Le monde de Pete Dexter est noir, cruel, violent et sans espoir. Un monde sans pitié, où il faut jouer des coudes pour gagner sa place, se battre pour la conserver, tuer pour survivre.
« Un amour fraternel », écrit en 1991, en est une des plus brillantes illustrations, un livre qui vous frappe comme un uppercut.
L’image n’est pas choisie au hasard car la boxe tient un rôle secondaire et central à la fois dans ce roman poignant et d’une grande violence.
Tenue par un ancien boxeur qui eut son heure de gloire, la salle de boxe d’une petite ville de la banlieue de Philadelphie tient le rôle d’une école de vie. C’est l’un des rares lieux du coin où la violence est réglementée, orchestrée, où la souffrance y est positive et non imposée.
C’est aussi dans ou autour de cette salle aux codes stricts, à la morale solide que de nombreuses transgressions vont se perpétrer jusqu’à la scène ultime, tragique et poignante qui conduira l’ensemble des protagonistes du roman dans un précipice définitif.
Les scènes autour et dans cette salle constituent un ballet savant comme le jeu de jambes d’un champion de boxe sur un ring. Une fois en position, l’auteur frappe et le coup part, ajusté et redoutable d’efficacité.
Le roman s’ouvre comme un article de presse relatant l’assassinat de deux cousins, le même jour, dirigeants du syndicat des couvreurs et donc mafiosi accomplis, à cent cinquante kilomètres de distance.
Ce sont ces deux hommes que nous allons suivre sur une trentaine d’années. Deux hommes au tempérament différent mais que le milieu du crime organisé auquel leurs familles appartiennent vont lier inséparablement l’un à l’autre.
Peter est un garçon calme, réfléchi, intelligent. Sa vie va basculer le jour où un voisin flic va déraper sur une plaque de verglas et tuer sur le coup sa jeune sœur qui jouait sous sa surveillance dans le jardin enneigé de la maison familiale.
Son cousin Micaël est vicieux, fuyant, violent et cruel. C’est dans la rue, sous la houlette du père de Micaël, président du syndicat des couvreurs, qu’ils vont faire l’apprentissage de la vie, découvrir la nécessité de se battre et de jouer des poings, au sens propre. Jusqu’à prendre le pouvoir, à pleine dents pour Micaël, avec réserve pour Peter.
Comme Peter aura perdu dans des circonstances violentes son père, il sera pris en charge par son oncle et cherchera à travers le propriétaire de la salle de boxe ce que le père mort n’aura pu lui apporter.
Le roman s’inscrit dans une hyperbole narrative où crimes, sexe, menaces et contrainte psychologique vont sans cesse croissants. Une fois la spirale de la violence et de la vengeance engagée, plus rien ne pourra l’arrêter et le seul moyen d’en sortir est de le faire une fois morts.
Ce sont les bas-fonds de la société que nous côtoyons ici avec ce que la folie, concentrée dans les mains d’un chef de clan pervers et tout-puissant peut engendrer en paranoïa et trahisons.
Les scènes de meurtres et de parties effrénées de jambes en l’air ont l’impact d’un film de Scorcese.
On sort du roman sonné et admiratif du travail d’une écriture qui claque comme une énorme gifle, un coup de feu de fusil à canon scié. C’est absolument magistral !
Publié aux Editions de l’Olivier – 347 pages