25.6.10

Le monde est une fable – José Jimenez Lozano

Clémence et Constance sont deux octogénaires jumelles, « augustiniennes, démocrates, républicaines, anarchistes et réactionnaires », comme elles aiment à se définir elles-mêmes. Des sacrées mamies qui ne s’en laissent pas compter et sont prêtes à sacrifier patrimoine et réputation pour défendre la veuve et l’orphelin.

D’une culture livresque, elles se délectent à user de périphrases et à s’exprimer en latin pour mieux clouer le bec à celles et ceux qui tenteraient vainement de leur en remontrer. Un latin qui va servir un curieux objectif un rien insidieux, visant à déstabiliser l’Etat, rien de moins !

Parce qu’elles rêvent de rouler en décapotable, parce que la vie vaut toujours le coup d’être menée quand le grand âge arrive, parce qu’il faut en remontrer à ces incultes qui échouent et se laissent intimider, elles décident de concourir à un stupide jeu télévisé, sur le thème du roman policier, dont elles sont des spécialistes averties.

Vous l’aurez compris, Lozano nous emmène dans un roman assez loufoque, dans la grande tradition de la créativité, de l’humour et de la dérision ibériques. Un roman un peu désordonné, tiraillé entre plusieurs histoires parallèles, parfois un peu confuses, tout de même.

A travers ces deux dames que nous nous prenons à aimer, ce sont les limites de notre société contemporaine qui sont battues en brèche. Une société policée, surveillée et qui voit le mal plus vite qu’il n’arrive. Une société, tout de même, où une génération, encore, sait céder à la supériorité de l’intelligence et de la culture, au-delà de la bêtise normalisée qui tend à devenir la règle.

Tout le monde en prend pour son grade : le clergé, dépassé par l’évolution des mœurs, l’armée, représentée par un Gouverneur guindé mais au fond au bon cœur. Un gouverneur qui n’hésitera pas à donner ses meilleures couvertures militaires à un petit groupe de marginaux démunis, sur la pression insistante de nos vieilles dames.

La police, aussi et surtout, qui voit le mal là où il n’est pas et engendre, par sa suspicion, déviance, malveillance et rébellion.

Le tout un chacun enfin qui se laisse promener par un perroquet factice, agité au bout d’une corde, dans sa cage, depuis le balcon des vieilles dames, dès qu’un mouvement de foule menace de mal tourner.

Bref, voici un roman assez décapant, amusant et qui sort absolument des sentiers battus.

Toutefois, Lozano n’a pas la plume suffisamment alerte et caustique pour faire de cette œuvre originale un chef-d’œuvre absolu. Il y manque une certaine linéarité et, à force de trop vouloir en faire, le lecteur finit par ne plus trop savoir quelle direction prend le livre. On passe un bon moment cependant, ce qui n’est déjà pas si mal.

Publié aux Editions Flammarion – 212 pages