Décidément, l’espace romanesque ibérique regorge de talents littéraires contemporains. Javier Cercas s’impose, avec ce roman, comme l’un des auteurs contemporains espagnols majeurs avec Antonio Munoz Molina, Xavier Marias et Juan Manuel de Prada dont vous trouverez dans Cetalir divers ouvrages bloggués.
D’ailleurs, il est étonnant de retrouver dans ce roman certains points qui sous-tendent plusieurs des œuvres des auteurs cités ci-dessus.
Comme avec De Prada dans le superbe et extraordinaire roman « La vie invisible », comme avec Marias dans « Fenêtres sur Manhattan », un des personnages centraux est américain et les Etats-Unis et la langue anglaise y tiennent un rôle absolument majeur. Un rêve d’ailleurs qui chaque fois ne manque pas de tourner à une forme de cauchemar.
Comme avec Marias et Molina, Cercas nous invite à un voyage intérieur. Un itinéraire plein de doutes, d’erreurs, de renoncements. Un parcours chaotique et douloureux, indispensable à la construction d’un moi qui s’assume. Non la vie n’est pas un long fleuve tranquille et la sérénité à laquelle tout un chacun aspire ne peut éventuellement se conquérir qu’après avoir franchi une succession d’épreuves.
C’est ce qu’il advient à un jeune écrivain espagnol, qui pourrait bien être Cercas et qui écrit des romans dont les titres sont ceux de Cercas, qui, un peu par hasard, par facilité, se retrouve professeur vacataire d’Espagnol dans l’université de la ville typiquement provinciale américaine d’Urbana.
Il y fera la connaissance d’un étrange personnage, Rodney Falk, professeur lui aussi d’Espagnol. Un géant à la démarche incertaine suite à une blessure de guerre. Un vétéran du Vietnam qui vit en marge de ses collègues et de la société et que le narrateur va peu à peu apprivoiser. Jusqu’à nouer une solide amitié qui va durer plusieurs décennies par-delà l’espace, le temps, les circonstances et la mort.
Cercas nous donne à réfléchir, sans leçons, sans poncifs, par simple exposition narrative, avec beaucoup de pudeur, sans effets littéraires, en toute simplicité, sur les circonstances qui peuvent profondément altérer notre personnalité.
Falk ne s’est jamais remis de la mort de son frère Bob qui a sauté sur une mine au Vietnam. Comme il ne s’est jamais remis d’une fuite en avant qui l’a conduit à se porter volontaire dans un escadron d’élite. Un escadron de la mort qui a pillé, violé, tué par centaines femmes et enfants, laissant d’innocentes victimes expier pour l’ennemi invisible. C’est la folie meurtrière qui est alors mise en scène, la jouissance inénarrable à priver l’autre de sa vie, à se croire Dieu tout puissant que nous conte Cercas en nous faisant plonger dans l’enfer psychique qui ronge Rodney. Un enfer qui l’empêche de se reconstruire, d’assumer. Un enfer qui le conduit, sans but, sur la route à chaque fois qu’il est au bord de se réintégrer, toujours rattrapé par ses démons.
En parallèle, Cercas nous donne à réfléchir sur l’impact du succès, celui de ce jeune auteur qui, brutalement, va devenir un auteur reconnu, choyé, riche de retour en Espagne, sans signe annonciateur. De ce succès, il ne se remettra pas. Les traits jusqu’alors globalement enfouis de sa personnalité vont prendre le dessus : mari volage, homme à femmes, alcoolique, menteur… C’est un tableau peu reluisant qui nous est dépeint. Il y perdra tout sauf l’amitié de Rodney, essentielle.
Il faudra des morts, encore, violentes et non désirées pour ramener ceux qui se sont écartés du chemin, pour comprendre et donner un sens. La rédemption pourrait passer par là.
La vitesse de la lumière c’est l’instant où, alors qu’on n’y croit plus, que la vie s’est chargée de tout vous donner puis de bien vite tout reprendre, soudainement, par fulgurance, chaque événement majeur s’imbrique et prend un sens global à toute sa vie. Celui où l’on sait, ou croit savoir, ce qui vaut d’être fait. Celui qui remet en route.
Il existe dans ce roman une puissance psychologique, une rare pudeur, une honnêteté qui en font un de ces livres qui comptent, qui sortent du lot.
Alors vous savez quoi faire…
Publié aux Editions Actes Sud – 287 pages
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2 commentaires:
Bonjour, je vous rejoins dans le plaisir à lire ce roman qui parait (au début) ne pas être d'un abord facile et qui se lit avec intérêt. Encore une histoire qui sort de l'ordinaire. (voir mon court billet du 19/07/07)
Bonjour et merci pour votre commentaire.
Où pouvons-nous trouver votre billet svp ?
Bien cordialement,
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