Les lecteurs assidus de Cetalir savent toute l’admiration que nous avons pour Pascale Kramer. Cette auteure puise son inspiration dans d’implacables surgissements dramatiques qui, tout à coup, font basculer des vies (cf « Les vivants » ou encore « Onze ans plus tard » par exemple). Autant de situations qui entraînent P. Kramer à plonger dans les ressorts intimes de ses personnages, à malaxer toutes les formes de désespoir, de lâcher prise dont résultent des existences le plus souvent vides, ratées à cause de mauvais choix. Autant de récits emprunts de drame, de tension et de tristesse qui sont le terreau de l’auteur. Il en résulte des livres intimistes et sombres mais formellement beaux.
Son dernier roman s’inscrit dans cette lignée à une nuance de taille près. Autant ses écrits précédents prenaient un point de vue egocentrique et introverti, autant « L’implacable brutalité du réveil » emprunte une forme plus classique dans laquelle les dialogues prennent une place inhabituelle dans la production de l’auteure. Voilà qui devrait lui amener un public moins averti d’autant que le livre est mince et se lit donc très rapidement.
C’est de dépression dont il est question dans le dernier roman de Mme Kramer. Plus exactement, du sentiment de vide, de ratage qui peut s’emparer de certaines femmes qui viennent d’accoucher et se trouvent confrontées à une nouvelle existence à laquelle elles sont incapables de faire face par inconscience ou manque de maturité, parfois.
Alissa et Richard forment pourtant un couple apparemment modèle. Ils s’aiment depuis neuf ans, passaient pour le couple le plus sexy du campus universitaire et sont mariés depuis peu. Alissa vient de donner naissance à Uma, une petite fille vorace, colérique et forcément possessive puisqu’entièrement dépendante.
De retour de l’hôpital, Alissa commence à tout remettre en cause, intérieurement du moins, sans jamais l’exprimer autrement que par des actes plus ou moins conscients dont la gravité et l’intensité vont aller croissant avec celles de la crise qui la secoue. Elle abhorre cet appartement pourtant doté d’une piscine extérieure sous les cieux propices d’un état américain ensoleillé. Elle ne comprend pas comment elle a pu se laisser aller à donner vie à une fille pour laquelle elle n’éprouve que ressentiment et détestation de plus en plus forte. Elle n’aime plus son corps qui s’est empâté et lui refuse toute sensation de bien-être. Avoir décidé d’arrêter de travailler lui apparaît depuis comme un non-sens, une alénation. La perspective de vivre toute sa vie avec Richard lui devient un cauchemar dont la réalité va augmenter au fur et à mesure que celui-ci, perturbé par le comportement inexplicable de sa femme et bouleversé par le retour de Jim, mutilé d’une guerre inutile dans un désert où il ne se passe rien, va lui aussi perdre pied.
A cela s’ajoute que la mère d’Alissa lui annonce le divorce d’avec son père, sa liaison décennale avec un Allemand et que la maison familiale, point d’ancrage solide et stable, sera vendue. Alors Alissa va « péter les plombs » et multiplier les attitudes d’exclusion et de rupture car il faut bien chercher inconsciemment à légitimer in fine, rationnellement, une suite d’actes insensés qui ne peut conduire qu’au drame.
P. Kramer excelle à créer en quelques pages un univers d’autant plus dramatique que la normalité devient l’inexplicable, puis l’inexcusable, pour celles et ceux qui sont extérieurs aux tensions, aux pulsions, aux phobies qui agitent les personnages tourmentés qui peuplent ses romans. Pourtant, nous avons trouvé ce livre significativement moins réussi que les précédents comme s’il manquait une certaine lenteur, un facteur temps qui aurait donné plus de densité et d’impact encore à ces vies qui vont inexorablement se broyer.
Publié aux Editions Mercure de France – 2009 - 141 pages