Comme nous l’apprend la postface de l’auteur, ce superbe roman a été inspiré par la vie de son grand-père, Yutaka Imamura, armurier et qui, comme le héros du livre, fit ériger un bouddha blanc sur la fin de sa vie.
Hitonari Tsuji, qui s’est toujours interrogé sur les motivations de cette démarche, a tenté ici d’inventer des réponses cohérentes et intimes.
Une fois de plus, Tsuji nous invite à un parcours intérieur, tout en retenue, en finesse, en subtilité. Celui d’une vie. La vie de Minoru Eguchi qu’au soir de sa mort, entouré de ses enfants et de sa fidèle épouse, Nue, ce dernier va passer en revue, une dernière fois.
Minoru est armurier, sur une petite île, au large de Osaka. La population y est essentiellement agricole, vivant des rizières et d’un peu de pêche. Son métier, il l’a reçu en héritage de son père, qui l’avait lui-même reçu de son propre père.
Nous sommes au début du vingtième siècle. A l’occasion de la guerre sino-russe, l’armurerie paternelle va connaître un formidable essor, délaissant la fabrication des sabres de samouraï et des baïonnettes pour s’occuper de la réparation des fusils « 1906 ». Minoru va se révéler un formidable artisan, très jeune.
Quelques évènements majeurs vont marquer la vie de Minoru et dicter toute sa conduite par la suite.
Le premier, c’est la rencontre avec Otowa, une jeune fille îlienne, symbole de féminité. C’est elle qui l’initiera très tôt à la vie sexuelle. Elle lui fera promettre un amour éternel. Toute sa vie, malgré une fidélité totale à sa future épouse, il restera amoureux, post mortem, d’Otowa. Toute sa vie, Otowa surgira et l’invitera à un dialogue intérieur et le préparera, le moment approchant, à la rejoindre dans la mort.
Le deuxième événement fut dicté par la guerre. Envoyé au front sibérien pendant la seconde guerre mondiale, Minoru n’aura d’autre choix que de tuer un adversaire, l’achevant horriblement à la baïonnette. Cette épreuve hantera ses pensées et ses rêves. Orthogonale à ses principes, elle invitera Minoru à s’interroger sans cesse sur le bien et le mal et conduira ses pas dans toutes les grandes décisions qu’il aura à prendre.
Le troisième événement tient à la métempsycose, comme dans « l’arbre du voyageur », bloggué ici. La réincarnation tient une place essentielle dans la pensée bouddhiste. Minoru sera personnellement confronté à la métempsycose. Via sa fille, Rynko, dont il apparaîtra bientôt qu’elle est la réincarnation d’une grande prêtresse bouddhiste. Via des flashes qui surgissent sporadiquement dans la tête de Minoru pour l’avertir, à tous les moments cruciaux de sa vie, du futur très proche lui donnant à revivre certaines scènes d’une vie antérieure.
Mais l’élément structurant, celui qui donne un sens à tout ce qui précède ainsi qu’aux deuils douloureux qui parsèment toute vie, c’est le bouddha blanc.
Celui-ci surgit devant les yeux de Minoru à quatre ou cinq reprises dans sa vie, lui indiquant le chemin à suivre, sereinement mais avec une force irrésistible. C’est lui qui fera de Minoru un homme intègre, respecté, droit et entreprenant.
Arrivé à la fin de sa vie, ayant achevé un parcours familial et social exemplaire, malgré les épreuves traversées, Minoru n’aura qu’une seule pensée en tête : réunir les ossements de tous les défunts enterrés dans l’île, puis les broyer pour les transformer en une poudre blanche. De cette poudre, faire ériger un superbe bouddha blanc, debout, pour mieux sauver les enfants, par un artiste digne de cette réalisation.
Car en mêlant les ossements, c’est une des valeurs bouddhistes fondamentales qui s’accomplit : toute différence sociale ou humaine disparaît. Chaque homme et femme redevient égal et tous se trouvent mêlés.
On l’aura compris, il s’agit d’une œuvre profondément personnelle de l’auteur. Une œuvre intime, essentielle, pure, sans scorie. Chaque page est d’une beauté absolue. Point de haine, au seuil de la mort : le juste sentiment du devoir accompli, celui de laisser une famille en paix et de réunir, en paix encore, les habitants de l’île dans un projet sublimant.
S’il n’était qu’une oeuvre de Tsuji à découvrir, ce serait celle-ci.
Un grand bravo, une fois de plus, à la traductrice qui réalise un travail remarquable.
Publié aux Editions Mercure de France – 261 pages
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