrivée intrigue d’autant qu’il s’installe dans une maison fermée depuis des décennies avant de la mettre en vente.
Autour de cet homme vont graviter une armée de paumés, en rupture avec la vie, en mal d’amour et d’être aimés, ayant toutes et tous des comptes, conscients ou inconscients, à régler. Telle Lili, qui tient fermement le comptoir du bar local, et qu’on surprendra en grande discussion avec cet inconnu. Tel le vieux gardien de phare, détenteur d’un secret jalousement gardé et dont il finira par se délivrer. Tel ce frère et cette sœur aux rapports presque incestueux, lui sculpteur en butte au monde, lançant sa souffrance en sculptant des bronzes de femmes hantés ou enfantant, elle, un brin allumeuse, brûlant les hommes pour se donner une consistance.
Et puis il y a la narratrice qui ouvre ce livre comme on ouvre un journal, pour se confier, raconter et donc évacuer le trop de peines qu’elle a longtemps porté.
Bref, c’est un roman sombre, assez dur que nous a concocté l’auteur. Un roman qui demande du temps et une certaine persévérance, un roman qui ne pourra laisser indifférent, provoquant adhésion ou rejet, sans nuance.
Nous avons fini par adhérer pour la force narrative, la capacité à maintenir au long cours une atmosphère pesante d’où jaillira la force de reconstruire et de revivre à nouveau.
Publié aux Editions du Rouergue – 525 pages
28.11.08
Les champs d’honneur – Jean Rouaud
Ce court roman est un grand moment d’écriture française, un pur bonheur de belle langue, une façon d’écrire qui concilie modernité et maîtrise solide de bases classiques. Il y a fort longtemps qu’il ne m’avait été donné de m’émerveiller sur ce type d’écriture qui, malheureusement, se perd.
Comme, par ailleurs, cette écriture est mise au service d’un fil narratif solidement charpenté qui va nous promener de la grande guerre jusque vers la fin du XXeme siècle à travers quelques personnages attachants et magnifiquement mis en scène par Jean Rouaud, le bonheur de lire est total.
Rien de surprenant donc qu’avec ce premier roman, paru en 1990, Jean Rouaud, jeune écrivain d’alors 38 ans, emporte le Prix Goncourt, signant un véritable coup de maître.
Nous voici transporté au cœur de la Loire Atlantique. Un pays pluvieux, vert et au climat doux dont la météorologie et l’influence qu’elle peut avoir sur le caractère de ses habitants vont donner lieu à 9 pages admirables (pages 15 à 23). Il y a une inventivité, une drôlerie, une facilité à glisser imperceptiblement d’une évocation à l’autre qui laisse pantois !
Une famille dont nous ignorons le nom va se voir endeuillée par la perte, à peu de temps d’intervalle, de trois membres appartenant à trois générations. Grâce à de somptueux allers-retours dans le temps, nous allons vivre le temps présent et retrouver une petite part du temps passé de chacun de ses trois membres d’une même famille. Un voyage à travers le temps rendu possible par le narrateur, fils d’un homme subitement disparu à quarante ans, foudroyé en quelques jours. Un enfant également marqué par le mutisme dans lequel s’enfermera sa mère après la mort brutale de son époux.
Un voyage à travers le temps qui va petit à petit nous ramener jusqu’en 1916 et à la mort de deux frères, à quelques mois de distance, aux champs d’honneur.
L’évocation de l’horreur et de l’inutilité du carnage donne lieu, une fois encore, à une vingtaine de pages dont l’écriture recèle une force rare. Il n’y a pas de recherche d’effets emphatiques, juste les bons mots, ciselés dans de belles phrases, pour dire la crasse, la mort omniprésente, les cadavres qui font le quotidien des survivants. Jusqu’à la survenue du gaz moutarde qui emportera par milliers des soldats qui n’y sont pas préparés…
Il y a aussi un peu d’effronterie dans cette façon de rendre tendrement la vie d’une famille et de ses petits secrets dont celui du frère, Joseph, premier à tomber sur le front, donnera lieu à une patiente reconstitution par son fils, peu avant sa propre mort.
Pas une phrase inutile, pas de mots en trop. L’écriture y est juste parfaite et hallucinante de maîtrise et nous donne à aimer les personnages mis en scène, avec leurs défauts, leurs tics, leurs manies, tels que l’auteur s’est pris à les aimer lui-même.
Sublime, tout simplement…
Publié aux Editions de Minuit – 159 pages
Comme, par ailleurs, cette écriture est mise au service d’un fil narratif solidement charpenté qui va nous promener de la grande guerre jusque vers la fin du XXeme siècle à travers quelques personnages attachants et magnifiquement mis en scène par Jean Rouaud, le bonheur de lire est total.
Rien de surprenant donc qu’avec ce premier roman, paru en 1990, Jean Rouaud, jeune écrivain d’alors 38 ans, emporte le Prix Goncourt, signant un véritable coup de maître.
Nous voici transporté au cœur de la Loire Atlantique. Un pays pluvieux, vert et au climat doux dont la météorologie et l’influence qu’elle peut avoir sur le caractère de ses habitants vont donner lieu à 9 pages admirables (pages 15 à 23). Il y a une inventivité, une drôlerie, une facilité à glisser imperceptiblement d’une évocation à l’autre qui laisse pantois !
Une famille dont nous ignorons le nom va se voir endeuillée par la perte, à peu de temps d’intervalle, de trois membres appartenant à trois générations. Grâce à de somptueux allers-retours dans le temps, nous allons vivre le temps présent et retrouver une petite part du temps passé de chacun de ses trois membres d’une même famille. Un voyage à travers le temps rendu possible par le narrateur, fils d’un homme subitement disparu à quarante ans, foudroyé en quelques jours. Un enfant également marqué par le mutisme dans lequel s’enfermera sa mère après la mort brutale de son époux.
Un voyage à travers le temps qui va petit à petit nous ramener jusqu’en 1916 et à la mort de deux frères, à quelques mois de distance, aux champs d’honneur.
L’évocation de l’horreur et de l’inutilité du carnage donne lieu, une fois encore, à une vingtaine de pages dont l’écriture recèle une force rare. Il n’y a pas de recherche d’effets emphatiques, juste les bons mots, ciselés dans de belles phrases, pour dire la crasse, la mort omniprésente, les cadavres qui font le quotidien des survivants. Jusqu’à la survenue du gaz moutarde qui emportera par milliers des soldats qui n’y sont pas préparés…
Il y a aussi un peu d’effronterie dans cette façon de rendre tendrement la vie d’une famille et de ses petits secrets dont celui du frère, Joseph, premier à tomber sur le front, donnera lieu à une patiente reconstitution par son fils, peu avant sa propre mort.
Pas une phrase inutile, pas de mots en trop. L’écriture y est juste parfaite et hallucinante de maîtrise et nous donne à aimer les personnages mis en scène, avec leurs défauts, leurs tics, leurs manies, tels que l’auteur s’est pris à les aimer lui-même.
Sublime, tout simplement…
Publié aux Editions de Minuit – 159 pages
21.11.08
Le fleuve caché – Adrain McKinty
L’avantage lorsque vous vous lancez dans l’aventure de la création d’un blog de littérature, c’est que vous vous obligez, par souci de diversité et d’ouverture d’esprit, à aborder des horizons littéraires pour lesquels vous vous sentez un enclin a priori moindre.
C’est exactement ce que je pouvais penser du genre policier mais la découverte de certains auteurs majeurs du genre, français ou britanniques pour la plupart, souvent blogués dans Cetalir, m’a amené à réviser mon jugement.
McKinty, irlandais et vivant dans le Colorado (question de climat peut-être ?), nous livre avec « Le fleuve caché » un solide polar, sérieusement conçu, bien écrit et qui vous tient en haleine pendant une bonne paire d’heures. Un bouquin qui tient au ventre en tenant ses promesses.
L’action s’y déroule entre l’Irlande du Nord et Denver, dans le Colorado (tiens, tiens) et met en scène des personnages ambigus, aux multiples facettes, peu recommandables pour la plupart. Chacun a sa part d’ombre et en fait un usage plus ou moins orthodoxe.
Alex fut un brillant inspecteur de la police criminelle irlandaise. Fut, car à 24 ans, il a dû démissionner pour de sombres raisons que nous ne comprendrons qu’à la fin de ce palpitant roman. Héroïnomane, marginalisé, poursuivi par les siens, il apprend par hasard la disparition de son premier amour, Victoria, une belle indienne tragiquement assassinée à Denver.
Soumis aux pressions d’une commission d’enquête à caractère politique, il fuit les ennuis et le climat irlandais en répondant à la demande du père de Victoria d’enquêter sur le meurtre de sa fille. Meurtre que la police du Colorado a tôt fait de coller sur la peau d’un pauvre Mexicain qui n’y est pour rien. Son job : l’innocenter et trouver le coupable. Plus facile à dire qu’à faire bien entendu !
Commence une enquête dense et pleine de rebondissements qui va nous mener au cœur d’une association de lobbying américaine, dirigée par deux frères, millionnaires, et Ambre, la femme d’un des deux frères, Charles. Ambre est fascinante, femme fatale et troublante à laquelle il est difficile de résister. Mais qui est vraiment Ambre ? D’où vient-elle et que représente-t-elle ? Une femme trop parfaite pourrait-elle en cacher une autre ?
L’enquête va se dérouler entre deux mondes qui ne se connaissent pas : celui du fric et de la politique, le monde de Charles et d’Ambre, et celui des laissés pour compte, des clandestins, des junkies et des parias, monde adopté par Alex et qui saura le lui rendre.
Grâce à un scenario assez linéaire, bien charpenté, pas du tout tiré par les cheveux comme c’est encore assez souvent le cas dans le genre policier et grâce à l’étude psychologique solide des principaux caractères, Adrian McKinty avec ce premier ouvrage publié en France s’impose comme un auteur avec lequel il faudra compter.
Du bel ouvrage.
Publié aux Editions Série Noire de Gallimard – 412 pages
C’est exactement ce que je pouvais penser du genre policier mais la découverte de certains auteurs majeurs du genre, français ou britanniques pour la plupart, souvent blogués dans Cetalir, m’a amené à réviser mon jugement.
McKinty, irlandais et vivant dans le Colorado (question de climat peut-être ?), nous livre avec « Le fleuve caché » un solide polar, sérieusement conçu, bien écrit et qui vous tient en haleine pendant une bonne paire d’heures. Un bouquin qui tient au ventre en tenant ses promesses.
L’action s’y déroule entre l’Irlande du Nord et Denver, dans le Colorado (tiens, tiens) et met en scène des personnages ambigus, aux multiples facettes, peu recommandables pour la plupart. Chacun a sa part d’ombre et en fait un usage plus ou moins orthodoxe.
Alex fut un brillant inspecteur de la police criminelle irlandaise. Fut, car à 24 ans, il a dû démissionner pour de sombres raisons que nous ne comprendrons qu’à la fin de ce palpitant roman. Héroïnomane, marginalisé, poursuivi par les siens, il apprend par hasard la disparition de son premier amour, Victoria, une belle indienne tragiquement assassinée à Denver.
Soumis aux pressions d’une commission d’enquête à caractère politique, il fuit les ennuis et le climat irlandais en répondant à la demande du père de Victoria d’enquêter sur le meurtre de sa fille. Meurtre que la police du Colorado a tôt fait de coller sur la peau d’un pauvre Mexicain qui n’y est pour rien. Son job : l’innocenter et trouver le coupable. Plus facile à dire qu’à faire bien entendu !
Commence une enquête dense et pleine de rebondissements qui va nous mener au cœur d’une association de lobbying américaine, dirigée par deux frères, millionnaires, et Ambre, la femme d’un des deux frères, Charles. Ambre est fascinante, femme fatale et troublante à laquelle il est difficile de résister. Mais qui est vraiment Ambre ? D’où vient-elle et que représente-t-elle ? Une femme trop parfaite pourrait-elle en cacher une autre ?
L’enquête va se dérouler entre deux mondes qui ne se connaissent pas : celui du fric et de la politique, le monde de Charles et d’Ambre, et celui des laissés pour compte, des clandestins, des junkies et des parias, monde adopté par Alex et qui saura le lui rendre.
Grâce à un scenario assez linéaire, bien charpenté, pas du tout tiré par les cheveux comme c’est encore assez souvent le cas dans le genre policier et grâce à l’étude psychologique solide des principaux caractères, Adrian McKinty avec ce premier ouvrage publié en France s’impose comme un auteur avec lequel il faudra compter.
Du bel ouvrage.
Publié aux Editions Série Noire de Gallimard – 412 pages
15.11.08
La mort du roi Tsongor – Laurent Gaudé
Dans un style et un registre complètement différents d’Eldorado que nous avions beaucoup aimé, Laurent Gaudé, dans ce roman publié en 2002 chez Actes Sud, nous montre qu’il connaît et maîtrise ses classiques.
Il y a du Salambô et de l’Odyssée dans ce récit bouleversant, simple et essentiel. C’est peu dire du bien que nous en pensons avec de telles références !
Dans un style très dénudé où chaque phrase trouve immédiatement sa place et où un brin d’exotisme est toujours présent, sans emphase, l’auteur nous entraîne immédiatement au sein d’un récit allégorique qui tient du conte et du récit historique et philosophique.
De très courts chapitres, souvent nerveux, rythment l’action qui se déroule à toute allure bien que s’étayant sur de longues années. Chaque personnage est superbement campé et entre en scène pour ne plus échapper à son destin. Les pièces s’assemblent et vont broyer les pantins qui se débattent en vain…
C’est une véritable tragédie qui se déroule sous nos yeux et qui va conduire à une mort horrible et violente la plupart des protagonistes. Car il ne peut y avoir de rédemption que dans la mort, celle qu’on donne, pas celle qui vous prend au dépourvu. Tellement qu’à un point donné, on oublie pourquoi deux armées s’entretuent, pourquoi les frères d’une même famille se vouent une haine absolue au sein des deux camps que tout oppose et que se battre ne se justifie plus que pour vouloir se venger de la mort donnée à ses proches dont le nombre disparaît inexorablement. Une logique d’absurde sans autre issue que l’anéantissement réciproque.
A travers cette saga d’une éblouissante maestria et où les scènes de bataille sont rendues à la perfection, Laurent Gaudé nous donne à réfléchir au sens de l’honneur, au poids des décisions que nous sommes amenés à prendre et qui peuvent tout à coup faire basculer nos vies.
Un vieux roi africain, couvert de gloire, au soir de sa vie, s’apprête à marier sa fille chérie à un jeune prince. Un mariage politique, organisé pour renforcer un royaume tout puissant. Alors que la cérémonie commence, surgit un cavalier, ami d’enfance de la promise, orphelin et élevé par le vieux roi et à qui la jeune fille s’était promise. Une promesse enfantine, mais une promesse. Qui choisir alors que la même chose a été promise deux fois ?
Le vieux roi met au point un stratagème avant que de donner sa vie à celui à qui il l’avait lui aussi promise, bien des années plus tôt et qui attendait son heure. Mais le stratagème ne fonctionnera pas et c’est à la perte du royaume, de la cité royale et des siens que cette situation absurde va conduire. La plupart vont en mourir, les rares survivants y gagneront de s’être dépouillés après une longue quête douloureuse vers l’essentiel.
Où s’arrête la parole donnée, quel est le sens de la famille, qu’est-ce que le libre arbitre, jusqu’où ne pas aller trop loin sont autant de questions éternelles que Laurent Gaudé tente d’illustrer avec brio et parti-pris dans un roman qui devrait figurer comme un classique de la littérature française du XXIeme siècle. N’ayons pas peur des mots !
A lire de toute urgence.
Publié au Livre de Poche – 219 pages
Il y a du Salambô et de l’Odyssée dans ce récit bouleversant, simple et essentiel. C’est peu dire du bien que nous en pensons avec de telles références !
Dans un style très dénudé où chaque phrase trouve immédiatement sa place et où un brin d’exotisme est toujours présent, sans emphase, l’auteur nous entraîne immédiatement au sein d’un récit allégorique qui tient du conte et du récit historique et philosophique.
De très courts chapitres, souvent nerveux, rythment l’action qui se déroule à toute allure bien que s’étayant sur de longues années. Chaque personnage est superbement campé et entre en scène pour ne plus échapper à son destin. Les pièces s’assemblent et vont broyer les pantins qui se débattent en vain…
C’est une véritable tragédie qui se déroule sous nos yeux et qui va conduire à une mort horrible et violente la plupart des protagonistes. Car il ne peut y avoir de rédemption que dans la mort, celle qu’on donne, pas celle qui vous prend au dépourvu. Tellement qu’à un point donné, on oublie pourquoi deux armées s’entretuent, pourquoi les frères d’une même famille se vouent une haine absolue au sein des deux camps que tout oppose et que se battre ne se justifie plus que pour vouloir se venger de la mort donnée à ses proches dont le nombre disparaît inexorablement. Une logique d’absurde sans autre issue que l’anéantissement réciproque.
A travers cette saga d’une éblouissante maestria et où les scènes de bataille sont rendues à la perfection, Laurent Gaudé nous donne à réfléchir au sens de l’honneur, au poids des décisions que nous sommes amenés à prendre et qui peuvent tout à coup faire basculer nos vies.
Un vieux roi africain, couvert de gloire, au soir de sa vie, s’apprête à marier sa fille chérie à un jeune prince. Un mariage politique, organisé pour renforcer un royaume tout puissant. Alors que la cérémonie commence, surgit un cavalier, ami d’enfance de la promise, orphelin et élevé par le vieux roi et à qui la jeune fille s’était promise. Une promesse enfantine, mais une promesse. Qui choisir alors que la même chose a été promise deux fois ?
Le vieux roi met au point un stratagème avant que de donner sa vie à celui à qui il l’avait lui aussi promise, bien des années plus tôt et qui attendait son heure. Mais le stratagème ne fonctionnera pas et c’est à la perte du royaume, de la cité royale et des siens que cette situation absurde va conduire. La plupart vont en mourir, les rares survivants y gagneront de s’être dépouillés après une longue quête douloureuse vers l’essentiel.
