Lui est proviseur d’une petite ville de Suède, passionné et idôlatre d’un obscur poète romantique suédois auquel il finit par ressembler trait pour trait. Il en connaît d’ailleurs les cent soixante six poèmes par cœur dont les citations constituent le fondement de sa conversation. Il esquive les questions gênantes et usent le plus souvent de réponses élusives.
Il est de plus en plus absent aux autres, s’enferre, sans crier gare, dans une neurasthénie et une dépression larvées. Elles se matérialisent par une lecture et une écoute obsessionnelles des journaux d’information. Chaque incident, chaque catastrophe concourent à renforcer le sentiment d’un cataclysme mondial imminent. Il a pour compagnon principal son chien, un berger allemand en fin de vie avec qui il dort et dialogue.
Parce que sa femme le lui a imposé, en juste réparation de sa propre attitude à elle, il fréquente de temps en temps une maîtresse. Mais il est si peu à son fait que lorsqu’il se retrouve au lit avec elle, il ne cesse de lui demander s’ils ont déjà fait l’amour ou si cela reste à faire.
Elle est fonctionnaire au Trésor Public. Elle est énergique, impliquée et se désespère de voir son mari sombrer, entraînant son couple avec. Elle vit une passion torride avec une sorte d’apprenti pasteur, Hongrois émigré et qui a été accepté dans l’église protestante par dérogation alors qu’il vit une foi mystique. Cette aventure le tourmente, le déchire. Elle le dévore à petit feu. Elle la vit pleinement, l’assume et ne peut s’en passer.
Son problème à elle est l’affabulation. Sa vie ne la satisfaisant pas, sans doute, elle ne cesse de s’inventer un passé et surtout un métier, celui de croque-mort. Elle s’exprime par métaphores et rarement ses réponses sont à prendre au pied de la lettre.
Ils sont mariés depuis trente ans, ont matériellement réussi. Ils ont un fils de vingt-quatre ans, alcoolique, dépressif, suicidaire.
Comme leur couple part à vau-l’eau, ils décident de voir une conseillère conjugale. C’est elle qui va tenter de cristalliser la crise, de les faire bouger, de leur éviter l’échec du divorce. Pourtant, ils s’y sont préparés dès le lendemain de leur mariage, comme une issue normale.
A partir de là, Torgny Lindgren, qui est l’un des romanciers contemporains suédois majeurs, va nous entraîner dans un roman à l’atmosphère profondément scandinave. Celle de la dérision, celle d’un grain de folie qui s’installe, se développe et conduira à l’explosion inévitable après que l’abcès aura été percé.
La progression du drame personnel, l’installation de la dépression, l’isolement des personnages sont rendus avec une vérité et une acuité des plus saisissantes. Pourtant, un humour très second degré, un rien décalé, nous évite en permanence de sombrer dans l’ennui ou le désespoir. Nous nous surprenons même à sourire de temps à autre.
Au bout du compte, on ne peut qu’éprouver de l’admiration pour le travail d’analyse, de mise en place par petites touches successives, profondément détaillées, absolument vraies, qui font de ce roman un chef-d’œuvre du genre.
Alors, découvrez sans tarder Torgny Lindgren et faites-nous savoir ce que vous en aurez pensé !
Publié aux Editions Actes Sud – 302 pages
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