Ormuz, c’est ce détroit coincé entre l’Iran, les Emirats
Arabes Unis et le Sultanat d’Oman. Un bout de mer stratégique par où transite
30% de la production d’hydrocarbure mondiale. Un espace sur-militarisé et qui a
fait l’objet de conflits multiples au gré des aléas géopolitiques, des
alliances ou des guerres locales.
C’est dans ce lieu du monde aussi peu touristique que
possible, plongé dans un air brûlant, souillé de déjections multiples rejetées
par les vagues d’une mer qui dépose de traitresses boulettes d’hydrocarbure
venant se coller sous les plantes des pieds de celles et ceux qui oseraient
s’aventurer sur des plages désertiques que nous projette Jean Rolin.
Chez ce dernier voyager et écrire sont une seule et même
chose qui procède d’une observation minutieuse au point d’en devenir maniaque
voire obsessionnelle. Cela tombe bien puisque le narrateur qui ressemble fort
au journaliste grand reporter que fut Rolin est chargé de relater par le menu
les démarches entreprises par un certain Wax en vue de préparer – vainement ce
que l’on apprend dès le départ du livre – la traversée à la nage du détroit
d’Ormuz.
Un projet voué à l’échec par définition tant la navigation y
est intense et les dangers innombrables. Un projet devenant le prétexte à une
narration hyperbolique et d’un détail extrême de tout ce qui agite le détroit,
le surveille, le menace. D’un seul et même trait de plume, Jean Rolin se
déplace avec l’aisance d’un homme maîtrisant son sujet voguant de
l’ornithologie permettant de relater par le menu les mœurs des volatiles
vernaculaires, à la description presque documentaire des navires de guerre et
de leur classe d’appartenance tout en visitant scrupuleusement sur la terre
ferme les multiples installations militaires et portuaires où chacun s’épie
voire se menace.
Car, au-delà de ce qui tourne à un exercice de style parfois
lassant malgré la qualité réelle de l’écriture, ce sont bien les diverses
menaces qui planent sur ce bout de notre planète que tente de rendre l’auteur.
Des menaces que cristallise le désir de Wax de se lancer dans un défi auquel il
ne semble aucunement préparé lui qui oscille sans cesse entre forfanterie,
velléité et mensonges plus ou moins sévères. Car, à force de tout noter, de
tout visiter même les lieux les plus improbables quand ils ne sont pas de plus
les plus louches, le risque est grand de susciter curiosité et attention
malveillante de la part de ceux qui n’ont de cesse de tout surveiller.
Derrière ces descriptions qui tournent à l’overdose,
derrière cette folle traversée littéraire se cache aussi la dénonciation de la
folie des hommes, de leur agitation, de leur improbable capacité à faire d’un
enfer a priori inhabitable un lieu de vie hostile et menaçant pour eux-mêmes et
tout ce qui s’y aventure.
Etrange objet littéraire qui tangue entre la fascination
d’une obsession lancinante et la lassitude d’un lecteur qui a parfois
l’habitude de lire un guide de préparation à un voyage désespérant.
Publié aux Editions POL – 2013 – 218 pages