« God’s Pocket », du nom du quartier
pauvre et ouvrier de Philadelphie, plus ou moins contrôlé par la Mafia, fut le
premier roman de Pete Dexter, auteur américain contemporain, journaliste de
profession et que nous aimons beaucoup à Cetalir. D’emblée avec ce premier
roman publié en 1983, P. Dexter s’imposa comme un écrivain majeur du roman noir
contemporain.
On y trouve ce qui structurera son œuvre dans
les vingt cinq années qui suivirent : minorités sociales ou raciales qui
tentent de s’en sortir face aux plus puissants, flics douteux, déjantés et
décalés, pouvoir de la pègre et corruption politique…
Comme toujours par la suite, ce qui étonne est
un style noir ciselé, éclairé par des images où l’auteur se fait un malin
plaisir de constituer des combinaisons inattendues ourlées d’un argot rieur, et
où le lecteur trouve une respiration grâce à des moments burlesques et qui
suscitent un rire franc et massif. Bref, une fois plongé dans un roman de
Dexter, il est bien difficile d’en sortir tant l’ambiance caractéristique vous
enveloppe et vous plonge dans un cocon isolé du monde.
« God’s Pocket » est une sorte
d’hommage décalé à la classe laborieuse de Philadelphie, à ceux qui cherchent à
s’en sortir sans quitter le droit
chemin (prélude à « Train », sublime et dernier roman de l’auteur) ou
qui composent a minima avec la pègre en se salissant les mains le moins
possible (on lira encore « Un amour fraternel »). Un chemin étroit
soumis rendu possible par un laxisme policier, une complaisance plus ou moins
achetée et à un laisser-faire politique.
Mais c’est aussi une intrigue solidement
charpentée sur fond de crime. Dès la première ligne, nous sommes confrontés
sans ambages à la mort d’un jeune homme du nom de Leon Hubbard. Ce dernier
travaillait comme maçon sur le chantier d’un hôpital. Un emploi de
complaisance, fourni par la mafia. Une mort qui n’a rien d’accidentel et sur
laquelle l’auteur va construire son roman.
Par un concours de circonstances, voilà que
bientôt, alors que Hubbard est un sans grade, un loser fini, un célèbre
journaliste et chroniqueur, la police, la famille et la mafia vont mener des
enquêtes séparées et qui ne vont pas tarder à s’entrechoquer. D’où une
incroyable série de péripéties tantôt dramatiques, souvent très drôles liées à
l’enterrement d’un corps qui devient multiplement embarrassant.
Mal chronique de la société américaine,
l’alcoolisme joue un rôle de révélateur, accentuant les dérives, déliant les
langues, libérant l’autocontrôle et poussant celles et ceux dont il s’empare à
se livrer à des actes et des paroles qui auront des conséquences diamétralement
opposées à celles attendues. Un alcoolisme sur fond de pauvreté, de solitude
physique ou sentimentale, de difficulté de vivre.
Bref, c’est un superbe roman noir, très noir,
mais aussi un roman très écrit, superbe de maîtrise, d’emblée majeur que tout
amateur de littérature se devra de découvrir.
Publié aux Editions de l’Olivier – 348 pages