Rassemblant une compilation d’articles de chercheurs internationaux, ce riche fascicule vise à mettre au jour les raisons fondamentales qui ont porté un inconnu outsider au pouvoir de l’une des plus grandes puissances économiques mondiales. Vu de l’extérieur, il est sidérant de constater que le nouvel homme fort du Brésil est un ancien capitaine, chassé de l’armée après avoir menacé de faire sauter des bombes dans les casernes, élu député pendant 28 années durant lesquelles il s’est fait remarquer par la vacuité de ses contributions et la seule défense des intérêts partisans de ses anciens frères d’arme, un homme inculte, grossier, raciste et misogyne, dont chaque sortie constitue une nouvelle provocation contre la morale et les règles sociales élémentaires.
Les raisons de cette ascension sur lesquelles ces chercheurs s’accordent sans exception sont pourtant limpides. Au premier rang figure le naufrage collectif de la gauche. Un naufrage marqué par une série de scandales politiques mêlant affaires de corruption à grande échelle, règlements de comptes fratricides, procès politique de Lula, coup d’état ayant conduit à la destitution digne d’une opérette de la Présidente Dilma Roussef. L’interdiction faite à Lula de se représenter aux dernières élections un mois tout juste avant le premier tour laissa la gauche paralysée et ouvrit un boulevard à la droite. Un boulevard où s’engouffra Bolsonaro qui usa à outrance des réseaux sociaux pour diffuser fake news en tous genres et déstabiliser tous ses adversaires. Un boulevard qui s’élargit après la tentative d’assassinat à son encontre qui lui gagna sympathie et lui servit de prétexte pour refuser toute participation au moindre débat qui aurait révélé sa nullité absolue. Face à lui, la droite traditionnelle ne sut pas réagir et finit par se ranger derrière cet homme inattendu sorti vainqueur du premier tour. Une alliance rendue possible par la promesse faite à la bourgeoisie, qui vota massivement pour lui, et au monde de l’entreprise de casser l’État rendu responsable de tous les maux du pays, sauf pour ce qui est de la sécurité et de la lutte contre toute forme de délinquance. Le tout supporté par la puissante Église Évangélique qui prêcha outrageusement et sans vergogne pour un candidat disant vouloir faire de Dieu, la Famille et la Patrie la totalité de son programme…
Le résultat de cette élection est des plus catastrophiques pour le pays. La quasi-totalité des avancées sociales résultant de vingt années de lutte a été anéantie. L’école est placée entre les mains du privé. Les budgets pour l’enseignement ont été réduits à quasiment néant. Des parcs naturels et les fleurons de l’économie nationale jusque-là détenus par l’État sont cédés à des entreprises privées nationales ou étrangères. L’Amazonie est massacrée. Le droit des minorités bafoué, les révoltes écrasées dans la violence. Jamais le nombre de décès causés par la Police qui n’hésite pas à faire justice de manière la plus expéditive qui soit, n’a été aussi élevé. Le droit des femmes, des minorités est laminé. Le tout justifié par une prolifération de mensonges, d’accusations sans preuves rejetant toute responsabilité sur un ennemi : le monde occidental et le communisme, tout dans le même sac.
Face à la contestation internationale et du fait d’une gestion de la crise sanitaire désastreuse ayant fait du Brésil l’un des pays comptant le plus fort taux de décès pour cause de Covid-19, la position de Bolsonaro commence à être fortement exposée. Certains n’hésitent plus à parler ouvertement de destitution d’un homme qui sape les fondements de son pays. Après la défaite et la fin de règne honteuse de Trump sur lequel Bolsonaro s’est aligné, le risque est fort de voir l’armée, présente en force et à des postes clé au gouvernement, prendre le pouvoir et instaurer une nouvelle dictature militaire. Tout va dépendre de la capacité de la gauche à mettre de côté ses différends et à s’unir au sein d’un programme mobilisateur, tirant parti de l’état général de déliquescence néo-nazie dans lequel le pays est en train de s’enfoncer.
Un ouvrage essentiel pour comprendre, une fois encore, les dangers du populisme qui ronge une part de plus en plus importante d’un monde devenu aussi fou que suicidaire.
Publié aux Éditions Syllepsie -2020 – 165 pages