Un bien joli titre pour un joli roman. Kader Abdolah est iranien d’origine. Physicien de formation, il émigre aux Pays-Bas en 1988 où il obtient le statut de réfugié politique. Il en apprend la langue rugueuse et commence alors à rédiger nativement en néerlandais plusieurs romans, dont « Le voyage des bouteilles vides ».
Ce roman traite du thème de l’exilé déraciné qui arrive dans un pays, en l’occurrence les Pays-Bas, pour fuir la terreur qui règne en Iran. Un roman autobiographique donc. Grâce à une langue très poétique, chantante comme le sont souvent les langues du Moyen-Orient, Kader Abdolah nous dépeint avec justesse et émotion la difficulté à s’acclimater quand il vous manque les mots, la structure grammaticale pour dire.
Dire fait aussi partie d’un apprentissage d’une nouvelle vie car, pendant des années, il a fallu se méfier et se taire, par peur des représailles.
S’intégrer dans un pays occidental, c’est aussi renoncer à une grande partie de sa culture, accepter l’émancipation de sa femme, ne plus voir en elle une sorte d’esclave domestique au service de son homme. C’est donc prendre le risque de voir sa compagne, entreprenante, moderne et libérée, vous échapper, et en tant qu’homme perdre son statut de dominant. Perdre tous ses repères, petit à petit.
L’auteur rend compte avec précision et un doigté sensible de l’écartement dans lequel l’émigré se trouve. Il perd sa culture, ses références, les contes et les traditions qui ont fait de lui ce qu’il a été, socialement intégré dans son pays d’origine. Pour autant, il lui faudra parcourir un long chemin avant de s’intégrer. Franchir le redoutable obstacle de la langue. Comprendre les règles du jeu occidentales en matière de communication et de sociabilité. Envisager la possibilité de l’homosexualité masculine en la découvrant littéralement à sa porte, chez son voisin immédiat.
Le voyage des bouteilles vides, c’est celui des bouteilles que chacun des hommes de la famille a remisées dans une cave, en-dessous de la maison familiale, depuis des centaines d’années. Des bouteilles qui portent la date à laquelle elles ont été ouvertes et en l’honneur de quoi. Pour conserver la mémoire des évènements familiaux, pour comprendre ce qui nous lie au passé et nous enchaîne à un futur que nous ne connaîtrons pas.
C’est celui aussi d’un alcoolisme occidental, un alcoolisme pour masquer la dépression de ceux qui vivent au coin de notre porte et que nous ne savons ni voir ni entendre. Un même objet pour décrire deux cheminements antinomyques.
Jamais le livre ne sombre dans le sordide. Il y a toujours un petit grain de joie, de poésie, de pensée différente qui nous permet de progresser dans la découverte d’un auteur à part, sensible, qui fait le pont entre deux cultures si différentes.
A découvrir.
Publié aux Editions Gallimard – 189 pages
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- Thierry Collet
- Cadre dirigeant, je trouve en la lecture une source d'équilibre et de plénitude. Comme une mise en suspens du temps, une parenthèse pour des évasions, des émotions que la magie des infinis agencements des mots fait scintiller. Lire m'est aussi essentiel que respirer. Lisant vite, passant de longues heures en avion, ma consommation annuelle se situe entre 250 et 300 ouvrages. Je les bloggue tous, peu à peu. Tout commentaire est bienvenu car réaliser ces notes de lecture est un acte de foi, consommateur en temps. N'hésitez pas également à consulter le blog lecture/écriture auquel je contribue sur le lien http://www.lecture-ecriture.com/index.php Bonnes lectures !