Où s’arrête la parole donnée, quel est le sens de la famille, qu’est-ce que le libre arbitre, jusqu’où ne pas aller trop loin sont autant de questions éternelles que Laurent Gaudé tente d’illustrer avec brio et parti-pris dans un roman qui devrait figurer comme un classique de la littérature française du XXIeme siècle. N’ayons pas peur des mots !
A lire de toute urgence.
Publié au Livre de Poche – 219 pages
13.11.08
Un diamant brut – Yvette Szczupak-Thomas
C’est à un extraordinaire travail de mémoire que se livre Yvette Szczupak-Thomas : extraordinaire par l’abondance des souvenirs qui se bousculent au soir d’une vie, extraordinaire par la foule des plus illustres artistes du XXeme siècle qu’elle convoque et dépeint sous leur vrai jour, extraordinaire par l’incroyable destinée de l’auteur.
Yvette Szczupak-Thomas aura mis plus de vingt ans à rédiger ce livre à nul autre comparable tant la violence des souvenirs fut insoutenable. Commencé dans les années quatre-vint, mis en jachère pendant vingt ans, le livre sera achevé à Jérusalem en 1999, à l’âge de soixante-dix ans. Yvette Szczupak-Thomas mourra quatre ans plus tard.
Le livre se déroule en trois parties inégales en longueur et différentes sur le plan stylistique.
Dans la première partie, ce sont les souvenirs d’enfance qui sont ramenés au jour. Yvette est une pupille de la Nation. Sa mère est morte poitrinaire après avoir divorcé, chose rare dans les années trente et encore plus rare en pleine campagne nivernaise, d’un père alcoolique et silencieux. Après le décès d’un accident de la circulation de son père, Yvette, comme se frères et sœurs, est placée chez une nourrice, Maman Blanche, avec qui elle entretient une relation fusionnelle. Elle sera arrachée à celle-ci et placée de force dans une famille de paysans aussi rustres que barbares, exploitée, quasiment réduite à l’état d’esclavage. La seconde guerre mondiale vient de voir la défaite cuisante de l’armée française et les Allemands s’enfoncent dans les campagnes françaises en lançant sur les routes des millions de réfugiés. Yvette vit ceci dans une certaine excitation quand les coups ne pleuvent pas et que les travaux des champs lui laissent un peu de temps libre.
Maltraitée, mal nourrie (elle pèse vingt deux kilos à l’âge de douze ans), elle séjourne à l’hôpital après avoir eu deux doigts écrasés par la chaine du puits. Son état lui vaudra finalement d’être replacée dans une nouvelle famille à côté du Vézelay.
Une famille de braves gens, dévoués, humains, chaleureux bien que relativement pauvres. Un brave homme et une brave mère qui se désolent d’avoir laissé partir leurs trois fils et rêvent d’une nouvelle vie de famille placée sous le sourire d’une jeune fille.
Fin de la première partie qui représente un tiers du récit. Un récit en forme de miroir de la mémoire, composé des scènes flash et raboutées. Les raccords sont voyants, de nombreuses séquences manquantes. Ce sont les couleurs, les odeurs, les bruits qui remontent toujours sur fond de violence et de privation. Les rares moments de joie sont ceux offerts par les animaux, innocents et sans arrière-pensée et qui nous valent quelques rares sourires dans ces pages tourmentées.
La deuxième partie, qui occupe l’essentiel du récit, marque le deuxième tournant de la vie d’Yvette. Le style en est abouti, sophistiqué et précis. Il figure l’élévation sociale et intellectuelle dont Yvette est la bénéficiaire.
En portant quelques victuailles chez un couple de Parisiens de la Haute qui possèdent une résidence à proximité, Yvette va peu à peu en charmer les propriétaires. Lui, TakyZervos est éditeur d’art et sa revue, les Cahiers d’Art, a rassemblé jusqu’avant la guerre, tout ce que l’Europe comptait d’esprits brillants. Elle, Yvonne, seconde son mari et noie un chagrin dans une consommation d’alcools blancs immodérée. La pertinence des remarques d’Yvette sur les œuvres d’art qu’ils lui font découvrir, la qualité des dessins de l’enfant et, sans doute, sa particulière beauté les convainquent de l’adopter.
Toutes affaires cessantes, elle est arrachée à sa famille d’accueil qu’elle commençait tout juste à aimer et se voit transportée en plein Saint-Germain-Des-Prés, rue du Bac. En quelques semaines, elle perdra son accent et son attitude de souillon et se transformera en adolescente brillante qui éblouira tous ceux qui l’approcheront.
Yvette devient l’élève de Picasso, véritable terreur mais ami indéfectible des Zervos, recevra un fiancé sculpté par Giacometti, se lancera dans des parties d’écriture automatique avec Georges Bataille et Jean Giono, deviendra la confidente du couple Eluard, apprendra à se méfier de René Char, amant d’Yvonne… C’est tout Paris qui défile dans les murs de l’appartement des Zervos. C’est l’envers du décor qu’elle voit aussi du monde instable des artistes.
Nous assistons à des scènes homériques et baroques dans ces pages affolées. Mais, l’instabilité ne tarde pas à revenir, TakyZervos demandant à Yvette de lui faire plaisir en lui « mouchant l’outil à pipi » alors qu’elle n’a que treize ans. Bientôt, il deviendra plus pressant et finira par violer à répétition une enfant qui perd toute confiance dans le monde des adultes et se réfugie dans le silence, l’alcool, l’art.
La troisième et dernière partie est celle de la rencontre avec S. Szczupak, ami du couple, avocat et artisan, auprès de Ben Gourion, de la création de l’Etat d’Israël. Le style hésite entre l’exaltation et la pudeur, l’auteur s’attachant à protéger son jardin secret. Le récit est condensé en quelques dizaines de pages dominées par l’urgence.
Yvette, qui rejette en bloc la Chrétienté en démontant avec sarcasme les incohérences des récits et des dogmes, s’est réfugiée dans l’amour des Juifs sauvés des camps d’extermination et lancée à corps perdu dans les Jeunesses Communistes. Elle prendra rapidement ses distances vis-à-vis du Parti constatant les ravages du fanatisme.
S. Szczupak est un homme d’une rare intelligence, d’une culture insondable. Avec l’accord des parents d’Yvette, il l’emmène, encore mineure, découvrir le jeune Etat sioniste. Ce sera la révélation : Yvette lui déclare qu’elle ne veut qu’une chose, s’installer à Jérusalem où elle s’est sentie immédiatement chez elle.
De retour à Paris, assaillie à nouveau par Taky, elle organise sa fuite d’un couple finalement méphitique et qui en voulant son bien, l’a manipulée et détruite. Une fuite rocambolesque qui la jette à nouveau, encore mineure, dans les bras de l’Assistance Publique avant que d’être extraite et expatriée vers l’Etat d’Israël sur intervention personnelle de l’ancien chef de cabinet de Léon Blum. Elle épouse alors S. Szczupak et obtiendra le certificat N°6 de conversion.
On referme le livre abasourdi par un tel destin, une telle conjonction d’évènements qui se sont acharnés sur cette jeune fille. Certes, le livre est parfois trop touffu, déroutant, en faisant appel à une galerie pléthorique de personnages qui ont marqué le Siècle. Mais il possède aussi des fulgurances littéraires absolument remarquables. On lira et relira à cet effet la première page ainsi que la page 366 qui relate dans une langue hallucinée les nuits glauques de Montparnasse.
Bref un livre remarquable et aurait été extraordinaire en ayant été un peu plus condensé.
Merci à la
Librairie Les Beaux Titres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
de nous avoir fourni l’occasion de découvrir un livre à ne pas manquer.
Publié aux Editions Métailié – 443 pages
Yvette Szczupak-Thomas aura mis plus de vingt ans à rédiger ce livre à nul autre comparable tant la violence des souvenirs fut insoutenable. Commencé dans les années quatre-vint, mis en jachère pendant vingt ans, le livre sera achevé à Jérusalem en 1999, à l’âge de soixante-dix ans. Yvette Szczupak-Thomas mourra quatre ans plus tard.
Le livre se déroule en trois parties inégales en longueur et différentes sur le plan stylistique.
Dans la première partie, ce sont les souvenirs d’enfance qui sont ramenés au jour. Yvette est une pupille de la Nation. Sa mère est morte poitrinaire après avoir divorcé, chose rare dans les années trente et encore plus rare en pleine campagne nivernaise, d’un père alcoolique et silencieux. Après le décès d’un accident de la circulation de son père, Yvette, comme se frères et sœurs, est placée chez une nourrice, Maman Blanche, avec qui elle entretient une relation fusionnelle. Elle sera arrachée à celle-ci et placée de force dans une famille de paysans aussi rustres que barbares, exploitée, quasiment réduite à l’état d’esclavage. La seconde guerre mondiale vient de voir la défaite cuisante de l’armée française et les Allemands s’enfoncent dans les campagnes françaises en lançant sur les routes des millions de réfugiés. Yvette vit ceci dans une certaine excitation quand les coups ne pleuvent pas et que les travaux des champs lui laissent un peu de temps libre.
Maltraitée, mal nourrie (elle pèse vingt deux kilos à l’âge de douze ans), elle séjourne à l’hôpital après avoir eu deux doigts écrasés par la chaine du puits. Son état lui vaudra finalement d’être replacée dans une nouvelle famille à côté du Vézelay.
Une famille de braves gens, dévoués, humains, chaleureux bien que relativement pauvres. Un brave homme et une brave mère qui se désolent d’avoir laissé partir leurs trois fils et rêvent d’une nouvelle vie de famille placée sous le sourire d’une jeune fille.
Fin de la première partie qui représente un tiers du récit. Un récit en forme de miroir de la mémoire, composé des scènes flash et raboutées. Les raccords sont voyants, de nombreuses séquences manquantes. Ce sont les couleurs, les odeurs, les bruits qui remontent toujours sur fond de violence et de privation. Les rares moments de joie sont ceux offerts par les animaux, innocents et sans arrière-pensée et qui nous valent quelques rares sourires dans ces pages tourmentées.
La deuxième partie, qui occupe l’essentiel du récit, marque le deuxième tournant de la vie d’Yvette. Le style en est abouti, sophistiqué et précis. Il figure l’élévation sociale et intellectuelle dont Yvette est la bénéficiaire.
En portant quelques victuailles chez un couple de Parisiens de la Haute qui possèdent une résidence à proximité, Yvette va peu à peu en charmer les propriétaires. Lui, TakyZervos est éditeur d’art et sa revue, les Cahiers d’Art, a rassemblé jusqu’avant la guerre, tout ce que l’Europe comptait d’esprits brillants. Elle, Yvonne, seconde son mari et noie un chagrin dans une consommation d’alcools blancs immodérée. La pertinence des remarques d’Yvette sur les œuvres d’art qu’ils lui font découvrir, la qualité des dessins de l’enfant et, sans doute, sa particulière beauté les convainquent de l’adopter.
Toutes affaires cessantes, elle est arrachée à sa famille d’accueil qu’elle commençait tout juste à aimer et se voit transportée en plein Saint-Germain-Des-Prés, rue du Bac. En quelques semaines, elle perdra son accent et son attitude de souillon et se transformera en adolescente brillante qui éblouira tous ceux qui l’approcheront.
Yvette devient l’élève de Picasso, véritable terreur mais ami indéfectible des Zervos, recevra un fiancé sculpté par Giacometti, se lancera dans des parties d’écriture automatique avec Georges Bataille et Jean Giono, deviendra la confidente du couple Eluard, apprendra à se méfier de René Char, amant d’Yvonne… C’est tout Paris qui défile dans les murs de l’appartement des Zervos. C’est l’envers du décor qu’elle voit aussi du monde instable des artistes.
Nous assistons à des scènes homériques et baroques dans ces pages affolées. Mais, l’instabilité ne tarde pas à revenir, TakyZervos demandant à Yvette de lui faire plaisir en lui « mouchant l’outil à pipi » alors qu’elle n’a que treize ans. Bientôt, il deviendra plus pressant et finira par violer à répétition une enfant qui perd toute confiance dans le monde des adultes et se réfugie dans le silence, l’alcool, l’art.
La troisième et dernière partie est celle de la rencontre avec S. Szczupak, ami du couple, avocat et artisan, auprès de Ben Gourion, de la création de l’Etat d’Israël. Le style hésite entre l’exaltation et la pudeur, l’auteur s’attachant à protéger son jardin secret. Le récit est condensé en quelques dizaines de pages dominées par l’urgence.
Yvette, qui rejette en bloc la Chrétienté en démontant avec sarcasme les incohérences des récits et des dogmes, s’est réfugiée dans l’amour des Juifs sauvés des camps d’extermination et lancée à corps perdu dans les Jeunesses Communistes. Elle prendra rapidement ses distances vis-à-vis du Parti constatant les ravages du fanatisme.
S. Szczupak est un homme d’une rare intelligence, d’une culture insondable. Avec l’accord des parents d’Yvette, il l’emmène, encore mineure, découvrir le jeune Etat sioniste. Ce sera la révélation : Yvette lui déclare qu’elle ne veut qu’une chose, s’installer à Jérusalem où elle s’est sentie immédiatement chez elle.
De retour à Paris, assaillie à nouveau par Taky, elle organise sa fuite d’un couple finalement méphitique et qui en voulant son bien, l’a manipulée et détruite. Une fuite rocambolesque qui la jette à nouveau, encore mineure, dans les bras de l’Assistance Publique avant que d’être extraite et expatriée vers l’Etat d’Israël sur intervention personnelle de l’ancien chef de cabinet de Léon Blum. Elle épouse alors S. Szczupak et obtiendra le certificat N°6 de conversion.
On referme le livre abasourdi par un tel destin, une telle conjonction d’évènements qui se sont acharnés sur cette jeune fille. Certes, le livre est parfois trop touffu, déroutant, en faisant appel à une galerie pléthorique de personnages qui ont marqué le Siècle. Mais il possède aussi des fulgurances littéraires absolument remarquables. On lira et relira à cet effet la première page ainsi que la page 366 qui relate dans une langue hallucinée les nuits glauques de Montparnasse.
Bref un livre remarquable et aurait été extraordinaire en ayant été un peu plus condensé.
Merci à la
Librairie Les Beaux Titres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
de nous avoir fourni l’occasion de découvrir un livre à ne pas manquer.
Publié aux Editions Métailié – 443 pages
8.11.08
La petite chartreuse – Pierre Péju
Après avoir lu certains romans récompensés de prix littéraires, vous vous demandez en quoi et pourquoi le livre en question a pu faire l’objet d’une telle gratitude…
Récompensé par le prix Inter en 2003, « La petite chartreuse » fait, pour moi, partie de cette catégorie d’ouvrages retenus à tort. Je n’y vais pas par quatre chemins.
Le récit commence bien, comme pour « Le rire de l’ogre », qui lui est postérieur. On apprécie l’ambiance lugubre de cette petite ville de province, aux pieds des montagnes et pour laquelle la vie va basculer pour deux êtres.
Pour Vollard, gigantesque libraire, espèce d’ogre solitaire dévorant tous les livres sur son passage, hypermnésique et donc capable de riter par cœur n’importe quel passage de n’importe quel livre, une fois lu.
Pour Eva, petite écolière de moins de dix ans, qui parce que sa mère, femme superficielle et en galère permanente, va arriver en retard à l’école, partira en courant dans les rues d’une ville dont elle ignore tout ou presque et se fera renverser par Vollard.
Cette courte permière partie fait l’objet d’une écriture minutieuse, précise et de qualité. Le désespoir sourd lourdement de chaque ligne. La vie de ces deux formes de solitaires que sont Eva, trimballée et abandonnée par sa mère, et Vollard, dont l’hypermnésie et la carrure le condamnent à la marginalité est admirablement rendue.
Puis le livre va finir par s’enliser, comme pour « Le rire de l’ogre » à vouloir partir de de multiples directions sans aller au bout de la moindre d’entre elles.
Pourquoi avoir voulu donner à voir Vollard par les yeux d’un tiers, narrateur d’un temps, et qui va soudainement disparaître au bas d’une page, sans explication ?
Pourquoi ne pas approfondir la misère affective et psychologique de la mère qui aurait fait un personnage romanesque fort ?
Pourquoi osciller entre passé et présent sans que ceci ne fasse progresser un récit dont on finit par se lasser ?
La seule bonne nouvelle, au fond, est que le roman est court. On le refermera donc sans regret en se grattant la tête à force de chercher l’improbable raison qui a voulu à ce roman insuffisant un prix immérité….
Publié aux Editions Gallimard – 179 pages
Récompensé par le prix Inter en 2003, « La petite chartreuse » fait, pour moi, partie de cette catégorie d’ouvrages retenus à tort. Je n’y vais pas par quatre chemins.
Le récit commence bien, comme pour « Le rire de l’ogre », qui lui est postérieur. On apprécie l’ambiance lugubre de cette petite ville de province, aux pieds des montagnes et pour laquelle la vie va basculer pour deux êtres.
Pour Vollard, gigantesque libraire, espèce d’ogre solitaire dévorant tous les livres sur son passage, hypermnésique et donc capable de riter par cœur n’importe quel passage de n’importe quel livre, une fois lu.
Pour Eva, petite écolière de moins de dix ans, qui parce que sa mère, femme superficielle et en galère permanente, va arriver en retard à l’école, partira en courant dans les rues d’une ville dont elle ignore tout ou presque et se fera renverser par Vollard.
Cette courte permière partie fait l’objet d’une écriture minutieuse, précise et de qualité. Le désespoir sourd lourdement de chaque ligne. La vie de ces deux formes de solitaires que sont Eva, trimballée et abandonnée par sa mère, et Vollard, dont l’hypermnésie et la carrure le condamnent à la marginalité est admirablement rendue.
Puis le livre va finir par s’enliser, comme pour « Le rire de l’ogre » à vouloir partir de de multiples directions sans aller au bout de la moindre d’entre elles.
Pourquoi avoir voulu donner à voir Vollard par les yeux d’un tiers, narrateur d’un temps, et qui va soudainement disparaître au bas d’une page, sans explication ?
Pourquoi ne pas approfondir la misère affective et psychologique de la mère qui aurait fait un personnage romanesque fort ?
Pourquoi osciller entre passé et présent sans que ceci ne fasse progresser un récit dont on finit par se lasser ?
