28.5.16

Le Septième jour – Yu Hua


Depuis le succès de ses précédents romans (« La Chine en dix mots », « Brothers » entre autres), Yu Hua est devenu un auteur majeur de la scène littéraire chinoise. Un romancier reconnu et apprécié tant dans son pays qu’à l’étranger pour avoir trouvé le moyen de dénoncer les travers et les innombrables scandales qui secouent son pays sans tomber sous les coups de la censure. Pour cela, il prend tout d’abord la précaution de ne jamais mettre en cause directement le Parti. Et puis, il use d’une langue simple car il avoue ne pas connaître suffisamment d’idéogrammes classiques et de vocabulaire ce qui l’a obligé à inventer un nouveau style, beaucoup plus direct et populaire.

Avant d’être écrivain, Yu Hua passa toute son enfance à côté de son père chirurgien d’un petit hôpital de Province, assistant à d’innombrables opérations, découvrant des cas médicaux spectaculaires, devenant un familier de la mort et de la morgue où il allait dormir, au frais, les jours de canicule ! Une façon de se blinder, de prendre du recul par rapport aux évènements. Il commença sa carrière comme dentiste avant de découvrir, par hasard, le métier d’écrivain pour lequel il abandonna finalement tout, avec succès.

Son dernier roman, « Le Septième Jour » est un roman sur la mémoire doublé d’une critique allégorique de la société chinoise contemporaine. S’inspirant de faits divers bien connus et scandaleux ayant fait l’objet d’une couverture médiatique forte, il nous montre comment, à sa manière, le pouvoir chinois procède pour réinventer l’Histoire, maquiller le passé afin de dresser le portrait d’une nation puissante et victorieuse, s’arrangeant toujours pour minimiser la réalité de tous les accidents entraînant destruction et morts en grand nombre d’une société qui ne vit plus que pour l’accumulation frénétique de richesse et d’argent, ayant plongé sans vergogne d’un communisme réactionnaire au capitalisme forcené.

Pour ce faire, Yu Hua nous convie au pays des morts, un monde parallèle que vient de rejoindre un jeune homme brutalement décédé dans l’explosion d’un restaurant où il avait ses habitudes. Même une fois morts, les âmes errantes continuent de fonctionner dans une société inégalitaire. Le principe en est simple. Tant que le défunt ne peut pas bénéficier d’une sépulture sur Terre, il est condamné à errer, voyant son corps se décomposer jusqu’à ne plus devenir qu’un squelette errant mais parlant tout en continuant d’exercer les gestes essentiels, les plus représentatifs de ce que fut son existence terrestre. Seuls les riches et les puissants peuvent donc accéder au repos éternel comme le montre de façon drôlatique le mode de fonctionnement dans le crématorium où attendent les défunts.

Pendant sept jours, le jeune homme récemment décédé va découvrir les nouvelles règles de fonctionnement de là où il se trouve. Au hasard des rencontres, il va de plus en plus souvent retrouver celles et ceux qui furent ses voisins ou sa famille, lui qui fut très tôt séparé de ses parents pour être élevé par un pauvre cheminot qui l’aura recueilli dans des circonstances rocambolesques. Bien des victimes sont le témoin d’une des manipulations du pouvoir. Certains ont péri dans l’incendie d’un centre commercial dont le bilan est largement minoré pour protéger le Maire ; d’autres dans l’effondrement d’un immeuble rasé pour permettre à la spéculation immobilière d’avancer ; d’autres encore sont les fantômes de bébés assassinés en masse ou bien ceux d’un Lumpen Proletariat  vivant dans les abris antiatomiques et condamnés à vendre leurs organes pour survivre.

Dans ce monde féroce où évoluent les morts, les relations semblent cependant apaisées, l’entraide de mise, la gentillesse l’évidence. Chaque jour permet au jeune défunt de comprendre mieux comment il quitta la vie tout en retrouvant, avec sérénité, les êtres qui lui furent chers, prenant un congé définitif de ce qui fit sa vie avant de s’enfoncer dans une éternité d’oubli.

Yu Hua signe là un roman fabuleusement poétique, drôle, féroce et caustique qui dépeint fort bien tous les travers d’une société chinoise qui risque la catastrophe si on ne met pas un bémol à la frénésie qui l’agite.


Publié aux Editions Actes Sud – 2014 – 270 pages

21.5.16

Seul, invaincu – Loïc Merle


Seuls, les personnages de ce deuxième roman de Loïc Merle le sont. Invaincus, cela reste à démontrer tant ils sont abîmés, voire détruits par des vies dont ils ne savent que faire ou qu’ils mésemploient. C’est un bien étrange roman rédigé dans une écriture souvent emphatique au point de manquer de lisibilité qu’on nous propose là.

