21.11.10

Apocalypse bébé – Virginie Despentes


Première rencontre littéraire pour moi avec la sulfureuse Virginie Despentes, connue pour ses romans au vitriol, aux relents de sexe brutal, écrits avec une plume trempée dans l’acide et la destruction d’un viol qu’elle a subi à l’âge de dix-sept ans. Ouvrir un bouquin de cette auteur, c’est donc accepter un parti-pris qui dérange, une vision du monde quasi nihiliste, noire, genre « no future ».

« Apocalypse bébé » ne déroge pas à la tradition et balance une grande claque dans la gueule de ses lecteurs. Il semble bien que Madame Despentes ait ici encore décidé de régler ses comptes avec la société moderne – et en particulier française – bien-pensante. Une société dont il n’est pas difficile de comprendre que, pour elle, elle ne peut être que vouée à l’auto-destruction, minée de l’intérieur par l’hypocrisie et une pourriture de l’âme.

Pour cela, elle recourt à un style d’une extrême violence, mélange inhabituel de français littéraire (assez peu en fait), d’argot, de jargon des banlieues et d’une complaisance crue lorsqu’il s’agit de mettre en scène des moments d’actes sexuels dans toute leur perversité car, dans son esprit, le sexe semble bien ne pouvoir qu’être violent, pornographique et infâmant. D’ailleurs, grande militante de l’homosexualité féminine, seules les lesbiennes trouvent grâce malgré le déchainement de partouzes dans lesquelles Fellini aurait figure de petit garçon.

Drôle de titre cependant pour ce roman qui tue. Mais enfin, passons. Là n’est pas l’essentiel. Ici, on entre à pieds joints dans le monde de la loose, derrière la façade apparente des choses.

Despentes nous projette sans précautions, de plein fouet, dans un road-movie putride entre Paris et Barcelone. Une sorte de thriller social à la recherche d’une adolescente, Valentine, de quinze ans brutalement disparue sans laisser de traces.

Voilà des années que Valentine en faisait voir de toutes les couleurs à son père romancier connu mais auteur de livres au style et aux thèmes décalés, tendance chrétienne de droite, et à sa belle-mère, mal dans sa peau, larguée. Une adolescence trash, avec sexe à gogo et de préférence crade, usage de drogues de plus en plus dures, scènes familiales violentes avec un père dépassé, incapable d’exprimer son amour filial et une belle-mère honnie parce qu’elle a pris la place d’une mère qui s’est enfuie sans un mot et sans jamais donner signe de vie alors qu’elle avait un an.

Pour la retrouver, Lucie, la détective sur le coup, la quarantaine, déprimée, moche, spécialiste des filatures d’adolescents dans les quartiers bourges va faire équipe avec la Hyène. Une fille énigmatique, capable d’une violence physique et psychique incroyable, lesbienne tendance dure, au passé trouble. Un duo fascinant et qui constitue la grande réussite de ce livre parce qu’il a d’improbable et de dérangeant.

L’enquête nous fait descendre dans les bas-fonds de la société. Plus on avance dans le récit, plus V. Despentes nous confronte avec l’intimité de chacun de ses personnages. Une intimité peu reluisante, faite de compromissions, de dépravations et dans laquelle la sexualité joue une place d’autant plus omniprésente qu’elle est a-normale. Chaque personnage est le témoin inconscient d’une société qui se désagrège sous les coups de butoir d’une banlieue qui vit en marge et selon ses propres règles, d’un usage des stupéfiants qui détruit les élites, de la recherche permanente d’une satisfaction individuelle au mépris des intérêts familiaux ou sociétaux. Un monde totalement pourri et où il ne faut pas se fier aux apparences.

Il faudra donc voir la fin surprenante et inattendue comme la parabole de la pensée subversive de l’auteur pour laquelle notre monde semble définitivement condamné.

Un livre qui s’impose à tout lecteur voulant faire connaissance avec un auteur à part dans le paysage littéraire actuel.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 343 pages