La seule bonne nouvelle, au fond, est que le roman est court. On le refermera donc sans regret en se grattant la tête à force de chercher l’improbable raison qui a voulu à ce roman insuffisant un prix immérité….
Publié aux Editions Gallimard – 179 pages
6.11.08
L’Africain – J.M.G. Le Clézio
Grâce à ce petit livre atypique de la production de Le Clézio publié en 2004, nous découvrons quelle fut l’enfance de Le Clézio et quel personnage extraordinaire fut son père, l’Africain.
Mauricien, donc citoyen britannique par rattachement colonial, son père épousa sa cousine germaine, française avant de terminer des études de médecine à Londres. Pour fuir l’autorité du chef de clinique de Southampton où il devait exercer, il demande son versement au ministère des colonies et se voit nommé en Guyane.
Après deux ans de service en pirogue, il sera nommé au Cameroun dans la région qui sera celle, plus tard, du Biafra.
Nous assistons à la vision tendre et adoucie par le temps d’un fils admiratif de la foi de son père. Une foi en la médecine et dans les hommes et les femmes qu’il tente de soigner, malgré des moyens dérisoires et des immensités géographiques considérables. Les territoires à couvrir sont souvent de la taille d’un grand pays européen.
Son père, autoritaire et qu’il ne découvrira que plusieurs années après la seconde guerre mondiale ayant été séparé de son épouse par la force du conflit qui embrase le monde, fut l’archétype de l’honnête homme. Il refusa le système colonial et mena une vie simple et rude où il partagea au quotidien la vie des autochtones. Respecté et admiré, il donna une leçon de vie fondamentale à ses deux enfants.
Remarquablement écrit, aussi objectif que possible, ce livre nous laisse voir ce que fut l’Afrique des années vingt à quarante. Une Afrique où liberté avait une résonnance particulière pour de jeunes enfants auxquels la mère laissa une éducation incroyablement libre pour l’époque.
Un livre attachant, sincère, un livre d’amour pour la terre et l’Africain que fut son père.
Publié aux Editions Mercure de France – 104 pages
Mauricien, donc citoyen britannique par rattachement colonial, son père épousa sa cousine germaine, française avant de terminer des études de médecine à Londres. Pour fuir l’autorité du chef de clinique de Southampton où il devait exercer, il demande son versement au ministère des colonies et se voit nommé en Guyane.
Après deux ans de service en pirogue, il sera nommé au Cameroun dans la région qui sera celle, plus tard, du Biafra.
Nous assistons à la vision tendre et adoucie par le temps d’un fils admiratif de la foi de son père. Une foi en la médecine et dans les hommes et les femmes qu’il tente de soigner, malgré des moyens dérisoires et des immensités géographiques considérables. Les territoires à couvrir sont souvent de la taille d’un grand pays européen.
Son père, autoritaire et qu’il ne découvrira que plusieurs années après la seconde guerre mondiale ayant été séparé de son épouse par la force du conflit qui embrase le monde, fut l’archétype de l’honnête homme. Il refusa le système colonial et mena une vie simple et rude où il partagea au quotidien la vie des autochtones. Respecté et admiré, il donna une leçon de vie fondamentale à ses deux enfants.
Remarquablement écrit, aussi objectif que possible, ce livre nous laisse voir ce que fut l’Afrique des années vingt à quarante. Une Afrique où liberté avait une résonnance particulière pour de jeunes enfants auxquels la mère laissa une éducation incroyablement libre pour l’époque.
Un livre attachant, sincère, un livre d’amour pour la terre et l’Africain que fut son père.
Publié aux Editions Mercure de France – 104 pages
31.10.08
Le soleil des Scorta – Laurent Gaudé
Ce qui étonne avec Gaudé, c’est sa remarquable capacité à se renouveler d’un roman à l’autre tout en conservant une qualité narrative et d’écriture à tous points admirable.
Dans ce roman paru en 2004, après le succès de «La Mort du Roi Tsongor » que nous avons encensé dans Cetalir, l’auteur fait montre d’un amour sincère pour les personnages qu’il met en scène au cœur d’un petit village des Pouilles, cette région d’Italie du Sud brûlée par le soleil et où l’olivier comptre presque plus que la vie des hommes.
La postface nous renseigne pour une fois utilement sur les raisons de cet amour sincère et inhabituel qui transpire véritablement à chaque page de l’auteur pour chacun de ces personnages, simples, rudes, essentiels. Il y a là une expression de l’amour pour une région d’origine familiale et dont la vie d’autrefois, ses traditions et sa rudesse sont fabuleusement rendues dans ce joli roman.
Nous retrouvons, un peu, deux des thèmes d’autres romans de Gaudé. Comme dans « La mort du roi Tsongor », nous plongeons ici dans la grande saga familiale puisque nous allons participer à la naissance d’un nom, celui des Scorta, et assister à son enracinement régional sur une période allant de 1875 à nos jours.
Le thème du passeur d’êtres qui n’ont plus rien à perdre est également superficiellement abordé, même s’il donne en soi les plus belles pages de ce roman avant que de servir de trame essentielle à « Eldorado » qui paraîtra l’année suivante.
Les Scorta c’est le résultat d’un quasi viol d’une vieille fille prise pour une autre et un brigand, à peine libéré de quinze ans d’emprisonnement pour brigandage. Pour paraphraser Gaudé, la lignée naquit « D’une erreur. D’un malentendu. D’un père vaurien, assassiné deux heures après son étreinte, et d’une vieille fille qui s’ouvrait à un homme pour la première fois. » (p29).
L’enracinement de la famille qui va naître ainsi ne pourra se faire que grâce à l’amour profond pour cette terre brûlée par le soleil et par la fuite dans un travail harassant, autour du petit tabac local que les quatre frères et sœurs de la génération suivante vont lancer. Un lancement rendu possible par l’argent ramené d’un bref exil new-yorkais, à la fois gloire et honte familiales, et par l’emprunt.
Les Scorta parlent peu mais ils sont liés par un pacte : celui de transmettre, juste avant de mourir, à un membre de la génération suivante, la seule chose qu’ils auront appris de la vie.
C’est cette tradition qui forgera la famille et la soudera face aux multiples épreuves de la vie.
Il y a beaucoup de souffrances et de simples joies dans ce beau roman qui, comme souvent avec Gaudé, met à profit une langue dépouillée pour rendre immédiats les sentiments évoqués.
Toute l’Italie du Sud est présente : le rôle de l’Eglise et des saints locaux, le sens de la famille, la méfiance des autorités locales, le brigandage, l’exil, le soleil écrasant, la mer, source de revenus légaux et illicites, l’importance de la mère, Miuccia, qui raconte, pendant qu’il est encore temps, la saga familiale, avant de mourir dramatiquement.
C’est probablement le roman par lequel nous vous recommanderions de découvrir Gaudé si ce n’est pas encore fait.
Il en émane une force tranquille et une maîtrise littéraire époustouflantes.
Publié aux Editions Actes Sud – 247 pages
Dans ce roman paru en 2004, après le succès de «La Mort du Roi Tsongor » que nous avons encensé dans Cetalir, l’auteur fait montre d’un amour sincère pour les personnages qu’il met en scène au cœur d’un petit village des Pouilles, cette région d’Italie du Sud brûlée par le soleil et où l’olivier comptre presque plus que la vie des hommes.
La postface nous renseigne pour une fois utilement sur les raisons de cet amour sincère et inhabituel qui transpire véritablement à chaque page de l’auteur pour chacun de ces personnages, simples, rudes, essentiels. Il y a là une expression de l’amour pour une région d’origine familiale et dont la vie d’autrefois, ses traditions et sa rudesse sont fabuleusement rendues dans ce joli roman.
Nous retrouvons, un peu, deux des thèmes d’autres romans de Gaudé. Comme dans « La mort du roi Tsongor », nous plongeons ici dans la grande saga familiale puisque nous allons participer à la naissance d’un nom, celui des Scorta, et assister à son enracinement régional sur une période allant de 1875 à nos jours.
Le thème du passeur d’êtres qui n’ont plus rien à perdre est également superficiellement abordé, même s’il donne en soi les plus belles pages de ce roman avant que de servir de trame essentielle à « Eldorado » qui paraîtra l’année suivante.
Les Scorta c’est le résultat d’un quasi viol d’une vieille fille prise pour une autre et un brigand, à peine libéré de quinze ans d’emprisonnement pour brigandage. Pour paraphraser Gaudé, la lignée naquit « D’une erreur. D’un malentendu. D’un père vaurien, assassiné deux heures après son étreinte, et d’une vieille fille qui s’ouvrait à un homme pour la première fois. » (p29).
L’enracinement de la famille qui va naître ainsi ne pourra se faire que grâce à l’amour profond pour cette terre brûlée par le soleil et par la fuite dans un travail harassant, autour du petit tabac local que les quatre frères et sœurs de la génération suivante vont lancer. Un lancement rendu possible par l’argent ramené d’un bref exil new-yorkais, à la fois gloire et honte familiales, et par l’emprunt.
Les Scorta parlent peu mais ils sont liés par un pacte : celui de transmettre, juste avant de mourir, à un membre de la génération suivante, la seule chose qu’ils auront appris de la vie.
C’est cette tradition qui forgera la famille et la soudera face aux multiples épreuves de la vie.
Il y a beaucoup de souffrances et de simples joies dans ce beau roman qui, comme souvent avec Gaudé, met à profit une langue dépouillée pour rendre immédiats les sentiments évoqués.
Toute l’Italie du Sud est présente : le rôle de l’Eglise et des saints locaux, le sens de la famille, la méfiance des autorités locales, le brigandage, l’exil, le soleil écrasant, la mer, source de revenus légaux et illicites, l’importance de la mère, Miuccia, qui raconte, pendant qu’il est encore temps, la saga familiale, avant de mourir dramatiquement.
C’est probablement le roman par lequel nous vous recommanderions de découvrir Gaudé si ce n’est pas encore fait.
Il en émane une force tranquille et une maîtrise littéraire époustouflantes.
Publié aux Editions Actes Sud – 247 pages
24.10.08
Le rire de l’ogre – Pierre Péju
Fort d’un grand succès de librairie, récompensé du Prix Inter en 2003 avec « La petite Chartreuse », Pierre Péju s’est sans doute embarqué dans une aventure qui le dépasse avec son dernier roman « Le rire de l’Ogre ».
Pourtant, le roman démarre sur les chapeaux de roue et l’on se dit que l’on tient un bel et bon ouvrage, de ceux que, une fois commencés, on ne peut plus lâcher. Il se dégage une force émotionnelle et narrative certaine dans toute la première partie où nous voyons évoluer deux histoires, dans deux mondes.
Celui de la seconde guerre mondiale et de la folie meurtrière la plus sauvage qui s’exprime sans limites en plein cœur de l’Ukraine, juste avant l’enlisement de la Wehrmacht devant Stalingrad. Les doutes des deux officiers, l’un « Oberlieutenant » et l’autre, médecin militaire, sont rendus avec une vérité saississante face aux massacres de civils juifs qui se perpétuent sous leurs yeux et auxquels ils n’ont d’autres solutions, obéissance militaire oblige, que de prêter un concours indirect.
Une épreuve illustrant le « Rire de l’ogre », celui de la folie humaine capable des pires atrocités, des meurtres froids et gratuits d’enfants innocents, et dont ils ne se remettront jamais complètement. Une épreuve qui, pour être partiellement surmontée, une fois la paix revenue, conduira à deux stratégies : celle de la folie meurtrière ou celle d’un relatif isolement social.
L’autre monde mis en scène nous emmène en plein cœur de la Bavière, au début des années soixante, où un jeune adolescent, Paul Marlau, qui va devenir le personnage central et narrateur de toute la suite du roman, se trouve envoyé auprès d’un correspondant allemand. Histoire d’en apprendre la langue et de marquer, à titre individuel, la réconciliation franco-allemande. Il y découvrira la fille du médecin militaire, Clara Lafontaine, dont il croisera régulièrement la route tout au long de sa vie. Comme lui, elle cherche dans l’art, lui avec le dessin, elle par la photographie, le moyen de fixer à jamais les chemins tortueux des âmes.
Les doutes de l’adolescence, la découverte des premiers émois, la difficulté à être aux autres quand on a une âme d’artiste et que l’on parle mal la langue du pays d’accueil sont là aussi joliment rendus.
Mais le roman bascule du mauvais côté dans sa deuxième partie qui occupe près de soixante pour cent du récit.
Nous voici transportés quelques années plus tard, en France. Pierre Péju va alors tenter de se débattre avec les personnages mis en scène dans la première partie et de nouveaux individus, tous à forts caractères.
A vouloir rendre compte pêle-mêle, des évènements de mai 68, des complots ourdis à l’ombre de la sale guerre d’Algérie, de la puissance évocatrice d’un professeur de philosophie dans lequel les jeunes adolescents parisiens cherchent à voir un maître qui se refuse à eux, à vouloir nous lancer dans la puissance évocatrice que porte en elle la sculpture, pour illustrer au plan figuratif de multiples formes du « Rire de l’Ogre », Paul Péju sombre rapidement… Le roman s’enlise en prenant de multiples directions dont aucune ne mène quelque part.
L’auteur ne maîtrise plus les personnages qu’il a mis en scène : ils sont trop forts pour lui et l’entraînent dans un monde dont les règles et les contours sont ceux du roman, plus ceux de l’auteur.
Nous sommes vite perdus dans des conjectures philsophiques de bas étages où Péju tente, désespérément, de s’en sortir par des formules à l’emporte-pièce, ce qui ne fait qu’accentuer le naufrage du roman.
On se prend alors à rester à la surface du récit, un rien verbeux et totalement déconnecté de toute émotion.
Il est évident que les parti-pris de complexité narrative, en faisant se chevaucher des époques différentes où les personnages se croisent à certains moment clés, combinés à une volonté de ne mettre en scène que des caractères forts, sans nuances, ne sont absolument pas maîtrisés par l’auteur.
Alors, la hâte d’en finir se fait jour. Seul le dernier court chapitre évite de terminer sur d’éternels regrets. Il ne suffira cependant pas à sauver ce roman qui n’aurait jamais dû être publié en l’état.
Publié aux Editions Gallimard – 308 pages
Pourtant, le roman démarre sur les chapeaux de roue et l’on se dit que l’on tient un bel et bon ouvrage, de ceux que, une fois commencés, on ne peut plus lâcher. Il se dégage une force émotionnelle et narrative certaine dans toute la première partie où nous voyons évoluer deux histoires, dans deux mondes.
Celui de la seconde guerre mondiale et de la folie meurtrière la plus sauvage qui s’exprime sans limites en plein cœur de l’Ukraine, juste avant l’enlisement de la Wehrmacht devant Stalingrad. Les doutes des deux officiers, l’un « Oberlieutenant » et l’autre, médecin militaire, sont rendus avec une vérité saississante face aux massacres de civils juifs qui se perpétuent sous leurs yeux et auxquels ils n’ont d’autres solutions, obéissance militaire oblige, que de prêter un concours indirect.
Une épreuve illustrant le « Rire de l’ogre », celui de la folie humaine capable des pires atrocités, des meurtres froids et gratuits d’enfants innocents, et dont ils ne se remettront jamais complètement. Une épreuve qui, pour être partiellement surmontée, une fois la paix revenue, conduira à deux stratégies : celle de la folie meurtrière ou celle d’un relatif isolement social.
L’autre monde mis en scène nous emmène en plein cœur de la Bavière, au début des années soixante, où un jeune adolescent, Paul Marlau, qui va devenir le personnage central et narrateur de toute la suite du roman, se trouve envoyé auprès d’un correspondant allemand. Histoire d’en apprendre la langue et de marquer, à titre individuel, la réconciliation franco-allemande. Il y découvrira la fille du médecin militaire, Clara Lafontaine, dont il croisera régulièrement la route tout au long de sa vie. Comme lui, elle cherche dans l’art, lui avec le dessin, elle par la photographie, le moyen de fixer à jamais les chemins tortueux des âmes.
Les doutes de l’adolescence, la découverte des premiers émois, la difficulté à être aux autres quand on a une âme d’artiste et que l’on parle mal la langue du pays d’accueil sont là aussi joliment rendus.
Mais le roman bascule du mauvais côté dans sa deuxième partie qui occupe près de soixante pour cent du récit.
Nous voici transportés quelques années plus tard, en France. Pierre Péju va alors tenter de se débattre avec les personnages mis en scène dans la première partie et de nouveaux individus, tous à forts caractères.
A vouloir rendre compte pêle-mêle, des évènements de mai 68, des complots ourdis à l’ombre de la sale guerre d’Algérie, de la puissance évocatrice d’un professeur de philosophie dans lequel les jeunes adolescents parisiens cherchent à voir un maître qui se refuse à eux, à vouloir nous lancer dans la puissance évocatrice que porte en elle la sculpture, pour illustrer au plan figuratif de multiples formes du « Rire de l’Ogre », Paul Péju sombre rapidement… Le roman s’enlise en prenant de multiples directions dont aucune ne mène quelque part.
L’auteur ne maîtrise plus les personnages qu’il a mis en scène : ils sont trop forts pour lui et l’entraînent dans un monde dont les règles et les contours sont ceux du roman, plus ceux de l’auteur.
Nous sommes vite perdus dans des conjectures philsophiques de bas étages où Péju tente, désespérément, de s’en sortir par des formules à l’emporte-pièce, ce qui ne fait qu’accentuer le naufrage du roman.
On se prend alors à rester à la surface du récit, un rien verbeux et totalement déconnecté de toute émotion.
Il est évident que les parti-pris de complexité narrative, en faisant se chevaucher des époques différentes où les personnages se croisent à certains moment clés, combinés à une volonté de ne mettre en scène que des caractères forts, sans nuances, ne sont absolument pas maîtrisés par l’auteur.
Alors, la hâte d’en finir se fait jour. Seul le dernier court chapitre évite de terminer sur d’éternels regrets. Il ne suffira cependant pas à sauver ce roman qui n’aurait jamais dû être publié en l’état.
Publié aux Editions Gallimard – 308 pages
17.10.08
La disparition de Richard Taylor – Arnaud Cathrine
Pourquoi regrette-t-on, après avoir refermé ce roman atypique, l’exploitation du thème qui en a été faite ? Il y a un je ne sais quoi d’inachevé, une bonne idée qui n’est pas allée jusqu’au bout sans doute à cause de la multiplicité des personnages qui amènent à avoir une vision superficielle de ce qui se passe… Cest le charme mais la limite de ce roman assez intéressant au demeurant.
