Le roman noir peut prendre de multiples formes. Derrière les pavés gorgés d’une langue hyperbolique et les scènes effroyables à la Ellroy peuvent se cacher des conceptions plus sobres. C’est ce parti qu’adopte clairement Alexandre Civico dans Atmore Alabama.
Un Français débarque dans une petite ville quelque part dans le Sud des États-Unis. Nous ne savons rien sur lui si ce n’est qu’il ne semble pas venu totalement par hasard dans cette bourgade sans perspective, brûlée par le soleil et où les principaux centres d’intérêts de la population masculine, outre les femmes, semblent être les armes à feu et la boisson dont on s’abrutit dans des bars crades.
Un tracé que semble emprunter à son tour ce Français sans nom, revenant fréquemment bourré d’alcool et de coups de virées imprudentes et sans but parmi les red necks qui le considèrent comme un étranger et le lui font payer au moindre prétexte. Ce seront trois femmes qui permettront à ce gars-là de comprendre vraiment ce qu’il est venu chercher dans ce monde qui ne semble pas vouloir de lui. Une serveuse dans un diner sans âme, une femme d’âge mûr qui lui servira de logeuse et une jeune femme vendant son corps et toutes sortes d’autres choses pourvu qu’elles soient illicites à qui a les moyens de se les offrir.
D’emblée, l’on comprend qu’une tragédie est en train de se jouer puisque le livre est organisé au sein de courts chapitres introduits sous la forme d’un compte à rebours en jours régulièrement bousculé par le surgissement d’un deuxième décompte des heures qui avancent au cours de la journée fatidique du dénouement.
Toute la force du roman tient dans cette construction soutenue par une langue aussi acérée que resserrée, presqu’étouffante, asphyxiant le lecteur comme l’environnement et le passé paraissent asphyxier les personnages. La fin, surprenante, donne la réponse à la raison de ce voyage dans l’enfer personnel de caractères qui ont tout des maudits de la terre.
Publié aux Éditions Actes Sud – 2019 – 145 pages