Une fois encore, Jaenada a cette faculté immédiate à nous transporter dans son univers personnel et délirant. Son style est résolument moderne, ponctué de nombreuses parenthèses souvent imbriquées les unes dans les autres et qui sont autant de prétextes à se laisser entrainer par des digressions hilarantes, toujours maîtrisées cependant. Des digressions qui laissent toujours voir la fragilité de l’être, les nombreuses occurrences à se laisser tenter lorsqu’on est un peu faible de caractère, ce qui est un trait constant des personnages du romancier.
Dans « Vie et mort d’une jeune fille blonde », Jaenada s’en donne à cœur joie et balaie avec une joie iconoclaste les conventions et les bien-pensants. Le roman repose sur un morceau de bravoure assez exceptionnel, un dîner en ville, dont les conséquences donneront lieu à des prolongements déroutants.
Un dîner auquel se rend le personnage central, parlant comme souvent chez Jaenada à la première personne du singulier et empruntant les traits de l’auteur, selon des habitudes quasi routinières. On se rend à ces dîners sans cadeau, on y arrive en retard ou oublie de prévenir qu’on ne vient pas et y rencontre des habitués comme des inconnus, tous membres de l’intelligentsia parisienne.
Cependant, et c’est là que l’auteur va commettre des pages d’une truculence rabelaisienne, ces dîners obéissent à une sorte de rites. Ils se doivent de commencer par des jeux violents consistant en des concours de baffes qui ramènent les protagonistes au temps des cavernes, en des duels de cuisses de fer et autres jeux plus ou moins dangereux que l’abus d’alcool ne manquera pas d’entraîner. Les conventions s’effondrent, les comptes se règlent sous couvert de bizarrerie sociale et les masques finissent par tomber. Jaenada y signe des pages sublimes d’invention et d’espièglerie !
A l’issue de ces préludes effarants et drolatiques à souhait, l’hôte, sans doute plus imprégné que d’habitude, finira par révéler à une tablée médusée les exploits sexuels multiples commis par sa fille en présence de nombreux partenaires sous les yeux affolés d’une famille BCBG réunie pour un repas de famille. Une fille devenue depuis pute de bas étage à Marseille, sidéique, pour se payer l’héroïne dont elle ne peut plus se passer.
Devant ce récit, le narrateur va se convaincre que la fille en question, par un concours de circonstances de lieu et de date, n’est autre que la jeune fille de treize ans qui l’avait déniaisé de façon experte quand il en avait seize dans un champ à l’occasion de vacances estivales. Il décidera alors de partir à sa recherche sur un coup de tête.
Jaenada manie tout au long de ce beau roman tragi-comique humour et drame et passe sans transition mais avec brio et maîtrise du comique à forte connotation sexuelle à la recherche de son propre moi, le narrateur visant à comprendre, dans cette quête, comment il a pu devenir ce qu’il est devenu et en quoi une fille oubliée, et improbablement sortie de l’ombre, ayant a priori tout pour réussir, a pu devenir ce qu’elle est.
Le roman se terminera en queue de poisson, ouvrant des perspectives comme seule la vraie vie sait en réserver par ses hasards et les rencontres qu’elle nous réserve.
Un très beau livre à prendre au premier et au deuxième degré.
Publié aux Editions Grasset (2004) – 285 pages