Richard Taylor est un trentenaire qui s’endort dans sa vie. Un bon boulot à la BBC, marié à une femme gentille mais sans intérêt, tout nouvellement père d’une petite fille et heureux ( ?) propriétaire d’un gentillet appartement de soixante mètres carrés à Brighton.
Son couple sombre, sans y prendre garde, dans la routine matérialisée par une absence de rapports sexuels et des soirées passeés côte à côte sans rien se dire. Une absence soudainement et cruellement révélée par une nouvelle voisine, célibataire, et qui se livre à des séances bruyantes de masturbation, juste derrière la cloison mal isolée de la chambre conjugale.
C’est le révélateur pour Richard Taylor qui, du jour au lendemain, sans prévénir, va disparaître de la vie de sa femme Susan et des siens. Il enverra une lettre décousue à sa mère et ses sœurs, qu’il déteste, pour régler des comptes qui, en fait, resteront ouverts.
L’intérêt du livre réside indéniablement dans la vision de lui qu’ont alors les diverses femmes qui comptent pour Richard Taylor.
Pas son épouse, femme sans intérêt et dont nous n’apprendrons presque rien. Mais les femmes rencontrées, quelques heures, quelques jours, quelques semaines. C’est elles qui vont nous montrer Taylor sous ses diverses facettes et mettre à nu la crise identitaire de cet homme en rupture de banc.
Un homme qui éprouvera le besoin de s’ancrer dans les divers univers féminins, ceux des femmes qui peuvent aimer sans l’être réellement en retour, ceux des hommes qui se prennent pour des femmes et qui vont voir en Richard un hâvre de tentation. Une tentation sans retour cependant.
Le roman aurait pu être glauque. Il ne l’est pas. Il est sombre, comme le désespoir qui s’empare de Richard, comme son incapacité à se reconstruire, comme sa déchéance morale, physique et psychologique. Finalement, nous ne saurons pas vraiment qui est Richard Taylor, ce qui l’anime, ce qui l’émeut. Il restera une forme de mystère pour les femmes qui parlent de lui et pour nous, lecteurs.
Le livre laisse ouvert d’ailleurs tout futur, comme s’il appartenait à Richard de se prendre en main et de repartir, faisant fi de ce qu’il a pu/su inspirer aux autres.
Un livre à découvrir, malgré ses imperfections. Pas un grand roman, mais un assez bon ouvrage tout de même.
Publié aux Editions Verticales – 195 pages
Richard Taylor est un trentenaire qui s’endort dans sa vie. Un bon boulot à la BBC, marié à une femme gentille mais sans intérêt, tout nouvellement père d’une petite fille et heureux ( ?) propriétaire d’un gentillet appartement de soixante mètres carrés à Brighton.
Son couple sombre, sans y prendre garde, dans la routine matérialisée par une absence de rapports sexuels et des soirées passeés côte à côte sans rien se dire. Une absence soudainement et cruellement révélée par une nouvelle voisine, célibataire, et qui se livre à des séances bruyantes de masturbation, juste derrière la cloison mal isolée de la chambre conjugale.
C’est le révélateur pour Richard Taylor qui, du jour au lendemain, sans prévénir, va disparaître de la vie de sa femme Susan et des siens. Il enverra une lettre décousue à sa mère et ses sœurs, qu’il déteste, pour régler des comptes qui, en fait, resteront ouverts.
L’intérêt du livre réside indéniablement dans la vision de lui qu’ont alors les diverses femmes qui comptent pour Richard Taylor.
Pas son épouse, femme sans intérêt et dont nous n’apprendrons presque rien. Mais les femmes rencontrées, quelques heures, quelques jours, quelques semaines. C’est elles qui vont nous montrer Taylor sous ses diverses facettes et mettre à nu la crise identitaire de cet homme en rupture de banc.
Un homme qui éprouvera le besoin de s’ancrer dans les divers univers féminins, ceux des femmes qui peuvent aimer sans l’être réellement en retour, ceux des hommes qui se prennent pour des femmes et qui vont voir en Richard un hâvre de tentation. Une tentation sans retour cependant.
Le roman aurait pu être glauque. Il ne l’est pas. Il est sombre, comme le désespoir qui s’empare de Richard, comme son incapacité à se reconstruire, comme sa déchéance morale, physique et psychologique. Finalement, nous ne saurons pas vraiment qui est Richard Taylor, ce qui l’anime, ce qui l’émeut. Il restera une forme de mystère pour les femmes qui parlent de lui et pour nous, lecteurs.
Le livre laisse ouvert d’ailleurs tout futur, comme s’il appartenait à Richard de se prendre en main et de repartir, faisant fi de ce qu’il a pu/su inspirer aux autres.
Un livre à découvrir, malgré ses imperfections. Pas un grand roman, mais un assez bon ouvrage tout de même.
Publié aux Editions Verticales – 195 pages
13.10.08
L’affaire Jane Eyre – Jasper Fforde
Imaginez un instant que ce qui gouverne le monde d’un futur proche soit la Littérature. A tel point que des sectes se constituent pour décider qui, des Shakespeariens ou des Byronniens, l’emporte sur l’autre, que des automates postés dans les lieux publics récitent à la demande des morceaux choisis des meilleures pièces de Shakespeare et que des Brigades Spéciales, les Literatec, soient constituées pour traquer le grand banditisme littéraire.
Un grand banditisme qui vise à s’emparer de manuscrits originaux pour les modifier et les revendre, imités à la perfection, sous le manteau. Pour créer de pseudo-originaux reprenant le style, la structure syntaxique, le vocabulaire habituels des grands auteurs classiques.
Jasper Fforde nous entraîne avec une imagination et un humour décapants dans un monde totalement fou, un monde coincé dans une guerre qui dure depuis cent trente ans et qui opposent Russes et Anglais pour un bout de presqu’île perdu en Crimée.
Une guerre qui pourrait tourner définitivement au profit des Anglais si certains secrets de fabrication d’une arme définitive, sans riposte mais non atomique, étaient définitivement découverts. Des secrets qui existent dans le futur et qui pourraient être découverts par anticipation grâce à une machine à ouvrir le temps littéraire. Une machine devenue un enjeu crucial d’une lutte sans merci.
Mais c’est sans compter sur le terroriste Hadès, génie, ex-professeur de littérature, séducteur, capable de se rendre maître des cerveaux les plus faibles, meurtrier sans scrupules pour s’emparer de ce qui le rendra immortel : un manuscrit original. Inrepérable, invisible aux caméras, résistants aux balles, il se joue avec sarcasme de tous ses poursuivants.
Le manuscrit, ce sera celui du roman de Charlotte Brontë, « Jane Eyre », doù le titre du roman, qui va donner lieu à une empoignade où tous les coups sont permis entre les services spéciaux anglais, les services secrets paramilitaires, la société des protecteurs de Brontë et Thursday Next, inspectrice Literatec qui eut Hades comme professeur.
A partir de là, Fforde dévoile un talent impressionnant pour concocter une trame narrative brillante, soutenue, pleine de rebondissements. Un univers dans lequel les romans écrits dans le passé peuvent être modifiés grâce à une ingénieuse machine combinée à des vers capables d’agencer des synonymes ou de combiner de nouvelles phrases. Un univers où le temps se dissout et se fracture et où les personnages romanesques du XIXe siècle ont leur propre vie, leurs propres émotions, leurs propres désirs capables d’influencer notre vie à distance comme la technologie envisagée dans ce roman délirant sait le rendre possible dans l’autre sens.
Un univers où la loyauté continue à avoir un sens et où le courage se voit récompensé malgré l’adversité.
Nous assistons admiratifs au dialogue entre les personnages de ce roman inclassable et ceux de Brontë ou du poète William Wordsworth (quel beau nom pour un poète !), jusqu’à la réécriture partielle d’un des chefs-d’œuvre de Brontë en vue d’offrir une fin plus « happy end » et moderne que l’originale.
Il ne faut pas chercher le probable ou le réaliste : nous nageons en pleine techno-fiction dans un monde dont les limites physiques ont été repoussées et où se déplacer à travers le temps n’est pas si inhabituel que cela.
L’inspectrice Thursday Next aura bien du fil à retordre pour tenter de venir à bout de Hadès et devra passer par de multiples épreuves, dans ce monde réel et dans d’autres, pour mieux se connaître elle-même et venir à bout de ses propres démons.
Tout aussi génial, imaginatif et délirant qu’un Dune, qu’un Tolkien, que les Fourmis mais d’un genre à part.
A ne surtout pas rater !
Publié aux Editions Fleuve Noir – 389 pages
Un grand banditisme qui vise à s’emparer de manuscrits originaux pour les modifier et les revendre, imités à la perfection, sous le manteau. Pour créer de pseudo-originaux reprenant le style, la structure syntaxique, le vocabulaire habituels des grands auteurs classiques.
Jasper Fforde nous entraîne avec une imagination et un humour décapants dans un monde totalement fou, un monde coincé dans une guerre qui dure depuis cent trente ans et qui opposent Russes et Anglais pour un bout de presqu’île perdu en Crimée.
Une guerre qui pourrait tourner définitivement au profit des Anglais si certains secrets de fabrication d’une arme définitive, sans riposte mais non atomique, étaient définitivement découverts. Des secrets qui existent dans le futur et qui pourraient être découverts par anticipation grâce à une machine à ouvrir le temps littéraire. Une machine devenue un enjeu crucial d’une lutte sans merci.
Mais c’est sans compter sur le terroriste Hadès, génie, ex-professeur de littérature, séducteur, capable de se rendre maître des cerveaux les plus faibles, meurtrier sans scrupules pour s’emparer de ce qui le rendra immortel : un manuscrit original. Inrepérable, invisible aux caméras, résistants aux balles, il se joue avec sarcasme de tous ses poursuivants.
Le manuscrit, ce sera celui du roman de Charlotte Brontë, « Jane Eyre », doù le titre du roman, qui va donner lieu à une empoignade où tous les coups sont permis entre les services spéciaux anglais, les services secrets paramilitaires, la société des protecteurs de Brontë et Thursday Next, inspectrice Literatec qui eut Hades comme professeur.
A partir de là, Fforde dévoile un talent impressionnant pour concocter une trame narrative brillante, soutenue, pleine de rebondissements. Un univers dans lequel les romans écrits dans le passé peuvent être modifiés grâce à une ingénieuse machine combinée à des vers capables d’agencer des synonymes ou de combiner de nouvelles phrases. Un univers où le temps se dissout et se fracture et où les personnages romanesques du XIXe siècle ont leur propre vie, leurs propres émotions, leurs propres désirs capables d’influencer notre vie à distance comme la technologie envisagée dans ce roman délirant sait le rendre possible dans l’autre sens.
Un univers où la loyauté continue à avoir un sens et où le courage se voit récompensé malgré l’adversité.
Nous assistons admiratifs au dialogue entre les personnages de ce roman inclassable et ceux de Brontë ou du poète William Wordsworth (quel beau nom pour un poète !), jusqu’à la réécriture partielle d’un des chefs-d’œuvre de Brontë en vue d’offrir une fin plus « happy end » et moderne que l’originale.
Il ne faut pas chercher le probable ou le réaliste : nous nageons en pleine techno-fiction dans un monde dont les limites physiques ont été repoussées et où se déplacer à travers le temps n’est pas si inhabituel que cela.
L’inspectrice Thursday Next aura bien du fil à retordre pour tenter de venir à bout de Hadès et devra passer par de multiples épreuves, dans ce monde réel et dans d’autres, pour mieux se connaître elle-même et venir à bout de ses propres démons.
Tout aussi génial, imaginatif et délirant qu’un Dune, qu’un Tolkien, que les Fourmis mais d’un genre à part.
A ne surtout pas rater !
Publié aux Editions Fleuve Noir – 389 pages
4.10.08
La ville au bord du fleuve immobile – Eduardo Mallea
Eduardo Mallea est un des écrivains argentins majeurs, si ce n’est l’écrivain argentin de référence. Né en 1903, mort en 1982, « La ville au bord du fleuve tranquille » fut rédigé entre 1935 et 1936. On y sent la guerre poindre et la ville brille de ses derniers feux illusoires.
A la fois roman et succession de nouvelles, « La ville au bord du fleuve immobile » met en scène soixante trois personnages, sombres, solitaires, amers.
Ce livre est une composition musicale austère et exigeante pour dire l’impossibilité d’aimer durablement, l’impossibilité à être deux, à s’ouvrir à exister en fonction de l’autre. La force de cet ouvrage est en outre d’étudier ce qui semble constituer un axiome incontournable pour l’auteur, tant du point de vue masculin (principalement) que féminin.
Nul sexe ne peut trouver grâce aux yeux de l’autre et ce point de vue est décortiqué avec une froideur qui fait peur et semble condamner toute passion, tout sentiment, toute affection à une tombe humide et sombre.
Quelles que soient leurs conditions, leurs statuts, leurs passés, les personnages de Mallea sont condamnés d’avance à poursuivre leur chemin sur le bas-côté. Privés d’amour, délaissés, ils cheminent en silence pour parfaire les raisons qui feront d’eux les mal-aimés auxquels ils se condamnent seuls.
L’essentiel de ces nouvelles se déroule de nuit, dans les divers quartiers de Buenos-Aires, souvent autour d’une table et de quelques alcools qui désinhibent. L’écriture y est exigeante mais admirable : lire d’une traite ce recueil serait une erreur car l’accumulation de désespérance pourrait inviter à se détourner d’un ouvrage majeur.
A déguster de préférence en parallèle d’une autre lecture et à méditer.
Un livre que tout amateur de littérature se doit de découvrir.
Publié aux Editions Autrement – 268 pages
A la fois roman et succession de nouvelles, « La ville au bord du fleuve immobile » met en scène soixante trois personnages, sombres, solitaires, amers.
Ce livre est une composition musicale austère et exigeante pour dire l’impossibilité d’aimer durablement, l’impossibilité à être deux, à s’ouvrir à exister en fonction de l’autre. La force de cet ouvrage est en outre d’étudier ce qui semble constituer un axiome incontournable pour l’auteur, tant du point de vue masculin (principalement) que féminin.
Nul sexe ne peut trouver grâce aux yeux de l’autre et ce point de vue est décortiqué avec une froideur qui fait peur et semble condamner toute passion, tout sentiment, toute affection à une tombe humide et sombre.
Quelles que soient leurs conditions, leurs statuts, leurs passés, les personnages de Mallea sont condamnés d’avance à poursuivre leur chemin sur le bas-côté. Privés d’amour, délaissés, ils cheminent en silence pour parfaire les raisons qui feront d’eux les mal-aimés auxquels ils se condamnent seuls.
L’essentiel de ces nouvelles se déroule de nuit, dans les divers quartiers de Buenos-Aires, souvent autour d’une table et de quelques alcools qui désinhibent. L’écriture y est exigeante mais admirable : lire d’une traite ce recueil serait une erreur car l’accumulation de désespérance pourrait inviter à se détourner d’un ouvrage majeur.
A déguster de préférence en parallèle d’une autre lecture et à méditer.
Un livre que tout amateur de littérature se doit de découvrir.
Publié aux Editions Autrement – 268 pages
29.9.08
L’heure magique de la fiancée du pickpocket – Anne Bragance
Si vous ne connaissez pas encore Anne Bragance, écrivain prolifique d’origine andalouse, née à Casablanca et bercée dans son enfance par un melting-pot de langues et de cultures, ce petit roman constitue une joyeuse opportunité.
Mme Bragance est une femme du Sud, du soleil, de l’expression imagée et où les mots s’entrechoquent, se disloquent pour se fondre dans une langue aux couleurs régionales. Une langue chaude, expressive, pleine d’humour et de grands sentiments.
Nous sommes ici à Marseille. Sans transition et sans introduction, ce qui peut surprendre, nous suivons Irina sur la cannebière. Il pleut. Irina met sa main dans son imperméable et son portefeuille a disparu. Par un raccourci saisissant, Irina est au bras du pickpocket et le suit dans un bistrot. Le jeune homme, par bravade parce que la fille est belle, lui propose de l’épouser. Parce que le jeune homme a de la prestance et qu’il a choisi de commander deux camparis, l’apéritif préféré d’Irina sans qu’il le sache, Irina accepte. Il ne sait pas que c’est le troisième mariage de la belle inconstante. Maxime tombe des nues, ne dit rien et voilà l’affaire conclue !
Enfin presque, car il faut que les deux futures belles-mères s’accordent. Et c’est là que l’auteur se déchaîne et donne libre cours à la puissance de sa langue.
La mère de Maxime est simple, fille du peuple. Elle élève seule ses trois enfants car, dans ce roman, les hommes sont souvent morts, absents, largués par des maîtresses femmes et figurent au second plan. Elle s’exprime dans une langue qui concatène les expressions toutes faites ce qui donne des résultats burlesques et aux résonnances merveilleuses. C’est les des principaux attraits de ce petit bijou.
Celle d’Irina est un véritable despote qui a enterré quatre maris, en tyrannise un cinquième et veut tout régenter.Alors, bien sûr, elles vont s’affronter, se charmer, s’amadouer sous la vigilance discrète du beau-père d’Irina qui ne veut que le bonheur du couple.
Derrière cette intrigue simple, Anne Bragance a le don pour nous emmener dans un voyage enlevé dans la ville de la bonne-mère. Deux classes s’affrontent. Un couple contre-nature se forme qui érige ses propres lois, avant que de succomber aux attaques liguées des deux belles-mères.
Les rebondissements sont nombreux, l’écriture alerte et le rythme à l’avenant.
Le soleil chante, la parole est d’or. On sourit, on s’amuse, on oublie tout.
Au fond, que demander de plus même si ce n’est pas un roman majeur ?
Publié aux Editions Mercure de France
Mme Bragance est une femme du Sud, du soleil, de l’expression imagée et où les mots s’entrechoquent, se disloquent pour se fondre dans une langue aux couleurs régionales. Une langue chaude, expressive, pleine d’humour et de grands sentiments.
