Malavita, c’est l’un des nombreux noms donnés par les Siciliens à la mafia. C’est le nom choisi par Giovanni Manzioni, alias Fred Blake, pour son chien. Un non donné par défi, par nostalgie de ce qu’il fut.
Capo respecté et craint à Newark, il va finir par se faire serrer par un teigneux du FBI, Tom Quintaliani. Il décidera de passer à table et son témoignage fera tomber le parrain new-yorkais ainsi que l’essentiel des capi.
Pour leur sécurité, que le gouvernement américain ne pouvait plus assurer sur le sol natal, voici la famille Blake, sous protection du programme Witsec (Witness Security), exilée au beau milieu de la Normandie, dans la petite ville de Cholong-sur-Avre.
Bientôt, la vie de cette tranquille commune normande va se trouver bouleversée car là où la famille Blake débarque, les ennuis arrivent…
Tonino Benaquista signe ici un roman bien meilleur que son célèbre « La Madonne des Sleepings », blogué dans Cetalir. Meilleur à bien des points de vue.
Tout d’abord, celui de l’intrigue, lisible et passionnante, car elle va nous donner à voir les désespérants efforts de Manzioni pour devenir normal, s’insérer comme le FBI l’invite à le faire.
Meilleur donc au plan psychologique car ces efforts et les échecs dont ils sont systématiquement l’objet nous donnent à voir un grand mafieux sous son aspect humain. Celui d’un repenti qui doit s’assumer, celui d’un roublard qui va tromper son monde, celui d’un psychopathe qui assume ses pulsions et qui aime à donner et faire le mal. Celui que la vie normale emmerde au plus haut point et qui finira par se racheter, à ses propres yeux et à ceux de son espèce, à travers un dernier chapitre hallucinatoire et jouissif. Un chapitre qui le réhabilite en tant que ce qu’il est, dans son sang, dans ses tripes : un chef mafieux !
Car ce roman très original est extrêmement jouissif ce qui constitue la troisième illustration du caractère supérieur de « Malavita ». D’ailleurs, les hommes de La Cosa Nostra n’ont rien d’ennuyeux ; ils savent vivre et profiter d’une existence qui se termine le plus souvent de façon violente, pour une raison ou une autre. Manzoni en est l’incarnation absolue et vivante.
Bien que Benacquista ait puisé une partie de son inspiration dans « Le Parrain » et les innombrables films de gangsters produits par le cinéma américain et grâce aussi à une documentation détaillée et jamais ennuyeuse dont le roman est émaillé, ce livre, par son côté décalé, effronté est d’une inspiration le plus souvent assez éblouissante. Certes, il y a quelques petites imperfections (l’histoire un peu longuette du voyage de la revue scolaire locale qui finira par trahir Manzoni, bien malgré lui), mais on se prend à presque aimer ce personnage pourtant odieux, fou et dangereux de Manzoni.
On l’aime car il cherche à devenir humain en racontant ses mémoires qui risquent de faire frémir beaucoup dans les sphères du pouvoir. On l’aime car pour supporter un passé et s’inventer un futur, il va devoir jouer avec les mots, se frotter à un dictionnaire pour dire ce qui doit être dit, lui qui d’habitude est avare de paroles qui, lorsqu’elles sont proférées, sont souvent porteuses de mort. Ecrire est le premier pas d’une réhabilitation, d’un retour à la vie car vivre en rentier, protégé et surveillé, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, n’est pas pour Giovanni Manzioni.
Il y a aussi chez chaque membre de la famille Manzoni, par atavisme, presque malgré lui, un petit côté famille Adams. Le souci de se fondre dans la masse est toujours trahi, à un moment ou un autre, par une réaction violente, épidermique, spontanée et qui trahit la culture mafieuse du clan. La mère et les enfants finissent tous, de façon drôle et percutante, à péter un câble et à se faire respecter de celles et ceux qui ne les respectent pas.
On termine la lecture de ce très sympathique roman avec un énorme sourire aux lèvres. Celui d’un lecteur contenté et tenu en haleine par une histoire originale et captivante.
Publié aux Editions Gallimard – 315 pages
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