Russell Banks est l’un des plus grands écrivains américains encore en vie. Il est important d’avoir un aperçu de sa vie pour mieux comprendre les ressorts fondamentaux qui sous-tendent son œuvre.
Né en 1940 dans le Massachussets, il passera son enfance chez ses enfants dans un petit bled du New Hampshire, paumé au milieu de nulle part. Ses souvenirs sont ceux d’un paysage éternellement enneigé et morne.
Son père, Earl, alcoolique chronique, est menuisier et plombier occasionnel. Lui-même vivra longtemps d’expédients en exerçant les métiers de décorateur, déménageur ou bien encore vendeur de chaussures. Ses parents divorceront et lui même connaîtra également un divorce.
Ce n’est que tardivement, en 1975 alors qu’il réside à La Jamaïque, qu’il viendra à l’écriture avec Family Life et Searching for survivors, un recueil de nouvelles.
Son écriture est habitée de ce qui le hante : la pauvreté, l’isolement, les laissés pour compte de l’Amérique conquérante et rayonnante. Les personnages de ses livres sont souvent des anti-héros typiques qui vivent d’expédients, des femmes trompées, délaissées et qui doivent se débrouiller seules pour s’en sortir, des maris alcooliques, violents, menteurs et qui laissent tomber sans sommation femmes et enfants. Ses ouvrages sont également une critique plus ou moins violente de l’Amérique, de ses injustices et de son aveuglement face à la multitude qui n’a aucun droit au rêve, à commencer par la population blanche pauvre.
A ce titre, le recueil de nouvelles « Histoire de réussir » est un véritable condensé des thèmes précédents.
Si chacune des nouvelles peut être lue indépendamment des autres, elles forment toutes, sauf une (« Le poisson »), une suite cohérente, l’esquisse d’un roman global. On y voit quatre personnages aux prénoms et parfois noms identiques, à des époques différentes, dans des postures sociales différentes qui sont autant d’illustrations des chemins que leur vie prendra une fois la cellule familiale éclatée.
Il y est question au quotidien de divorce, de fins de mois difficiles, de relations amoureuses tristes et vouées à l’échec, d’alcoolisme. Dans la nouvelle qui donne son nom au recueil, c’est Russel lui-même qui est en scène, la façon dont il vit d’expédients comme décorateur, déménageur et vendeur de chaussures avant de rencontrer celle qui deviendra sa femme, Sarah Cole dans le livre.
Une femme dont on comprendra, dans la nouvelle « Adultère », qu’il l’épousera sans l’avoir jamais aimée et sans qu’il lui soit possible de l’aimer.
On comprendra donc que la tonalité générale de ces récits est globalement sombre. Il y a peu d’espoir et chaque fois qu’une issue semble possible, une nouvelle catastrophe surgit rendant toute extraction de la pauvreté impossible.
Pourtant, grâce à l’incroyable tendresse dont Banks fait preuve vis-à-vis de ces personnages losers, anti-images de l’Amérique idôlatrée, grâce aussi à une écriture drôle et un rien décalée, nous nous prenons de passion pour celles et ceux qui vivent en marge de la consommation, des parties, de l’argent facile.
Car il s’agit avant tout de femmes et d’hommes faits de tripes, de sang et de sentiments. De celles et ceux qui nous aurions pu être, que nous avons été le cas échéant, en partie, à un moment ou un autre de nos existences.
C’est cette identification potentielle qui fait la grandeur de ces remarquables récits à découvrir de toute urgence.
Publié aux Editions Actes Sud – 190 pages
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