Nous sommes ici à Marseille. Sans transition et sans introduction, ce qui peut surprendre, nous suivons Irina sur la cannebière. Il pleut. Irina met sa main dans son imperméable et son portefeuille a disparu. Par un raccourci saisissant, Irina est au bras du pickpocket et le suit dans un bistrot. Le jeune homme, par bravade parce que la fille est belle, lui propose de l’épouser. Parce que le jeune homme a de la prestance et qu’il a choisi de commander deux camparis, l’apéritif préféré d’Irina sans qu’il le sache, Irina accepte. Il ne sait pas que c’est le troisième mariage de la belle inconstante. Maxime tombe des nues, ne dit rien et voilà l’affaire conclue !
Enfin presque, car il faut que les deux futures belles-mères s’accordent. Et c’est là que l’auteur se déchaîne et donne libre cours à la puissance de sa langue.
La mère de Maxime est simple, fille du peuple. Elle élève seule ses trois enfants car, dans ce roman, les hommes sont souvent morts, absents, largués par des maîtresses femmes et figurent au second plan. Elle s’exprime dans une langue qui concatène les expressions toutes faites ce qui donne des résultats burlesques et aux résonnances merveilleuses. C’est les des principaux attraits de ce petit bijou.
Celle d’Irina est un véritable despote qui a enterré quatre maris, en tyrannise un cinquième et veut tout régenter.Alors, bien sûr, elles vont s’affronter, se charmer, s’amadouer sous la vigilance discrète du beau-père d’Irina qui ne veut que le bonheur du couple.
Derrière cette intrigue simple, Anne Bragance a le don pour nous emmener dans un voyage enlevé dans la ville de la bonne-mère. Deux classes s’affrontent. Un couple contre-nature se forme qui érige ses propres lois, avant que de succomber aux attaques liguées des deux belles-mères.
Les rebondissements sont nombreux, l’écriture alerte et le rythme à l’avenant.
Le soleil chante, la parole est d’or. On sourit, on s’amuse, on oublie tout.
Au fond, que demander de plus même si ce n’est pas un roman majeur ?
Publié aux Editions Mercure de France
19.9.08
Un week-end dans le Michigan – Richard Ford
C’est un livre profondément mélancolique que Ford a concocté. Un livre aux tonalités très différentes de « Une mort secrète », beaucoup plus intimiste et introspectif. Un livre aux tonalités grises comme la brume qui masque une réalité qu’on a du mal à accepter.
Le livre est écrit à la première personne du singulier, sous la forme d’une confession distanciée, d’un petit observateur détaché qui aurait la capacité à disséquer ce que le moi auquel il est rattaché a pu commettre en bien ou en mal, consciemment ou inconsciemment. C’est Franck Bascombe qui parle, un brave type de trente neuf ans, journaliste sportif et divorcé.
Petit à petit, par les confessions qui nous sont livrées, les retours nostalgiques dans un passé dont il comprend qu’il a peut-être symbolisé le bonheur sur terre, nous allons de mieux en mieux faire connaissance avec Franck Bascombe. De même qu'il va apprivoiser sa personnalité en trouvant un sens à une vie qui s’est toujours cherchée jusqu’ici.
Depuis son divorce, d’un commun accord avec son ex-épouse, ils se sont installés dans la même petite ville du New-Jersey pour protéger les enfants. En fait, il semble bien que tous deux continuent d’être amoureux l’un de l’autre, mais qu’ils sont trop fiers pour se l’avouer et revivre ensemble. Pourtant, ils se téléphonent presque quotidiennement, se servent de confidents et partagent une connivence autrement plus grande que bien des couples légitimes.
Depuis son divorce, Franck cherche un nouveau sens à sa vie mais ne parvient pas à le trouver. Il a collectionné les femmes, souvent des amantes d’un soir, découvertes dans un hôtel ou un bar qu’il fréquente lors de ses incessants déplacements professionnels. Une seule liaison a duré trois ans, une liaison sulfureuse et pleine de passion mais qui ne pouvait mener qu’à la destruction. Il ne reste de ces aventures qu’un goût amer car aucune na su approcher ce qu’il comprend avoir connu avec son ex-épouse.
Il s’est essayé au professorat car, avant d’être journaliste, il fut auteur d’un recueil de nouvelles qui fut salué par la critique. Mais comme il est velléitaire, il a cessé d’écrire, l’inspiration et la constance manquant. Cette tentative fut désastreuse et le ridiculisa plus encore à ses propres yeux.
Il croit avoir trouvé un amour et une relation stables avec une jolie infirmière de la ville et il décide de partir avec elle pour un week-end dans le Michigan, à Detroit, où il doit interviewer une ex-vedette du base-ball devenue infirme et clouée dans un fauteuil roulant.
Nous allons suivre le déroulement d’un week-end mémorable où tout va se conjuguer pour mettre à bas les moindres projets de notre homme. Sa fiancée va se révéler profondément déséquilibrée et le malaise ne va cesser d’empirer avant d’éclater dans une série de scènes déchirantes d’humanité et où, pour se rassurer, pour croire en quelque chose, il ne cessera de crier son amour sans être certain de sa sincérité et malgré les évidences qui devraient le conduire à prendre ses jambes à son cou.
Lors de ce même week-end, une de ces connaissances qui se dit son ami et le harcèle parce qu’il est hanté par ce qu’il a découvert récemment sur lui-même, va se décider le dimanche de Pâques et le précipiter sur des routes parsemées de rencontres hostiles. Ses ex-petites amies, recontactées en hâte, vont lui prêter l’attention méritée après des années de silence.
Même son ex-épouse va finir par lui claquer la porte au nez après une conduite impardonnable dictée par le désespoir et la mélancolie.Chaque tentative est vouée à un échec de plus ou plus cuisant pour son amour propre.
C’est sur cette trame profondément déchirante et sur la solitude qui hante chacun des personnages, que Ford va bâtir un roman fort, dense, d’une intense humanité. Un roman sans joie et où tout tourne court. Un week-end pour en finir avec ses illusions et enfin tourner la page, devenir adulte, s’assumer tel que l’on est et non pas tel que l’on rêverait que les autres nous vissent.
Un roman qui pose la question du rapport à l'écriture et de la façon d'être aux autres.
Ce long roman se déguste avec la lenteur et l’attention dues à ce qui est rare, le talent et la force d’expression. A éviter toutefois si vous traversez une phase profondément dépressive !
Publié aux Editions de l’Olivier – 491 pages.
Le livre est écrit à la première personne du singulier, sous la forme d’une confession distanciée, d’un petit observateur détaché qui aurait la capacité à disséquer ce que le moi auquel il est rattaché a pu commettre en bien ou en mal, consciemment ou inconsciemment. C’est Franck Bascombe qui parle, un brave type de trente neuf ans, journaliste sportif et divorcé.
Petit à petit, par les confessions qui nous sont livrées, les retours nostalgiques dans un passé dont il comprend qu’il a peut-être symbolisé le bonheur sur terre, nous allons de mieux en mieux faire connaissance avec Franck Bascombe. De même qu'il va apprivoiser sa personnalité en trouvant un sens à une vie qui s’est toujours cherchée jusqu’ici.
Depuis son divorce, d’un commun accord avec son ex-épouse, ils se sont installés dans la même petite ville du New-Jersey pour protéger les enfants. En fait, il semble bien que tous deux continuent d’être amoureux l’un de l’autre, mais qu’ils sont trop fiers pour se l’avouer et revivre ensemble. Pourtant, ils se téléphonent presque quotidiennement, se servent de confidents et partagent une connivence autrement plus grande que bien des couples légitimes.
Depuis son divorce, Franck cherche un nouveau sens à sa vie mais ne parvient pas à le trouver. Il a collectionné les femmes, souvent des amantes d’un soir, découvertes dans un hôtel ou un bar qu’il fréquente lors de ses incessants déplacements professionnels. Une seule liaison a duré trois ans, une liaison sulfureuse et pleine de passion mais qui ne pouvait mener qu’à la destruction. Il ne reste de ces aventures qu’un goût amer car aucune na su approcher ce qu’il comprend avoir connu avec son ex-épouse.
Il s’est essayé au professorat car, avant d’être journaliste, il fut auteur d’un recueil de nouvelles qui fut salué par la critique. Mais comme il est velléitaire, il a cessé d’écrire, l’inspiration et la constance manquant. Cette tentative fut désastreuse et le ridiculisa plus encore à ses propres yeux.
Il croit avoir trouvé un amour et une relation stables avec une jolie infirmière de la ville et il décide de partir avec elle pour un week-end dans le Michigan, à Detroit, où il doit interviewer une ex-vedette du base-ball devenue infirme et clouée dans un fauteuil roulant.
Nous allons suivre le déroulement d’un week-end mémorable où tout va se conjuguer pour mettre à bas les moindres projets de notre homme. Sa fiancée va se révéler profondément déséquilibrée et le malaise ne va cesser d’empirer avant d’éclater dans une série de scènes déchirantes d’humanité et où, pour se rassurer, pour croire en quelque chose, il ne cessera de crier son amour sans être certain de sa sincérité et malgré les évidences qui devraient le conduire à prendre ses jambes à son cou.
Lors de ce même week-end, une de ces connaissances qui se dit son ami et le harcèle parce qu’il est hanté par ce qu’il a découvert récemment sur lui-même, va se décider le dimanche de Pâques et le précipiter sur des routes parsemées de rencontres hostiles. Ses ex-petites amies, recontactées en hâte, vont lui prêter l’attention méritée après des années de silence.
Même son ex-épouse va finir par lui claquer la porte au nez après une conduite impardonnable dictée par le désespoir et la mélancolie.Chaque tentative est vouée à un échec de plus ou plus cuisant pour son amour propre.
C’est sur cette trame profondément déchirante et sur la solitude qui hante chacun des personnages, que Ford va bâtir un roman fort, dense, d’une intense humanité. Un roman sans joie et où tout tourne court. Un week-end pour en finir avec ses illusions et enfin tourner la page, devenir adulte, s’assumer tel que l’on est et non pas tel que l’on rêverait que les autres nous vissent.
Un roman qui pose la question du rapport à l'écriture et de la façon d'être aux autres.
Ce long roman se déguste avec la lenteur et l’attention dues à ce qui est rare, le talent et la force d’expression. A éviter toutefois si vous traversez une phase profondément dépressive !
Publié aux Editions de l’Olivier – 491 pages.
16.9.08
A l’abri de rien – Olivier Adam
La dernière mouture d’Olivier Adam est au moins aussi sombre que « Falaises » ou « Passer l’hiver ». C’est dans l’univers des pauvres, des classes moyennes en voie d’exclusion à force de chômage ou de manque d’argent que l’auteur trouve une inspiration renouvelée. Une fois de plus, nous sommes au bord de le mer. De la Manche qui rend le temps changeant et glacial en cet hiver.
Nous sommes quelque part du côté de Sangate, sans doute, puisque, suite à la fermeture d’un centre de rétention administrative, la ville fourmille de réfugiés afghans, irakiens ou sokhovars qui ne rêvent que de passer en Angleterre, illusoire terre promise.
Marie est en plein naufrage, brisée par une dépression qu’elle s’emploie à ne pas vouloir soigner. Elle vient de perdre son emploi de caissière de supermarché pour avoir pété les plombs face à un client abject.
Elle tourne en rond chez elle, délaissant ses responsabilités de ménagère et d’épouse. La vie se déroule à côté d’elle. Une vie qu’elle abhorre. Une vie étriquée, à l’horizon bouché par les crédits qui s’empilent, un amour machinal, des tâches répétitives et sans intérêt.
Alors, presque par hasard, Marie va se laisser emporter corps et âme comme bénévole au centre d’aide aux réfugiés. Elle y trouve un sens à sa révolte et une structuration à une vie qui part en quenouille.
Mais comme Marie est fragile, elle va se laisser emporter par sa mission, s’identifier à ces hommes affamés, séparés de leur famille, violentés par une police raciste, détestés par la population locale. Marie va se donner entièrement sans retenue, sans distanciation.
A ce jeu là, sa famille, ses enfants jeunes, son mari simple mais aimant, vont payer le prix fort. A vouloir trop aimer car elle ne sait pas s’aimer elle-même, Marie va finir par tout perdre et surtout perdre toute raison.
C’est à cette descente hallucinante aux enfers que nous participons, pantelants, sonnés, désespérés de ne pouvoir intervenir. Car le livre possède une force narrative qui fait qu’on s’identifie rapidement à Marie. Soudain ces images vues à la télévision nous reviennent. Il est facile d’y croire et d’y plonger.
Ce livre est donc aussi bien un témoignage poignant sur le quotidien infernal de ces réfugiés dont personne ne veut, persécutés par notre gouvernement, qu’une illustration de la limite à donner à nos actes sociaux, de l’urgente nécessité à savoir donner de soi sans tout donner et donc, tout perdre. La limite est parfois étroite, surtout pour les faibles, les êtres déséquilibrés et fragiles qui trouvent dans la vie associative un refuge et une occasion de fuir la nature même de leurs propres problèmes. Car comment s’occuper efficacement des autres sans s’être occupé correctement de soi ?
La langue d’Olivier Adam est aussi simple que le cœur de ses personnages. La nuit, la pluie, le froid, la mer du Nord sont autant d’éléments permanents dans son œuvre qui contribuent à créer immédiatement un climat d’étouffement. Un climat propice à l’éclatement des conflits dus à une vie de frustrations et d’échecs, autres caractéristiques des personnages de l’auteur.
Il en résulte un livre glaçant, certes moins poignant que « Falaises », mais tout de même réussi.
Publié aux Editions de l’Olivier – 219 pages
Nous sommes quelque part du côté de Sangate, sans doute, puisque, suite à la fermeture d’un centre de rétention administrative, la ville fourmille de réfugiés afghans, irakiens ou sokhovars qui ne rêvent que de passer en Angleterre, illusoire terre promise.
Marie est en plein naufrage, brisée par une dépression qu’elle s’emploie à ne pas vouloir soigner. Elle vient de perdre son emploi de caissière de supermarché pour avoir pété les plombs face à un client abject.
Elle tourne en rond chez elle, délaissant ses responsabilités de ménagère et d’épouse. La vie se déroule à côté d’elle. Une vie qu’elle abhorre. Une vie étriquée, à l’horizon bouché par les crédits qui s’empilent, un amour machinal, des tâches répétitives et sans intérêt.
Alors, presque par hasard, Marie va se laisser emporter corps et âme comme bénévole au centre d’aide aux réfugiés. Elle y trouve un sens à sa révolte et une structuration à une vie qui part en quenouille.
Mais comme Marie est fragile, elle va se laisser emporter par sa mission, s’identifier à ces hommes affamés, séparés de leur famille, violentés par une police raciste, détestés par la population locale. Marie va se donner entièrement sans retenue, sans distanciation.
A ce jeu là, sa famille, ses enfants jeunes, son mari simple mais aimant, vont payer le prix fort. A vouloir trop aimer car elle ne sait pas s’aimer elle-même, Marie va finir par tout perdre et surtout perdre toute raison.
C’est à cette descente hallucinante aux enfers que nous participons, pantelants, sonnés, désespérés de ne pouvoir intervenir. Car le livre possède une force narrative qui fait qu’on s’identifie rapidement à Marie. Soudain ces images vues à la télévision nous reviennent. Il est facile d’y croire et d’y plonger.
Ce livre est donc aussi bien un témoignage poignant sur le quotidien infernal de ces réfugiés dont personne ne veut, persécutés par notre gouvernement, qu’une illustration de la limite à donner à nos actes sociaux, de l’urgente nécessité à savoir donner de soi sans tout donner et donc, tout perdre. La limite est parfois étroite, surtout pour les faibles, les êtres déséquilibrés et fragiles qui trouvent dans la vie associative un refuge et une occasion de fuir la nature même de leurs propres problèmes. Car comment s’occuper efficacement des autres sans s’être occupé correctement de soi ?
La langue d’Olivier Adam est aussi simple que le cœur de ses personnages. La nuit, la pluie, le froid, la mer du Nord sont autant d’éléments permanents dans son œuvre qui contribuent à créer immédiatement un climat d’étouffement. Un climat propice à l’éclatement des conflits dus à une vie de frustrations et d’échecs, autres caractéristiques des personnages de l’auteur.
Il en résulte un livre glaçant, certes moins poignant que « Falaises », mais tout de même réussi.
Publié aux Editions de l’Olivier – 219 pages
5.9.08
L’inconsolable – Anne Godard
Avec ce premier roman encensé par la critique, Anne Godard nous fait pénétrer dans un monde de noir désespoir, sans autre issue que la mort de préférence atroce. Grâce à une écriture finement ciselée et qui ne laisse pas la moindre place à la lumière, nous plongeons en quelques phrases dans la folie destructrice d’une femme. Une femme qui s’adresse à nous et nous interpelle du fait de l’utilisation du « tu », un tutoiement qui ne permet aucune distanciantion et rend le lecteur en partie coupable de ce qui se joue sous ses yeux. Ce qui ne fait qu’ajouter au malaise qui s’empare de nous.
Tout se joue à l’intérieur de la tête d’une femme sans âge, une petite soisxantaine sans doute, et dont la vie a basculé le jour où son fils aîné est mort. Un suicide, inexplicable et inexpliqué alors qu’en apparence tout allait bien et qu’elle pensait très bien connaître son fils.
Avec ce suicide, les évènements vont s’enchaîner, entraînant la femme dans une spirale dépressive et destructrice. D’abord le mari qui part, sans explications, estimant avoir suffisamment joué son rôle de père et qui laisse l’épouse et mère se débrouiller avec deux filles et un petit dernier.
Puis les enfants qui s’en vont, les uns après les autres, non sans avoir précautionneusement et méticuleusement détruit les traces de leur enfance et surtout toute présence matérielle de leur frère, honteusement disparu. Des amoncellements de sacs poubelle, laissés devant la maison pour dire l’urgence de la fuite. Des sacs dont les voraces voisins s’empareront, le gain gratuit n’appelant pas de retard. Une fois la maison quittée, aucun des enfants ne donnera plus signe de vie.
A qui la faute ? Sans doute en grande partie à la mère que ces abandons arrangent car ils la justifient dans son rôle de victime et la laissent se débrouiller seule avec une maison trop grande pour elle et chargée de souvenirs, surtout des souvenirs douloureux.
