Difficile de
croire qu’il n’y ait pas beaucoup de l’auteur dans son dernier roman. Comme
lui, Daniel Flamm, est écrivain. Un écrivain à succès et qui vient de décrocher
la timbale grâce à un croustillant homme d’affaires roumain qui l’envoie, tous
frais payés et salarié à prix d’or, un peu partout dans le monde pour écrire
une histoire du papier après en avoir achevé une sur le sel. Comme lui, Daniel
Flamm a le plus grand mal à écrire ses livres qu’il termine dans l’urgence du
petit matin, coincé dans une imprimerie. Comme lui, son personnage passe
beaucoup de temps à Montréal, y fréquente les librairies, les bars et les
restaurants mais aussi et surtout, bien sûr, les femmes.
Et c’est bien l’histoire
triste d’un homme qui ne sait pas aimer les femmes et qui le comprendra trop
tard que Weyergans ou Flamm, ou les deux au fond, décident de nous conter ici.
Car Flamm est un homme à femmes. Marié, père de famille, il mesure son succès
social au nombre de ses conquêtes. Elles sont souvent de simples passades, de
vagues ombres qui laissent le corps repu et alimentent un tableau de chasse
dont on ne tient plus le compte. Jusqu’à la rencontre de Margot.
Elle a vingt-cinq
ans, lui plus de cinquante. Elle adore le Royal Romance, un cocktail un peu
sophistiqué, vit à Montréal où elle entreprend de devenir actrice. Elle est
légère en apparence, extrêmement fragile en réalité. Sa beauté attire les
hommes comme la lumière les insectes. Elle ne sait se contenter d’un homme ; il
lui en faut plutôt deux en parallèle, au moins. Un pour se rassurer, tenter de
croire qu’elle est capable de vivre une relation stable. L’autre, ce sera
Daniel, de plus en plus malgré lui.
A cause d’elle,
il restera plus de trois mois à Montréal, laissant femme et enfants à Paris.
Cela n’empêchera pas quelques incartades car ils ne vivent pas ensemble et la
tentation existe comme une preuve à renouveler sans cesse de sa capacité à
séduire. Et puis, l’éloignement venu, il faut bien reprendre les habitudes et
se lancer à corps perdu dans une nouvelle aventure.
Cela aurait pu
être l’histoire d’une passion exclusive et exigeante. Nous comprendrons assez
vite qu’il en résultera un désastre dont nous mesurerons toute l’étendue à la
toute fin du roman.
Un roman dont l’écriture
d’apparence simple, en réalité profondément sophistiquée, souvent drôle et caustique,
qui nous dit qu’il est facile de passer à côté de sa vie, si tentant de jouer
des autres comme eux se jouent de nous, si douloureux et destructif de
comprendre trop tard qu’il ne sert à rien de courir après quelque chose que l’on
croit mieux, plus exaltant alors qu’on avait le meilleur à portée de main.
Weyergans écrit
admirablement sur le désir, les stratégies de séduction, le stress et l’euphorie
qu’il y a à jongler avec des amours parallèles au risque de s’y brûler
définitivement. Un livre sur un homme qui aimait mal, irrésolu et dépressif, et
qui finira par découvrir le gouffre dans lequel tous glissent inexorablement.
Cela aurait pu être lourdement tragique. C’est au contraire délicieusement
désenchanté et irrévérencieux comme Weyergans, encore.
Publié aux
Editions Julliard – 2012 – 216 pages