Peut-on être un artiste de génie, défricher de nouveaux horizons, revisiter l’interprétation de pièces mille fois jouées en restant dans la normalité ? C’est, en quelque sorte, à ces questions que tente de répondre de façon originale et assez intéressante Jean-Baptiste Destremeau.
Lorsque, comme Lazslo Dumas, premier Prix de piano du Conservatoire National de Paris, héritier d’une tradition d’instrumentistes de renom, on veut étonner, décaper l’interprétation des classiques pour mieux retenir l’attention des critiques, s’imposer, se faire un nom pour la postérité en accédant au Parthénon des pianistes qui auront marqué leur temps, il faut trouver une source d’inspiration nécessairement hors du commun.
Par hasard, notre pianiste va trouver la solution à son besoin d’inspiration fantastique en tentant d’humaniser ses interprétations techniquement brillantes mais, jusqu’ici, manquant de relief. En glissant ici ou là quelques fausses notes difficilement décelables, habilement enfouies dans de subtils accords et en focalisant son attention sur les premiers rangs de ses auditeurs, Lazslo Dumas va détecter celles et ceux capables de déceler la petite erreur d’interprétation. Par élimination successive et en ne retenant que l’auditeur ou l’auditrice capable d’entendre chacune des erreurs dissimulées, le pianiste va pouvoir alors sélectionner son innocente victime, la traquer pour l’assassiner sauvagement, en donnant lieu à des pulsions démentielles.
Après chaque assassinat, l’interprète développe un complexe de supériorité de plus en plus puissant. Chaque meurtre lui donne une clé pour interpréter une œuvre comme jamais encore quiconque n’en aura été capable et ce, d’autant plus que ses meurtres restent impunis.
Toute cette industrie morbide va se trouver remise en cause lorsque Dumas fera la rencontre, via internet, d’une jeune femme divorcée, mère d’un petit garçon intelligent et passionné de Harry Potter. Lorraine est professeur ainsi que violoncelliste amateur. Bientôt, Lorraine et Lazslow vont filer le parfait amour et commencer une vie de couple.
Mais le répit ne sera que de courte durée car l’inspiration, et donc l’inspiration de Lazslow, vont se ternir jusqu’à provoquer des contre-performances dramatiques pour sa carrière et son renom. Laslow va devoir reprendre ses activités assassines en les rendant de plus en plus sordides, en scénarisant de façon macabre et insoutenable ses meurtres, symboles sanglants et géniaux d’une vision mystique de la musique. Mais plus les meurtres vont s’enchainer, plus la vie de couple va devenir un enfer amenant Lorraine et son fils à s’interroger sur la véritable personnalité de cet homme dépressif aux performances d’interprétation de moins en moins prévisibles, lunatique et au regard de folie. Où sont passé l’amour et les moments de passion, le partage et la fusion qui rassuraient, donnaient l’espoir de recommencer une vie équilibrée ? Qui est Laslow que le petit Arthur, le fils de Lorraine, voit emblématiquement comme un « Mangemort » ?
JB. Destremeau, en dépit d’une fin peu surprenante, sait à la fois tenir son lecteur en haleine et explorer avec brio les méandres sombres de la folie, celle d’un homme qui confond lecture hors du commun de la musique avec vie hors du commun, hors des règles, comme si le génie ne pouvait se développer que dans le mépris des autres et la folie dévastatrice. Le problème est que le remède que l’on croit avoir trouvé à un irrépressible besoin d’être différent produit des effets à chaque fois amoindri et que tuer ne suffit plus, la racine des maux n’étant point traitée. Il faut massacrer, s’aveugler de violence pour tenter vainement de chasser la folie qui envahit en faisant tourner dans la tête de l’assassin une petite sonate de sa composition qui l’obsède et le rend dément.
Le livre est incontestablement une réussite et, si l’on s’intéresse à la musique classique comme c’est mon cas, on y trouvera même quelques intéressantes considérations sur l’architecture de certaines œuvres.
Publié aux Editions Max Milo – 2008 – 381 pages