Aucun contact avec le monde extérieur. C’est en recluse qu’elle s’enfonce dans sa folie, peu à peu. Les nuits d’insomnie s’enchaînent, les journées vides aussi qu’il faut bien peupler avec une cohorte de souvenirs fantômatiques et malheureux.
Une folie qui emmènera la mère jusqu’à la maladie de Niobié, la maladie de la pierre, une maladie incurable et qui entraîne la mort par asphyxie. Une maladie qui obligera les siens à assister à sa déchéance et à écouter les insondables reproches qu’elle aura pris le soin de leur léguer, par écrit, pour être sûre qu’ils ne pourront y échapper. Pour comprendre qu’elle est inconsolable de la perte d’un fils idéalisé ; un enfant qui n’aura existé que par procuration.
On sort un peu groggy de ce roman dur et d’une profonde noirceur. Un roman fort, dérangeant et qui signe certainement la naissance d’une belle et nouvelle plume.
Publié aux Editions de Minuit – 157 pages
Tout se joue à l’intérieur de la tête d’une femme sans âge, une petite soisxantaine sans doute, et dont la vie a basculé le jour où son fils aîné est mort. Un suicide, inexplicable et inexpliqué alors qu’en apparence tout allait bien et qu’elle pensait très bien connaître son fils.
Avec ce suicide, les évènements vont s’enchaîner, entraînant la femme dans une spirale dépressive et destructrice. D’abord le mari qui part, sans explications, estimant avoir suffisamment joué son rôle de père et qui laisse l’épouse et mère se débrouiller avec deux filles et un petit dernier.
Puis les enfants qui s’en vont, les uns après les autres, non sans avoir précautionneusement et méticuleusement détruit les traces de leur enfance et surtout toute présence matérielle de leur frère, honteusement disparu. Des amoncellements de sacs poubelle, laissés devant la maison pour dire l’urgence de la fuite. Des sacs dont les voraces voisins s’empareront, le gain gratuit n’appelant pas de retard. Une fois la maison quittée, aucun des enfants ne donnera plus signe de vie.
A qui la faute ? Sans doute en grande partie à la mère que ces abandons arrangent car ils la justifient dans son rôle de victime et la laissent se débrouiller seule avec une maison trop grande pour elle et chargée de souvenirs, surtout des souvenirs douloureux.
Aucun contact avec le monde extérieur. C’est en recluse qu’elle s’enfonce dans sa folie, peu à peu. Les nuits d’insomnie s’enchaînent, les journées vides aussi qu’il faut bien peupler avec une cohorte de souvenirs fantômatiques et malheureux.
Une folie qui emmènera la mère jusqu’à la maladie de Niobié, la maladie de la pierre, une maladie incurable et qui entraîne la mort par asphyxie. Une maladie qui obligera les siens à assister à sa déchéance et à écouter les insondables reproches qu’elle aura pris le soin de leur léguer, par écrit, pour être sûre qu’ils ne pourront y échapper. Pour comprendre qu’elle est inconsolable de la perte d’un fils idéalisé ; un enfant qui n’aura existé que par procuration.
On sort un peu groggy de ce roman dur et d’une profonde noirceur. Un roman fort, dérangeant et qui signe certainement la naissance d’une belle et nouvelle plume.
Publié aux Editions de Minuit – 157 pages
29.8.08
Dolly City – Orly CASTEL-BLOOM
Une femme, Dolly, regarde son poisson rouge mourir. Après l’avoir extirpé du bocal, elle entreprend de le découper en fines lanières, pour l’étudier, avant que de l’ingurgiter avec indifférence. Puis, elle assiste à la lente agonie de son teckel qu’elle va finir par euthanasier.
Embarquée clandestinement sur le pick-up d’un fossoyeur barbare, elle découvre un bébé bleui dont elle va devenir la mère malgré elle.
Une mère, une femme en proie à la folie la plus complète. Médecin ayant fait ses études, non reconnues, à Katmandou, elle cède continûment à des pulsions d’angoisse qui la poussent à ouvrir son enfant pour l’ausculter de l’intérieur, lui greffer un rein inutile ou bien encore lui découper la peau du dos pour y dessiner la carte de l’état d’Israël.
Une angoisse qui lui fait grillager toutes ses fenêtres et jusqu’aux bondes des lavabos avant de les faire arracher le lendemain même, la nouvelle angoisse en résultant devenant encore plus compulsive que la précédente. Ne cherchez d’autre logique que celle d’une folie totale et arbitraire.
La puissance imaginaire d’Orly CASTEL-BLOOM est tout simplement éblouissante. Grâce à des répliques aussi farfelues que celles de « La cantatrice chauve », nous nous déplaçons avec Dolly dans un monde de folie hallucinatoire. Un univers effrayant où tuer, blesser, charcuter, baiser ne répondent à aucun interdit. Ils font au contraire partie d’un quotidien violent et vide de sens. Comme boire ou manger.
Il faut avoir un don extraordinaire pour entraîner le lecteur dans des séquences farfelues où rires et frissons d’horreur se succèdent et s’entremêlent. Un monde dont nous perdons les limites logiques et dans lequel assumer sa maternité nécessite que l’on se fasse coller, au sens physique, son enfant sur le dos.
Lorsque la folie devient trop dévastatrice, Dolly passe quelque temps en asile psychiatrique. Mais elle en réchappe toujours et poursuit une descente sombre et sanguinaire dans un monde dont elle est la seule à tenir la clé.
Cocasserie, humour décalé, rythme débridé constituent les ingrédients d’une incontestable réussite littéraire. Impossible de rester indifférent à une œuvre imaginative, décapante, ébouriffante même !
Vous adorerez ou vous détesterez : il n’y aura pas de juste milieu.
Publié aux Editions Actes Sud – 204 pages
Embarquée clandestinement sur le pick-up d’un fossoyeur barbare, elle découvre un bébé bleui dont elle va devenir la mère malgré elle.
Une mère, une femme en proie à la folie la plus complète. Médecin ayant fait ses études, non reconnues, à Katmandou, elle cède continûment à des pulsions d’angoisse qui la poussent à ouvrir son enfant pour l’ausculter de l’intérieur, lui greffer un rein inutile ou bien encore lui découper la peau du dos pour y dessiner la carte de l’état d’Israël.
Une angoisse qui lui fait grillager toutes ses fenêtres et jusqu’aux bondes des lavabos avant de les faire arracher le lendemain même, la nouvelle angoisse en résultant devenant encore plus compulsive que la précédente. Ne cherchez d’autre logique que celle d’une folie totale et arbitraire.
La puissance imaginaire d’Orly CASTEL-BLOOM est tout simplement éblouissante. Grâce à des répliques aussi farfelues que celles de « La cantatrice chauve », nous nous déplaçons avec Dolly dans un monde de folie hallucinatoire. Un univers effrayant où tuer, blesser, charcuter, baiser ne répondent à aucun interdit. Ils font au contraire partie d’un quotidien violent et vide de sens. Comme boire ou manger.
Il faut avoir un don extraordinaire pour entraîner le lecteur dans des séquences farfelues où rires et frissons d’horreur se succèdent et s’entremêlent. Un monde dont nous perdons les limites logiques et dans lequel assumer sa maternité nécessite que l’on se fasse coller, au sens physique, son enfant sur le dos.
Lorsque la folie devient trop dévastatrice, Dolly passe quelque temps en asile psychiatrique. Mais elle en réchappe toujours et poursuit une descente sombre et sanguinaire dans un monde dont elle est la seule à tenir la clé.
Cocasserie, humour décalé, rythme débridé constituent les ingrédients d’une incontestable réussite littéraire. Impossible de rester indifférent à une œuvre imaginative, décapante, ébouriffante même !
Vous adorerez ou vous détesterez : il n’y aura pas de juste milieu.
Publié aux Editions Actes Sud – 204 pages
25.8.08
La musique du diable - Walter MOSLEY
“La musique du diable”, c’est celle du blues, celle de la détresse, de la pauvreté, de la misère inventée par les Noirs d’Amérique. C’est la musique pour survivre aux travaux du coton épuisants, pour donner du sens à une vie courte car, souvent, l’on mourait d’un mauvais coup ou tout simplement, épuisé, emporté par la moindre maladie.
Un vieil homme vient de se faire expulser de son misérable taudis. Il est noir, malade, abandonné de tous et a pour seul bagage une guitare douze cordes dans son étui.
Une jeune voisine blanche, délurée, maltraitée elle aussi par la vie va le recueillir. En prenant tous les risques, jouant de culot et d’intimidation, elle va réussir à faire admettre le vieil homme à l’hôpital pour traiter son cancer.
En période de rémission et alors qu’il sait qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, le vieil homme entreprend de conter ses belles années aux côtés de certains monstres du blues, dans le Sud encore esclavagiste en esprit. Pour témoigner en musique, il reprend sa douze cordes et va donner dans un bar interlope fréquenté par des joueurs de dés, une série de représentations où la quintessence de son art va s’exprimer, une dernière fois, avant de sortir définitivement d’une vie qui connut plus de chagrins que de joies.
L’auteur rend de façon particulièrement efficace la condition des Noirs des Etats du Sud au début du XXe siècle. Une vie où alcool et blues permettaient de s’abrutir et d’oublier une condition d’exploités.
Pour autant, le roman manque de souffle. Il eût fallu une écriture endiablée, rythmée, forte pour soutenir un pareil thème. Rien de tout cela. Comme, en outre, l’intrigue est parfois un peu compliquée du fait de la juxtaposition des temps anciens et du monde présent, on se prend à compter les pages en vue d’arriver à la fin.
Bien dommage, car cela aurait mérité meilleur traitement.
Publié aux Editions Albin Michel – 323 pages
Un vieil homme vient de se faire expulser de son misérable taudis. Il est noir, malade, abandonné de tous et a pour seul bagage une guitare douze cordes dans son étui.
Une jeune voisine blanche, délurée, maltraitée elle aussi par la vie va le recueillir. En prenant tous les risques, jouant de culot et d’intimidation, elle va réussir à faire admettre le vieil homme à l’hôpital pour traiter son cancer.
En période de rémission et alors qu’il sait qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, le vieil homme entreprend de conter ses belles années aux côtés de certains monstres du blues, dans le Sud encore esclavagiste en esprit. Pour témoigner en musique, il reprend sa douze cordes et va donner dans un bar interlope fréquenté par des joueurs de dés, une série de représentations où la quintessence de son art va s’exprimer, une dernière fois, avant de sortir définitivement d’une vie qui connut plus de chagrins que de joies.
L’auteur rend de façon particulièrement efficace la condition des Noirs des Etats du Sud au début du XXe siècle. Une vie où alcool et blues permettaient de s’abrutir et d’oublier une condition d’exploités.
Pour autant, le roman manque de souffle. Il eût fallu une écriture endiablée, rythmée, forte pour soutenir un pareil thème. Rien de tout cela. Comme, en outre, l’intrigue est parfois un peu compliquée du fait de la juxtaposition des temps anciens et du monde présent, on se prend à compter les pages en vue d’arriver à la fin.
Bien dommage, car cela aurait mérité meilleur traitement.
Publié aux Editions Albin Michel – 323 pages
15.8.08
L’année du mensonge – Andreï Guelassimov
L’année du mensonge constitue un excellent moyen d’aborder la littérature russe contemporaine.
Ce roman, construit en quatre parties qui forment les quatre saisons d’une année aux multiples rebondissements, met en scène une galerie de personnages hauts en couleur et très représentatifs de la société russe moderne.
Une société qui a basculé soudainement dans le capitalisme et dans laquelle nouveaux riches et mafieux en tous genres se partagent sans vergogne un pouvoir qu’il faut réinventer.
Ce roman cocasse et débridé met en scène un personnage central, Mikaïl Vorobiov, jeune homme de vingt-trois ans, tout juste licencié d’une société dont on ignore tout ou presque et dont le patron va, contre toute attente, le ré-embaucher, à titre personnel. Sa mission : apprendre au fils du patron, Serguiev, adolescent de dix-sept ans scotché à son ordinateur, à devenir un vrai russe. Son père, soucieux de voir son fils enfermé et asocial, le soupçonne en effet d’homosexualité. Il ordonne à Mikaïl d’en faire un homme. Au programme, cuites en tous genres, femmes et virées. Le crédit est illimité pourvu que les objectifs soient atteints.
Mais l’élève cache bien son jeu et fait entrer en scène une superbe jeune femme, Marina, élève à l’institut où elle répète la Cerisaie de Tchekov, dont il est l’amant. Il saura souvent surprendre son maître et tuteur de par sa ruse son quant-à-soi, son sens des réparties.
Va commencer avec l’apparition magique de Marina, femme fatale, un ballet de séduction et de tromperies. Qui est-elle vraiment ? Qui aime-t-elle et de qui est-elle aimée ? Comment une femme si éloignée de la situation sociale de Serguiev, surprotégé, a-t-elle pu faire sa connaissance ? Plus le roman avance, plus l’auteur nous entraîne profondément dans un univers à la fois glauque et attachant et où les pauvres russes tentent de survivre à la disparition de tous leurs repères traditionnels.
Un monde où mentir est une condition de base pour sur-vivre, où l’esprit d’à-propos fait loi.
Plus la société se modernise, plus elle se délite, laissant la place aux plus rapaces, aux plus forts, aux plus voraces. C’est ce que veut nous montrer à toutes forces Guelassimov qui n’épargne au passage ni les politiques, ni les milieux d’affaires, ni les militaires…
Mikaïl n’avait d’autres choix pour s’occuper du fils de son patron que de mentir. Un mensonge en entraînant un autre, c’est bientôt un enchevêtrement de duperies qu’il va devoir tisser et gérer, manipulant l’un pour mieux tromper l’autre. Jusqu’à se prendre à ses propres pièges…Malgré tout, l’amour, le vrai, sincère et véritable, finira par triompher après bien des difficultés.
Ce roman se déguste un peu comme une vodka frappée. C’est fort, ça réchauffe mais en abuser assomme. Il convient de se ménager quelques pauses sans quoi on finit par s’y perdre un peu dans une myriade de situations et par le parti-pris que de faire narrer les évènements en parallèle, vus par plusieurs des personnages y prenant part.
Drôle, déroutant, acerbe, parfois superbe. Un auteur contemporain russe qui compte et dont on commence à parler…
Publié aux Editions Actes Sud – 378 pages
Ce roman, construit en quatre parties qui forment les quatre saisons d’une année aux multiples rebondissements, met en scène une galerie de personnages hauts en couleur et très représentatifs de la société russe moderne.
Une société qui a basculé soudainement dans le capitalisme et dans laquelle nouveaux riches et mafieux en tous genres se partagent sans vergogne un pouvoir qu’il faut réinventer.
Ce roman cocasse et débridé met en scène un personnage central, Mikaïl Vorobiov, jeune homme de vingt-trois ans, tout juste licencié d’une société dont on ignore tout ou presque et dont le patron va, contre toute attente, le ré-embaucher, à titre personnel. Sa mission : apprendre au fils du patron, Serguiev, adolescent de dix-sept ans scotché à son ordinateur, à devenir un vrai russe. Son père, soucieux de voir son fils enfermé et asocial, le soupçonne en effet d’homosexualité. Il ordonne à Mikaïl d’en faire un homme. Au programme, cuites en tous genres, femmes et virées. Le crédit est illimité pourvu que les objectifs soient atteints.
Mais l’élève cache bien son jeu et fait entrer en scène une superbe jeune femme, Marina, élève à l’institut où elle répète la Cerisaie de Tchekov, dont il est l’amant. Il saura souvent surprendre son maître et tuteur de par sa ruse son quant-à-soi, son sens des réparties.
Va commencer avec l’apparition magique de Marina, femme fatale, un ballet de séduction et de tromperies. Qui est-elle vraiment ? Qui aime-t-elle et de qui est-elle aimée ? Comment une femme si éloignée de la situation sociale de Serguiev, surprotégé, a-t-elle pu faire sa connaissance ? Plus le roman avance, plus l’auteur nous entraîne profondément dans un univers à la fois glauque et attachant et où les pauvres russes tentent de survivre à la disparition de tous leurs repères traditionnels.
Un monde où mentir est une condition de base pour sur-vivre, où l’esprit d’à-propos fait loi.
Plus la société se modernise, plus elle se délite, laissant la place aux plus rapaces, aux plus forts, aux plus voraces. C’est ce que veut nous montrer à toutes forces Guelassimov qui n’épargne au passage ni les politiques, ni les milieux d’affaires, ni les militaires…
Mikaïl n’avait d’autres choix pour s’occuper du fils de son patron que de mentir. Un mensonge en entraînant un autre, c’est bientôt un enchevêtrement de duperies qu’il va devoir tisser et gérer, manipulant l’un pour mieux tromper l’autre. Jusqu’à se prendre à ses propres pièges…Malgré tout, l’amour, le vrai, sincère et véritable, finira par triompher après bien des difficultés.
Ce roman se déguste un peu comme une vodka frappée. C’est fort, ça réchauffe mais en abuser assomme. Il convient de se ménager quelques pauses sans quoi on finit par s’y perdre un peu dans une myriade de situations et par le parti-pris que de faire narrer les évènements en parallèle, vus par plusieurs des personnages y prenant part.
Drôle, déroutant, acerbe, parfois superbe. Un auteur contemporain russe qui compte et dont on commence à parler…
Publié aux Editions Actes Sud – 378 pages
13.8.08
Le transsaharien – Tito Topin
Tout d’abord, pour découvrir la vision historique et relativement détaillée de cette véritable histoire peu glorieuse, rendez-vous sur le lien suivant :
nice.algerianiste.free.fr/pages/flatters_a.html
Le roman comme les personnages sont tous tirés de l’Histoire. C’est en 1880 que la France, soucieuse de relier l’Algérie au Mozambique afin d’asseoir sa puissance et de contrôler une bonne moitié de l’Afrique, décide de lancer la construction d’une ligne de chemin de fer transsaharienne.
Pour réaliser de tels travaux héroïques et dispendieux, il fallait reconnaître le terrain. Après avoir conduit une première mission de reconnaissance qui s’était soldée par un fiasco, la petite troupe se retirant toutes affaires cessantes à la première marque d’hostilité des touaregs, le Colonel Flatters se voit confier une deuxième mission.
