En cherchant des portraits de l’auteur sur le net, on
découvre que celle qu’elle appelle dans ce curieux et très intelligent recueil
la fille-livre, est une adepte des tatouages dont elle est recouverte depuis
l’âge de dix-huit ans. C’est d’ailleurs dans un salon de tatouage qu’elle
rencontra celui qui allait devenir son mari, tatoueur professionnel qu’elle
accompagne régulièrement.
Forte d’années d’observations et de rencontres surprenantes,
Héloïse Guay de Bellissen entreprend ici de nous démontrer que se faire tatouer
n’est jamais un geste innocent. Tatouer n’est rien d’autre qu’écrire une
histoire sur sa peau comme un écrivain écrit une autre histoire avec des mots
sur une feuille. Aussi convoque-t-elle une petite cohorte de personnages.
Quelques-uns sont historiques à l’image
de la jeune femme dont le magnifique portrait orne la couverture du livre (une
jeune fille qui fut enlevée par les Indiens à l’âge de sept ans, vendue et
élevée par une nouvelle tribu, tatouée selon leurs traditions avant que d’être
à nouveau libérée, contre son gré, par la cavalerie américaine des années plus
tard). Beaucoup sont des hommes et des femmes qui ne se connaissent pas et qui
ont tous franchi un jour les portes du salon de son mari pour une raison ou une
autre.
Quelques-uns, rares, se firent tatouer à l’insu de leur
plein gré comme dirait l’ami Virenque, après une séance de grosse cuite en
compagnie de géants maoris, tatoueurs eux-mêmes venus parler de leur métier à
un congrès international. La plupart choisirent de se faire tatouer, soit pour
effacer un précédent tatouage, héritage lourd d’un passé qu’il faut oublier et
refouler, comme ce taulard russe forcé de se faire graver une croix gammée pour
survivre en taule. Comme encore cette jeune femme, brûlée vive sur une place de
marché au Maroc, vivant depuis toujours sous des couches de vêtements
dissimulant son martyr et qui trouvera une véritable renaissance une fois ses
brûlures dissimulées par les tatouages qu’elle a choisis. Telle encore cette
autre femme venant tout juste de perdre un enfant mort-né dont elle eut juste
le temps de prendre les empreintes de pieds pour se les faire tatouer en forme
d’ange sur le corps.
Ce recueil superbement écrit regorge d’histoires
bouleversantes qui montrent, sans contestation possible, que les tatouages sont
nos histoires personnelles ou collectives.
Publié aux Editions Robert Laffont – 2019 – 175 pages