A travers ce premier roman très réussi, Hélène Gestern se
lance à la poursuite des secrets de famille et de la façon particulière qu’a le
support photographique de fixer des lieux, des personnages, imprimant une
mémoire spécifique, à la fois immuable parce que figée, et versatile parce que
propre à soulever des émotions, des souvenirs, des réactions appartenant à
chaque contemplateur.
Tout commence presque banalement. Trouvant un jour une
photographie de sa mère décédée qui l’interpelle, une femme passe une annonce
dans un journal pour tenter de retrouver l’identité des deux inconnus qui
l’entourent, l’un souriant et avec lequel elle semble en symbiose, l’autre se
tenant en retrait de façon légèrement comique. Alors qu’elle n’y croyait plus,
une réponse arrive, celle d’un homme qui aura reconnu son père.
Commence alors une longue enquête portée d’abord par le
désir de comprendre pourquoi le père de l’un fréquentait la mère de l’autre et
ce qu’ils pouvaient bien être l’un pour l’autre à un âge où les deux étaient
mariés et parents. Une enquête qui, par ses découvertes et ses révélations
successives va forcément et profondément bouleverser le regard que ces deux
adultes vont porter sur leurs parents, remettant au grand jour les souffrances
endurées lors de leur enfance, fissurant avant de la faire exploser les chapes
de plomb que leurs familles respectives auront posé sur eux.
Tout progresse lentement, avec toutes les hésitations qu’une
nouvelle découverte engendre. Celle de vouloir en savoir plus et celle de la
peur d’en savoir plus et de ce que cela pourrait bouleverser dans leurs vies, leurs
croyances, leurs interprétations de petits faits, de cette montagne de
souvenirs qui nous constituent.
Tout, au début, se fait par un échange de correspondance
d’abord neutre puis de plus en plus personnelle au fur et à mesure que les
sentiments des deux enquêteurs malgré eux éprouvent face à leurs découvertes,
face à eux-mêmes et, surtout, l’un vis-à-vis de l’autre.
Pour comprendre, il leur faudra aussi plonger dans pléthore
de clichés photographiques pris par le père de la femme et décoder des images
d’une beauté sidérante et envoûtante mais illustrant aussi la souffrance et la
solitude d’un homme dont on découvre le parcours et la vie gâchée par une
incapacité à avoir su gérer normalement une situation qui, pour être pénible,
n’en était pas moins d’une relative banalité.
Nul ne sortira indemne des histoires que raconte cette photo
figée avant, pendant et après qu’elle fût prise. Beaucoup de mensonges pour
tenter de protéger et de dissimuler au prétexte de protéger des enfants qui,
devenus adultes, porteront de profondes séquelles de maux qu’ils ne savaient
jusqu’ici pas expliquer.
Il y a de nombreuses facettes dans ce livre fascinant,
poétique et superbement écrit par H. Gestern. Celle de l’enquête en soi. Celle
d’une correspondance qui évolue entre un homme et une femme qui se découvrent
et se rapprochent. Celle du regard que l’on peut porter sur les êtres, les images
et les choses. Tout cela s’enchevêtre pour former une toile dense, superbement
construite et porteuse d’une émotion qui ne faiblit jamais.
Une très belle réussite en fait !
Publié aux Editions arléa – 2011 – 274 pages