Norman Mailer n’eut
pas le temps de mener au bout sa trilogie sur Hitler dont « Un château en
forêt » (le titre fait explicitement référence au surnom donné au camp « Das
Waldschloss » surnommé ainsi par dérision par ses détenus) était le
premier tome. Il mourut quelques mois plus tard des suites d’une opération des
poumons.
Norman Mailer est
un des monstres de la littérature américaine du vingtième siècle, un de ces auteurs qui ont délibérément cassé
les codes, joué de la provocation en donnant la parole à des personnages
mythiques (Jésus, Marylin Monroe) ou en donnant une vision pour le moins
différente des icônes (Pablo Picasso par exemple). Voir à ce sujet le très bon
article suivant de Rue89 : http://blogs.rue89.com/cabinet-de-lecture/avec-norman-mailer-une-grande-voix-de-la-contre-culture-seteint
Dans son ultime
roman publié de son vivant, Mailer décida de prendre un parti pris presque
mystique pour tenter de donner un sens à l’innommable. C’est parce que la
famille dans laquelle naquit le jeune Adolf Hitler présentait a priori toutes
les qualités à l’éclosion du Mal que le Maestro, Satan, décida très tôt de s’y
intéresser. Pour cela, il délégua un de se meilleurs agents chargé d’assister à
la procréation du fœtus puis de susciter dans le jeune Adi, chaque fois que de
nécessaire, le mélange explosif de pulsions morbides, de terreur, de
frustrations, de jouissance malsaine pour sublimer le potentiel démoniaque qu’il
détenait a priori et déclencher la pire horreur que l’humanité eût jamais connu
jusque là.
Pour cela, Mailer
s’appuie à la fois sur une impressionnante bibliographie et une théorie jamais
démontrée mais souvent suspectée qui veut que Hitler fût le produit d’un double
inceste. Inceste parental entre un oncle (Alois) et une nièce (Klara) qui était
peut-être même sa propre fille. Inceste entre les parents d’Alois dont la
naissance est entachée de doutes. Le signe régressif distinctif en étant qu’Hitler
n’avait qu’un testicule, signe fréquent chez les enfants issus d’un tel
inceste. Pourquoi pas.
Mailer met tout
son talent à nous faire entrer dans l’intimité de la famille Hitler. Adi était
le deuxième enfant survivant d’une fratrie de huit engendrée par deux des trois
épouses successives d’Alois. Un père qui s’était issé à la force du poignet et
sans éducation aux plus hautes responsabilités dans les Douanes
austro-hongroises. Un homme à femmes, colérique et alcoolique, cyclothymique et
capable d’infliger les pires corrections à ses chiens comme à ses enfants,
faisant vivre son foyer dans une terreur constante jusqu’à sa retraite.
Une mère noyée
dans le chagrin, à la fois amoureuse de son oncle de mari et toujours réfugiée
dans la bigoterie, unique consolation d’une vie faite principalement de deuils,
de pertes et de douleur.
Un demi-frère
aîné tiraillé lui-même entre l’inceste, l’homosexualité et la zoophilie avant
que d’être exclu à tout jamais de la famille et de tourner en mauvais garçon.
Sans cesse
titillé et guidé par son démon gardien, Adi fit l’apprentissage très tôt du
gazage des abeilles de son père, des combats militaires de plus en plus
sophistiqués avec des camarades d’école qu’il menait à la baguette, de la
jouissance à souffrir ou à faire souffrir, de la puissance du mensonge.
Il ne faut pas
prendre à la lettre le propos de Mailer mais y voir là un brillant exercice
littéraire qui, en dépit de ses longueurs et diversions comme ce très long et
guère utile intermède sur l’avènement du tsar Nicolas II, apporte un point de
vue alternatif à l’explication de ce que l’entendement aura souvent du mal à
concevoir. Quoi que l’on puisse en penser in fine, il faut lire ce roman pour
son caractère particulier et comme ultime témoignage d’un géant littéraire.
Publié aux
Editions Plon – 2007 – 447 pages