Celle-ci est purement civile. Peu armée, insuffisamment préparée, elle compte dans ses rangs une dizaine de français dont deux ingénieurs et un médecin ainsi qu’une cinquantaine de tirailleurs habillés en civil et plus de deux cent chameaux.
Flatters va rapidement faire preuve de la plus grande incompétence. Tout d’abord en choisissant mal ses guides locaux, malgré les alertes claires données par les populations locales qui lui intimaient de ne pas se fier aux membres de la tribu parmi lesquels il a exclusivement choisi ceux qui devaient le conduire. Ces derniers n’eurent en effet d’autres projets que de mener délibérément la longue caravane vers le chemin le plus dangereux, le plus long, le plus susceptible de conduire au désastre. Flatters introduisit l’ennemi en son sein dès le premier jour alors que toutes les autres options lui étaient ouvertes.
Incompétence encore dans le partage du commandement avec son second. Flatters ne tint en fait aucunement des avis qui lui furent donnés et prit toutes les mauvaises options militaires. Il en paya tôt le prix de sa vie et conduisit à la mort de tous, sauf neuf rescapés.
Ceux-ci connurent la plus longue marche de l’histoire en plein désert saharien. Plus de trois mois d’errance, affamés, puants, blessés, harcelés par les autochtones, trompés, volés. L’horreur la plus totale qui les conduisit jusqu’à assassiner méthodiquement leurs propres membres afin de les dévorer et de survivre.
La force de ce roman tient dans celle de l’histoire, dans l’héroïsme de ces hommes poussés jusque dans leurs plus extrêmes limites et condamnés à des actes inconcevables pour se sauver une fois que plus rien d’autre ne pouvait l’être.
Certes l’écriture est insuffisante, il y manque du souffle, de l’empathie, du lyrisme qui auraient trouvé toute leur légitimité dans un tel contexte digne d’un film à grand spectacle.
Mais l’auteur eut le génie de croquer une galerie de personnages bien campés, au caractère affirmé et qui vont s’affronter dans une lutte à mort alors que la coopération, le respect et l’écoute auraient peut-être pu éviter le pire. C’est aussi de savoir rendre la folie qui gagne les esprits abrutis de chaleur, éblouis de soleil, ralentis par la soif et la faim, avivés par la maladie et la présence invisible de l’ennemi.
De personnages réels, de faits avérés, Tito a l’intelligence et le talent d’inventer des situations qui renforcent le caractère dramatique du récit. Flatters fait incorporer de force dans sa petite troupe un maréchal des logis chauffeur de locomotive, sur le point d’être libéré, au seul motif qu’il a surpris qu’il était l’amant de sa femme, trente ans plus jeune que lui. Une femme moderne, qui n’hésitera pas à se rendre dans le désert pour braver son époux, demandera le divorce et donnera un enfant à son amant par amour et par bravade.
Un soldat sûr et compétent dont il n’aura de cesse de le brimer, de l’humilier, de le pousser à bout. C’est une guerre dans la guerre.
Derrière chaque personnage se cache une histoire et un destin. Chaque destin est tragique.
Il faudra vingt ans à la France pour se remettre de l’affront qu’elle subira dans cette affaire et qui contribua pour beaucoup à ce que des peuples nomades ennemis s’allient pour se défendre de ceux qui voulaient leur prendre le commerce du sel et leur interdire la traite d’esclaves.
Le meilleur compliment que l’on puisse faire sur un livre c’est de dire qu’une fois commencé, on ne peut s’arrêter qu’à la dernière page. C’est exactement le cas avec ce roman épique, tragique et bouleversant, malgré une fois encore, une écriture qui aurait mérité mieux.
Recommandé par Cetalir !
Publié aux Editions Grasset – 279 pages
nice.algerianiste.free.fr/pages/flatters_a.html
Le roman comme les personnages sont tous tirés de l’Histoire. C’est en 1880 que la France, soucieuse de relier l’Algérie au Mozambique afin d’asseoir sa puissance et de contrôler une bonne moitié de l’Afrique, décide de lancer la construction d’une ligne de chemin de fer transsaharienne.
Pour réaliser de tels travaux héroïques et dispendieux, il fallait reconnaître le terrain. Après avoir conduit une première mission de reconnaissance qui s’était soldée par un fiasco, la petite troupe se retirant toutes affaires cessantes à la première marque d’hostilité des touaregs, le Colonel Flatters se voit confier une deuxième mission.
Celle-ci est purement civile. Peu armée, insuffisamment préparée, elle compte dans ses rangs une dizaine de français dont deux ingénieurs et un médecin ainsi qu’une cinquantaine de tirailleurs habillés en civil et plus de deux cent chameaux.
Flatters va rapidement faire preuve de la plus grande incompétence. Tout d’abord en choisissant mal ses guides locaux, malgré les alertes claires données par les populations locales qui lui intimaient de ne pas se fier aux membres de la tribu parmi lesquels il a exclusivement choisi ceux qui devaient le conduire. Ces derniers n’eurent en effet d’autres projets que de mener délibérément la longue caravane vers le chemin le plus dangereux, le plus long, le plus susceptible de conduire au désastre. Flatters introduisit l’ennemi en son sein dès le premier jour alors que toutes les autres options lui étaient ouvertes.
Incompétence encore dans le partage du commandement avec son second. Flatters ne tint en fait aucunement des avis qui lui furent donnés et prit toutes les mauvaises options militaires. Il en paya tôt le prix de sa vie et conduisit à la mort de tous, sauf neuf rescapés.
Ceux-ci connurent la plus longue marche de l’histoire en plein désert saharien. Plus de trois mois d’errance, affamés, puants, blessés, harcelés par les autochtones, trompés, volés. L’horreur la plus totale qui les conduisit jusqu’à assassiner méthodiquement leurs propres membres afin de les dévorer et de survivre.
La force de ce roman tient dans celle de l’histoire, dans l’héroïsme de ces hommes poussés jusque dans leurs plus extrêmes limites et condamnés à des actes inconcevables pour se sauver une fois que plus rien d’autre ne pouvait l’être.
Certes l’écriture est insuffisante, il y manque du souffle, de l’empathie, du lyrisme qui auraient trouvé toute leur légitimité dans un tel contexte digne d’un film à grand spectacle.
Mais l’auteur eut le génie de croquer une galerie de personnages bien campés, au caractère affirmé et qui vont s’affronter dans une lutte à mort alors que la coopération, le respect et l’écoute auraient peut-être pu éviter le pire. C’est aussi de savoir rendre la folie qui gagne les esprits abrutis de chaleur, éblouis de soleil, ralentis par la soif et la faim, avivés par la maladie et la présence invisible de l’ennemi.
De personnages réels, de faits avérés, Tito a l’intelligence et le talent d’inventer des situations qui renforcent le caractère dramatique du récit. Flatters fait incorporer de force dans sa petite troupe un maréchal des logis chauffeur de locomotive, sur le point d’être libéré, au seul motif qu’il a surpris qu’il était l’amant de sa femme, trente ans plus jeune que lui. Une femme moderne, qui n’hésitera pas à se rendre dans le désert pour braver son époux, demandera le divorce et donnera un enfant à son amant par amour et par bravade.
Un soldat sûr et compétent dont il n’aura de cesse de le brimer, de l’humilier, de le pousser à bout. C’est une guerre dans la guerre.
Derrière chaque personnage se cache une histoire et un destin. Chaque destin est tragique.
Il faudra vingt ans à la France pour se remettre de l’affront qu’elle subira dans cette affaire et qui contribua pour beaucoup à ce que des peuples nomades ennemis s’allient pour se défendre de ceux qui voulaient leur prendre le commerce du sel et leur interdire la traite d’esclaves.
Le meilleur compliment que l’on puisse faire sur un livre c’est de dire qu’une fois commencé, on ne peut s’arrêter qu’à la dernière page. C’est exactement le cas avec ce roman épique, tragique et bouleversant, malgré une fois encore, une écriture qui aurait mérité mieux.
Recommandé par Cetalir !
Publié aux Editions Grasset – 279 pages
2.8.08
Une touche d’amour – Jonathan Coe
Autant j’avais été emballé par « Testament à l’anglaise », sommet truculent et décalé de littérature britannique contemporaine, autant j’avoue être un peu resté sur ma faim avec « Une touche d’amour ». Un bon livre mais pas un grand livre en sorte.
On y retrouve certains des thèmes qui font la trame de « Testament à l’anglaise » : le rejet du thatcherisme et de la paupérisation galopante que l’attitude politique a alors entraîné, la difficulté à s’assumer comme écrivain et tout simplement la difficulté à écrire, la quête du regard des autres en tant que lecteurs de ce qui a été écrit avec tant de douleurs ou de passion, la condamnation sans appel de la participation britannique aux conflits décidés par les Etats-Unis…
« Une touche d’amour » n’est pas un mauvais livre, bien au contraire. Il est même d’une construction originale dont l’écriture a dû présenter pas mal de difficultés par ailleurs.
Il met en scène un universitaire attardé, non inséré socialement et qui s’est lancé dans un immense projet de thèse dont l’ampleur et la confusion en condamne par avance la possible réalisation.
Le personnage central vit seul car il n’a jamais été capable, voire désireux, de fonder une relation sérieuse et durable. Sauf avec une jeune femme dont nous ne savons pas grand-chose hormis qu’elle a fini par épouser son meilleur ami qui va resurgir dans sa vie, après une absence de quelques années. Sa relation aux femmes est tout simplement désastreuse et destructrice.
A l’occasion d’une visite impromptue de son ami, et c’est l’originalité de l’ouvrage, nous allons découvrir que Ron, notre universitaire raté, a commis quelques nouvelles consignées dans de petits carnets rouges. Quatre courts récits qui vont s’insérer dans le ryhtme du roman. Quatre récits décalés, littérairement volontairement maladroits pour mieux mettre en évidence l’échec de toute tentative créatrice de notre homme. Quatre récits lus par des personnages différents et qui vont nous donner à nous interroger sur la véritable personnalité de Ron commentée ou disséquée par chacun des lecteurs proches de l’auteur.
Quatre récits qui tous mettent en scène un homme et une femme dont les prénoms commencent invariablement respectivement par R et K, rappel moins que voilé à cet amour qui ne s’est jamais concrétisé, à une vie regrettée et qui n’a jamais été. D’ailleurs, toute tentative de relation amoureuse entre ces personnages fictifs échoue systématiquement et lamentablement dans chacune de ces pitoyables nouvelles.
Des nouvelles qui vont accréditer la thèse d’une homosexualité putative voire d’une pédophilie au moment où l’auteur se trouve embraqué, comme ses personnages, dans un concours de circonstances abracadabrants et qui le mènent tout droit au tribunal correctionnel pour attentat à la pudeur sur mineur. Tout semble l’accuser alors qu’il est parfaitement innocent. Même son avocate va le pousser à plaider coupable alors qu’elle aussi se débat dans une séparation douloureuse avec un mari qu’au fond elle n’a jamais vraiment aimé en sept ans de mariage. Encore un amour impossible.
Coe se livre alors à une condamnation féroce de l’éducation anglaise, de ses préjugés et nous dresse un tableau saisissant de nullité et de petitesse de l’intelligentsia universitaire.
Un nœud d’attitudes qui amènera à un irréparable dont personne ne saura comprendre le sens mais où chacun pourra préserver son petit monde étroit et coincé.
Un ouvrage où chaque personnage se débat dans d’immenses difficultés à être spontané, où aimer semble impossible, où d’insurmontables barrières affectives, psychologiques, sociales, éducationnelles rendent toute avancée incroyablement complexe.
Il en résulte un ouvrage intéressant, rapide à lire et qui donne un intéressant éclairage complémentaire sur un auteur encore une fois essentiel de la littérature anglaise actuelle et sur la vivacité de la production littéraire britannique (cf les nombreuses références blogguées dans Cetalir).
Publié aux Editions du Rocher – 246 pages
On y retrouve certains des thèmes qui font la trame de « Testament à l’anglaise » : le rejet du thatcherisme et de la paupérisation galopante que l’attitude politique a alors entraîné, la difficulté à s’assumer comme écrivain et tout simplement la difficulté à écrire, la quête du regard des autres en tant que lecteurs de ce qui a été écrit avec tant de douleurs ou de passion, la condamnation sans appel de la participation britannique aux conflits décidés par les Etats-Unis…
« Une touche d’amour » n’est pas un mauvais livre, bien au contraire. Il est même d’une construction originale dont l’écriture a dû présenter pas mal de difficultés par ailleurs.
Il met en scène un universitaire attardé, non inséré socialement et qui s’est lancé dans un immense projet de thèse dont l’ampleur et la confusion en condamne par avance la possible réalisation.
Le personnage central vit seul car il n’a jamais été capable, voire désireux, de fonder une relation sérieuse et durable. Sauf avec une jeune femme dont nous ne savons pas grand-chose hormis qu’elle a fini par épouser son meilleur ami qui va resurgir dans sa vie, après une absence de quelques années. Sa relation aux femmes est tout simplement désastreuse et destructrice.
A l’occasion d’une visite impromptue de son ami, et c’est l’originalité de l’ouvrage, nous allons découvrir que Ron, notre universitaire raté, a commis quelques nouvelles consignées dans de petits carnets rouges. Quatre courts récits qui vont s’insérer dans le ryhtme du roman. Quatre récits décalés, littérairement volontairement maladroits pour mieux mettre en évidence l’échec de toute tentative créatrice de notre homme. Quatre récits lus par des personnages différents et qui vont nous donner à nous interroger sur la véritable personnalité de Ron commentée ou disséquée par chacun des lecteurs proches de l’auteur.
Quatre récits qui tous mettent en scène un homme et une femme dont les prénoms commencent invariablement respectivement par R et K, rappel moins que voilé à cet amour qui ne s’est jamais concrétisé, à une vie regrettée et qui n’a jamais été. D’ailleurs, toute tentative de relation amoureuse entre ces personnages fictifs échoue systématiquement et lamentablement dans chacune de ces pitoyables nouvelles.
Des nouvelles qui vont accréditer la thèse d’une homosexualité putative voire d’une pédophilie au moment où l’auteur se trouve embraqué, comme ses personnages, dans un concours de circonstances abracadabrants et qui le mènent tout droit au tribunal correctionnel pour attentat à la pudeur sur mineur. Tout semble l’accuser alors qu’il est parfaitement innocent. Même son avocate va le pousser à plaider coupable alors qu’elle aussi se débat dans une séparation douloureuse avec un mari qu’au fond elle n’a jamais vraiment aimé en sept ans de mariage. Encore un amour impossible.
Coe se livre alors à une condamnation féroce de l’éducation anglaise, de ses préjugés et nous dresse un tableau saisissant de nullité et de petitesse de l’intelligentsia universitaire.
Un nœud d’attitudes qui amènera à un irréparable dont personne ne saura comprendre le sens mais où chacun pourra préserver son petit monde étroit et coincé.
Un ouvrage où chaque personnage se débat dans d’immenses difficultés à être spontané, où aimer semble impossible, où d’insurmontables barrières affectives, psychologiques, sociales, éducationnelles rendent toute avancée incroyablement complexe.
Il en résulte un ouvrage intéressant, rapide à lire et qui donne un intéressant éclairage complémentaire sur un auteur encore une fois essentiel de la littérature anglaise actuelle et sur la vivacité de la production littéraire britannique (cf les nombreuses références blogguées dans Cetalir).
Publié aux Editions du Rocher – 246 pages
29.7.08
Histoires contre nature – Jakuta Alikavazovic
Un jeune auteur nous amène sans préliminaires dans son univers débridé où toutes références à un monde normalisé et habituel disparaît. Il y a du Ionesco dans cette série de nouvelles qui repousse les limites du réel.
Des nouvelles où un personnage central, Violette, fait le lien. Une Violette dont l’apparence, l’âge, la condition sociale, les maris ou les amants changent selon la volonté inflexible d’un auteur déterminé à nous faire perdre tout repère logique.
Pourtant, les hommes conservent eux aussi les mêmes noms d’une nouvelle à l’autre. Mais, comme Violette, l’âge, le métier, la condition évolue dans un espace temps courbé et où les allers-retours sont constants.
Les noms restent, les situations changent. A vous de faire le lien si tant est qu’il y en est un…
Certes, la lecture de ces récits étonnants n’est pas un long fleuve tranquille. D’ailleurs, soit vous serez emportés par un véritable torrent irrésistible, frappés par l’audace des comparaisons, ébaudis par l’originalité des associations, des images et des situations qui se succèdent sans d’autres logiques que de laisser un rêve littéraire se dérouler, soit vous refermerez le livre rapidement car il ne sera pas fait pour vous.
Trop tôt pour savoir si un nouveau talent est né. Il faudra attendre les prochaines parutions pour se prononcer.
En tous cas, voici un livre qui sort radicalement de l’ordinaire, qui bouscule tout sur son passage, à adorer ou à détester. C’est assez rare pour être souligné.
Publié aux Editions de l’Olivier – 219 pages
Des nouvelles où un personnage central, Violette, fait le lien. Une Violette dont l’apparence, l’âge, la condition sociale, les maris ou les amants changent selon la volonté inflexible d’un auteur déterminé à nous faire perdre tout repère logique.
Pourtant, les hommes conservent eux aussi les mêmes noms d’une nouvelle à l’autre. Mais, comme Violette, l’âge, le métier, la condition évolue dans un espace temps courbé et où les allers-retours sont constants.
Les noms restent, les situations changent. A vous de faire le lien si tant est qu’il y en est un…
Certes, la lecture de ces récits étonnants n’est pas un long fleuve tranquille. D’ailleurs, soit vous serez emportés par un véritable torrent irrésistible, frappés par l’audace des comparaisons, ébaudis par l’originalité des associations, des images et des situations qui se succèdent sans d’autres logiques que de laisser un rêve littéraire se dérouler, soit vous refermerez le livre rapidement car il ne sera pas fait pour vous.
Trop tôt pour savoir si un nouveau talent est né. Il faudra attendre les prochaines parutions pour se prononcer.
En tous cas, voici un livre qui sort radicalement de l’ordinaire, qui bouscule tout sur son passage, à adorer ou à détester. C’est assez rare pour être souligné.