Charles a tout quitté il y a sept ans pour s’engager dans l’armée, pour combattre la haine dans le monde comme il dit. Parce qu’il reçoit un jour une lettre lui annonçant que son ami d’enfance Kérim est atteint d’une leucémie, il largue à nouveau tout, laisse le désert et sa tenue de camouflage derrière lui avec le dégoût d’un métier qui ne lui aura apporté aucune joie.

Revenu dans sa ville natale de C, étroite, entourée de collines, morne et sans espoir, il retrouve une mère vivant seule exactement comme il l’a laissée, son ex qui se prostitue pour vivre et son ami en soins en hématologie. Ce dernier, qui a toujours eu une vie un peu louche, est devenu une sorte de chef de bande vivant de divers trafics et extorsions.

Après sept ans d’absence sans qu’aucune correspondance, qu’aucun mot n’aient été échangés, alors que Kérim lutte pour sa survie et que Charles erre sans but, sans repères autres que la plongée régulière dans l’alcool, il leur faut retrouver une amitié abîmée par les circonstances. Un parcours semé d’embûches au fur et à mesure que la santé de Kérim, un temps rétablie, ne se dégrade à nouveau.

Vivre normalement dans ce roman, c’est vivre en marge, caché dans une communauté fondée un moment par Kérim, en ayant peur de ceux qui pourraient vous traquer, la gendarmerie comme déserteur ou cet ancien sous-off lyrique et alcoolique qui n’a de cesse que de remettre la main sur la compagne de Charles sans que l’on sache si c’est pour la renvoyer au tapin ou pour son propre usage. C’est voir son horizon se rétrécir de plus en plus, sombrer inexorablement dans la violence, vivre avec la mort omniprésente, tenter de rester invaincu (d’où peut-être ce titre énigmatique) malgré les circonstances, malgré une vie de chien qui s’amuse à vous rouer de coups. C’est vivre dans la solitude de ses angoisses, dans l’impossibilité de se construire un futur stable parce que tout fuit, que rien ne tient pas même les sentiments qu’on aurait pu croire sincères.

Loîc Merle signe ici un roman profondément noir, dérangeant au point d’en devenir déplaisant. Il m’aura laissé seul et vaincu par un style et un fond finissant par me laisser sur le bord de la route.

Publié aux Editions Actes Sud – 2015 – 204 pages



14.5.16

La garçonnière – Hélène Grémillon


Les histoires d’amour finissent toujours mal ont chanté les Rita Mitsuko. Un thème que reprend, à sa façon, haletante et superbement menée, Hélène Grémillon dans son deuxième roman. Célibataire plus ou moins résigné à se contenter d’histoires sentimentales brèves, un psychiatre argentin Vittorio Puig reçoit une patiente, Lisandra, qui le foudroie par sa beauté et l’interpelle par son comportement, claquant la porte avant même la fin de sa première séance d’analyse. Menant son enquête sur la base de maigres indices, il la retrouve dans un club de tango. Très vite, le couple s’établit puis se marie. Et puis, le temps passe et, un soir, c’est le drame. On retrouve Lisandra défénestrée, la fenêtre de son appartement grande ouverte après qu’une violente dispute ait été entendue.

La police, convaincue de la culpabilité du mari que de nombreux témoignages et indices accablent, procède rapidement à son interpellation qui le conduit à son incarcération préventive. Vittorio n’a d’autres moyens pour assurer sa défense que de faire appel à une de ses patientes, Eva Maria, qui vient le visiter, pour qu’elle mène à son tour une enquête sur la base des informations et suggestions qu’il lui fournira.

A partir de cette trame inspirée d’un fait divers réel, Hélène Grémillon élabore un thriller plein de surprises et qui sait maintenir l’attention fébrile de ses lecteurs. Il faut dire que plane sans cesse l’ombre de la junte militaire, tout juste évincée du pouvoir et dont la plupart des membres, ex-tortionnaires et autres exécuteurs, ont fait l’objet d’un pardon et d’une réhabilitation collective. Une junte qui a arrêté un beau matin la fille d’Eva Maria, disparue depuis sans laisser de traces. Un traumatisme que la mère tente d’adoucir dans l’alcoolisme. Une junte qui semble continuer de sévir, beaucoup de ses officiers s’étant recasés dans des postes clé de l’administration.

Plus la contre-enquête avance, plus les personnages qui surgissent paraissent jouer des rôles différents de ceux qu’ils seraient censés tenir, plus le mystère et le doute s’épaississent. Dans ce brouillard se dessine peu à peu la complexité des personnalités du couple Vittorio/Lisandra ainsi qu’une réalité de plus en plus différente de la façade initialement affichée, jusqu’à l’inévitable coup de théâtre final, véritablement totalement inattendu.

Tout cela est, en outre, fort bien écrit et composé sur un canevas d’une grande sophistication. Un vrai coup de cœur !


Publié aux Editions Flammarion – 2013 – 356 pages