Publié aux Editions de l’Olivier – 219 pages
26.7.08
La nuit dernière au XVe siècle – Didier VAN CAUWELAERT
Attention, petit bijou !
Voilà un roman qui détonne d’imagination, de drôlerie et de moquerie. Un roman dans lequel le lecteur alternera en sourires francs et rires spontanés tout en se demandant comment l’auteur va se tirer de la situation qu’il aura lui-même créée. Ne vous en faites pas, Mr Van Cauwelaert est un grand écrivain et il s’en sortira fort bien avec les rebondissements d’usage…
L’intrigue est simple. Un inspecteur des impôts marié, amoureux de sa femme qu’il a épousée cependant un peu par hasard, débarque dans un château, sur dénonciation, pour effectuer un contrôle fiscal sur une société spécialisée dans la fourniture d’insectes censés combattre tous les fléaux du monde.
La société comme le château renferment une collection d’individus tous plus déjantés les uns que les autres et férus, par-dessus tout, d’occultisme.
Et voilà que notre inspecteur des impôts, terne, rangé, va, par la volonté des esprits, subir les assauts répétés, tempétueux et haletants d’une jeune femme du XVe siècle, ex-châtelaine du lieu et qui voit en lui la réincarnation de son chevalier d’amant d’il y a plus de quatre cent cinquante ans.
Et comme cet amour la démange depuis lors et que son esprit, par de sombres manipulations que nous découvrons au fil des pages, n’a pu monter aux cieux, le retour de flammes est, si j’ose dire, jouissif.
A partir de là, l’auteur s’en donne à cœur joie pour mettre en scène, et gentiment écorner au passage, toutes les sciences occultes et ce qu’elle comporte d’ésotérisme. Tout y passe et donne lieu à d’hilarantes séances d’écritures automatiques dans lesquelle la belle dicte ses quatre volontés à son inspecteur des impôts, déboussolé, comblé mais toujours amoureux d’une épouse qui, elle, se détache de lui.
Notre administration fiscale est elle aussi aimablement gaussée et l’auteur aura su même créé un nouvel humour, l’humour fiscal, franchement décalé et très under-statement !
Au détour de ces pages dévergondées et franchement hilarantes, l’auteur nous donne cependant à réfléchir à l’influence de notre inconscient sur notre perception du réel. Car la frontière de l’occultisme emprunte sans aucun doute celle de la psychologie, du refoulement, de désirs qu’il serait trop dangereux d’exprimer directement.
Toute l’histoire se déroule sur fond de vengeance quant à elle très moderne et mêle la manipulation à la volonté de découvrir ce que notre éduction, nos valeurs, notre sur-moi nous intiment de refouler.
Pendules, fantômes, orages et esprits parlants sont au menu constant d’une histoire qui se déroule à toute allure et ne menace jamais de s’enliser. Voilà un bouquin parfait pour un film à succès…
A lire sans la moindre hésitation et avec le regret d’un plaisir trop court !
Publié aux Editions Albin Michel – 282 pages
Voilà un roman qui détonne d’imagination, de drôlerie et de moquerie. Un roman dans lequel le lecteur alternera en sourires francs et rires spontanés tout en se demandant comment l’auteur va se tirer de la situation qu’il aura lui-même créée. Ne vous en faites pas, Mr Van Cauwelaert est un grand écrivain et il s’en sortira fort bien avec les rebondissements d’usage…
L’intrigue est simple. Un inspecteur des impôts marié, amoureux de sa femme qu’il a épousée cependant un peu par hasard, débarque dans un château, sur dénonciation, pour effectuer un contrôle fiscal sur une société spécialisée dans la fourniture d’insectes censés combattre tous les fléaux du monde.
La société comme le château renferment une collection d’individus tous plus déjantés les uns que les autres et férus, par-dessus tout, d’occultisme.
Et voilà que notre inspecteur des impôts, terne, rangé, va, par la volonté des esprits, subir les assauts répétés, tempétueux et haletants d’une jeune femme du XVe siècle, ex-châtelaine du lieu et qui voit en lui la réincarnation de son chevalier d’amant d’il y a plus de quatre cent cinquante ans.
Et comme cet amour la démange depuis lors et que son esprit, par de sombres manipulations que nous découvrons au fil des pages, n’a pu monter aux cieux, le retour de flammes est, si j’ose dire, jouissif.
A partir de là, l’auteur s’en donne à cœur joie pour mettre en scène, et gentiment écorner au passage, toutes les sciences occultes et ce qu’elle comporte d’ésotérisme. Tout y passe et donne lieu à d’hilarantes séances d’écritures automatiques dans lesquelle la belle dicte ses quatre volontés à son inspecteur des impôts, déboussolé, comblé mais toujours amoureux d’une épouse qui, elle, se détache de lui.
Notre administration fiscale est elle aussi aimablement gaussée et l’auteur aura su même créé un nouvel humour, l’humour fiscal, franchement décalé et très under-statement !
Au détour de ces pages dévergondées et franchement hilarantes, l’auteur nous donne cependant à réfléchir à l’influence de notre inconscient sur notre perception du réel. Car la frontière de l’occultisme emprunte sans aucun doute celle de la psychologie, du refoulement, de désirs qu’il serait trop dangereux d’exprimer directement.
Toute l’histoire se déroule sur fond de vengeance quant à elle très moderne et mêle la manipulation à la volonté de découvrir ce que notre éduction, nos valeurs, notre sur-moi nous intiment de refouler.
Pendules, fantômes, orages et esprits parlants sont au menu constant d’une histoire qui se déroule à toute allure et ne menace jamais de s’enliser. Voilà un bouquin parfait pour un film à succès…
A lire sans la moindre hésitation et avec le regret d’un plaisir trop court !
Publié aux Editions Albin Michel – 282 pages
21.7.08
La correspondante anglaise – Anne Bragance
C’est avec un peu d’a priori que je m’étais saisi de ce roman, un jour de chaleur écrasante, dans le Sud, en pleines vacances d’été. Sans doute un roman féminin, écrit rapidement, sitôt lu, sitôt oublié, m’étais-je dit.
Finalement ce fut une sympathique surprise. Pas au plan de l’écriture, très simple, linéaire, immédiatement appréhensible, ce qui, sans doute, participe au charme de l’ouvrage.
Mais, Anne Bragance a su trouver un thème original et le mener au bout, sans faillir et en sachant retenir l’attention du lecteur légèrement réticent que je fus, du moins au début.
C’est à un dialogue entre deux amis de cinquante ans que nous invite l’auteur. Deux septuagènaires paumés au fin fond de la Normandie et qui se suivent depuis le berceau. Ils ont même fait la Légion ensemble et se connaissent par cœur.
Un dialogue drôle, enlevé et avec une énorme tendresse pour l’autre, celle qui permet d’effacer les petits défauts et de rendre un quotidien partagé suportable. Une tendresse qui sait pardonner les coups de gueule et les petites fâcheries qui ne durent jamais trop longtemps.
Deux originaux en tous cas. Joseph entretient une correspondance unilatérale puisqu’elle n’a jamais connu la moindre réponse, avec la Reine d’Angleterre, Elizabeth, qu’il admire et porte au pinacle. C’est elle qui donne un sens à sa vie et qui la rythme. C’est à elle qu’il confie ses soucis après que ses quatre enfants lui aient arraché l’héritage, une fois veuf, père au trop grand cœur non payé de retour. C’est aussi pour Elizabeth qu’il s’essaye à apprendre l’Anglais en baragouinant tout seul, de façon phonétique et répétant les phrases idiotes et inutiles que la méthode par cassettes lui impose à longueur de champ. Partir en Angleterre pour quelques jours est le projet de sa vie. Mais pour cela il faudra convaincre son ami, faire des choix, trouver l’argent et surmonter bien des obstacles.
Et puis, il y a son compère Samuel, plus rustre, plus introverti et dont la seule passion est le jardinage. Son rêve est de créer une rose en l’honneur d’un amour de jeunesse, un peu sorcière et qui fera parler d’elle d’une manière inattendue après que quarante huit décès de septuagénaires auront endeuillé le canton inexplicablement.
C’est à ce quotidien bousculé par la présence de la Presse, attirée par ces morts en série, que nous assistons. Un quotidien remis en question par une enquête policière qui vient troubler de vieilles habitudes et remettre en cause des certitudes.
Nous observons, mi-goguenards, mi-attendris, ces petites moqueries entre amis et qui renforcent une amitié inébranlable, capable de venir à bout dtout et de pardonner tout. Même la correspondance anglaise, inutile et ridicule mais qui va finalement déboucher sur une belle rencontre avec les bizarres habitants de l’île d’en face.
Bref, on passse un bon moment grâce à ce livre attachant, plein de trouvailles, enlevé et amusant. Ce n’est certes pas de la grande littérarture mais on ne l’oublie pas sitôt la dernière page refermée. Comme quoi, les a priori sont nos pires ennemis…
Publié aux Editions Stock – 228 pages
Finalement ce fut une sympathique surprise. Pas au plan de l’écriture, très simple, linéaire, immédiatement appréhensible, ce qui, sans doute, participe au charme de l’ouvrage.
Mais, Anne Bragance a su trouver un thème original et le mener au bout, sans faillir et en sachant retenir l’attention du lecteur légèrement réticent que je fus, du moins au début.
C’est à un dialogue entre deux amis de cinquante ans que nous invite l’auteur. Deux septuagènaires paumés au fin fond de la Normandie et qui se suivent depuis le berceau. Ils ont même fait la Légion ensemble et se connaissent par cœur.
Un dialogue drôle, enlevé et avec une énorme tendresse pour l’autre, celle qui permet d’effacer les petits défauts et de rendre un quotidien partagé suportable. Une tendresse qui sait pardonner les coups de gueule et les petites fâcheries qui ne durent jamais trop longtemps.
Deux originaux en tous cas. Joseph entretient une correspondance unilatérale puisqu’elle n’a jamais connu la moindre réponse, avec la Reine d’Angleterre, Elizabeth, qu’il admire et porte au pinacle. C’est elle qui donne un sens à sa vie et qui la rythme. C’est à elle qu’il confie ses soucis après que ses quatre enfants lui aient arraché l’héritage, une fois veuf, père au trop grand cœur non payé de retour. C’est aussi pour Elizabeth qu’il s’essaye à apprendre l’Anglais en baragouinant tout seul, de façon phonétique et répétant les phrases idiotes et inutiles que la méthode par cassettes lui impose à longueur de champ. Partir en Angleterre pour quelques jours est le projet de sa vie. Mais pour cela il faudra convaincre son ami, faire des choix, trouver l’argent et surmonter bien des obstacles.
Et puis, il y a son compère Samuel, plus rustre, plus introverti et dont la seule passion est le jardinage. Son rêve est de créer une rose en l’honneur d’un amour de jeunesse, un peu sorcière et qui fera parler d’elle d’une manière inattendue après que quarante huit décès de septuagénaires auront endeuillé le canton inexplicablement.
C’est à ce quotidien bousculé par la présence de la Presse, attirée par ces morts en série, que nous assistons. Un quotidien remis en question par une enquête policière qui vient troubler de vieilles habitudes et remettre en cause des certitudes.
Nous observons, mi-goguenards, mi-attendris, ces petites moqueries entre amis et qui renforcent une amitié inébranlable, capable de venir à bout dtout et de pardonner tout. Même la correspondance anglaise, inutile et ridicule mais qui va finalement déboucher sur une belle rencontre avec les bizarres habitants de l’île d’en face.
Bref, on passse un bon moment grâce à ce livre attachant, plein de trouvailles, enlevé et amusant. Ce n’est certes pas de la grande littérarture mais on ne l’oublie pas sitôt la dernière page refermée. Comme quoi, les a priori sont nos pires ennemis…
Publié aux Editions Stock – 228 pages
15.7.08
Antenora – Margaret Mazzantini
Antenora est le prénom d’une vieille dame, la grand-mère tout au long du récit, dont nous allons découvrir la vie rude, en quatre parties (l’enfance, la vie adulte de mère de famille, la vie une fois les enfants partis, enfin le veuvage).
Il y a du Rosetta Loy dans cet ouvrage : le même souci d’une saga familiale, certes très condensée ici, l’importance donnée aux descriptions, la souffrance physique et morale dans une Italie de la première moitié du vingtième siècle.
Fille d’un professeur, elle épousera un banquier dont la gentillesse et la bonhomie lui vaudront le surnom de nigaud. Bon mari, amant facile à satisfaire, bon père, il ne posera pas de souci à une épouse dont les jambes l’auront séduit.
Mère de quatre enfants, un de ses fils mourra très jeune du typhus. Pas eu le temps de s’y attarder, de toutes façons il fallait nourrir les trois survivants et faire tourner une maisonnée aux moyens tout juste suffisants.
Sur un rythme très lent, très intimiste, nous vivons de l’intérieur les évènements marquants de cette femme racontée par sa petite-fille préférée. Rien que de très ordinaire après tout mais bien écrit, posé, mélangeant les petites joies et les grandes peines, dépeignant avec pertinence les changements qui s’opèrent au fur et à mesure que la vie s’écoule.
Au fond, un livre tellement ordinaire par les thèmes qu’il traite qu’il est possible de s’y projeter. Il ne peut y avoir une situation dans laquelle vous ne puissiez vous reconnaître.
La limite rapidement atteinte de l’exercice est qu’en l’absence d’une écriture forte ou hyper-structurée, cette petite musique un brin doucereuse finit par déconnecter une attention insuffisamment sollicitée.
Bref, un livre sympathique mais loin d’être indispensable.
Publié aux Editions Robert Laffont - 171 pages
Il y a du Rosetta Loy dans cet ouvrage : le même souci d’une saga familiale, certes très condensée ici, l’importance donnée aux descriptions, la souffrance physique et morale dans une Italie de la première moitié du vingtième siècle.
Fille d’un professeur, elle épousera un banquier dont la gentillesse et la bonhomie lui vaudront le surnom de nigaud. Bon mari, amant facile à satisfaire, bon père, il ne posera pas de souci à une épouse dont les jambes l’auront séduit.
Mère de quatre enfants, un de ses fils mourra très jeune du typhus. Pas eu le temps de s’y attarder, de toutes façons il fallait nourrir les trois survivants et faire tourner une maisonnée aux moyens tout juste suffisants.
Sur un rythme très lent, très intimiste, nous vivons de l’intérieur les évènements marquants de cette femme racontée par sa petite-fille préférée. Rien que de très ordinaire après tout mais bien écrit, posé, mélangeant les petites joies et les grandes peines, dépeignant avec pertinence les changements qui s’opèrent au fur et à mesure que la vie s’écoule.
Au fond, un livre tellement ordinaire par les thèmes qu’il traite qu’il est possible de s’y projeter. Il ne peut y avoir une situation dans laquelle vous ne puissiez vous reconnaître.
La limite rapidement atteinte de l’exercice est qu’en l’absence d’une écriture forte ou hyper-structurée, cette petite musique un brin doucereuse finit par déconnecter une attention insuffisamment sollicitée.
Bref, un livre sympathique mais loin d’être indispensable.
Publié aux Editions Robert Laffont - 171 pages
11.7.08
Sept pierres pour la femme adultère – Vénus Khoury-Ghata
Un beau titre mais un résultat décevant.
Dans un village d’Asie aux portes du désert, loin des bruits de la construction d’un grand barrage, Noor attend son châtiment. Ses trois fils ont témoigné contre elle et l’ont désignée au cheik comme adultère. De cette liaison, alors qu’elle avait été abandonnée par son mari, joueur et plus ou moins voleur, Noor va se retrouver enceinte d’une vie qui se développe, malgré elle.
L’adultère signifie la mort par lapidation. Bientôt, les villageoises vont amonceler les pierres pour exécuter la fatwa et se partager les quelques modestes biens de la victime.
C’est sans compter sur la volonté farouche d’une humanitaire française qui va tout faire pour s’opposer à cette barbarie, pour sauver Noos et l’enfant qu’elle porte.
Pourtant, la communauté aura besoin d’une victime expiatoire et finira par la trouver.
Un beau thème malheureusement gâché par une écriture trop lâche, sans passion, sans saveur. Après quelques premières pages enchanteresses et dont il se dégage une réelle poésie, le récit s’essouffle. L’inspiration semble avoir désertée l’auteur. En tous cas, je sui resté constamment à l’extérieur de ce roman en regrettant une exploitation largement perfectible d’un thème qui l’aurait mérité.
Au moins y voit-on l’hypocrisie de l’occident qui ferme les yeux sur des coutumes d’un autre temps et les maux plus grands que les biens lorsque l’humanitaire se retire sans prévenir.
Mais rien quine justifie de se précipiter à tout prix sur ce roman. Dommage !
Publié aux Editions Mercure de France – 189 pages
Dans un village d’Asie aux portes du désert, loin des bruits de la construction d’un grand barrage, Noor attend son châtiment. Ses trois fils ont témoigné contre elle et l’ont désignée au cheik comme adultère. De cette liaison, alors qu’elle avait été abandonnée par son mari, joueur et plus ou moins voleur, Noor va se retrouver enceinte d’une vie qui se développe, malgré elle.
L’adultère signifie la mort par lapidation. Bientôt, les villageoises vont amonceler les pierres pour exécuter la fatwa et se partager les quelques modestes biens de la victime.
C’est sans compter sur la volonté farouche d’une humanitaire française qui va tout faire pour s’opposer à cette barbarie, pour sauver Noos et l’enfant qu’elle porte.
Pourtant, la communauté aura besoin d’une victime expiatoire et finira par la trouver.
Un beau thème malheureusement gâché par une écriture trop lâche, sans passion, sans saveur. Après quelques premières pages enchanteresses et dont il se dégage une réelle poésie, le récit s’essouffle. L’inspiration semble avoir désertée l’auteur. En tous cas, je sui resté constamment à l’extérieur de ce roman en regrettant une exploitation largement perfectible d’un thème qui l’aurait mérité.
Au moins y voit-on l’hypocrisie de l’occident qui ferme les yeux sur des coutumes d’un autre temps et les maux plus grands que les biens lorsque l’humanitaire se retire sans prévenir.
Mais rien quine justifie de se précipiter à tout prix sur ce roman. Dommage !
Publié aux Editions Mercure de France – 189 pages
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