Décidément, la production d’Agnès Desarthe a quelque chose d’irrégulier. Nous avions été sur notre réserve avec « Le principe de Frédelle », emballé avec « Un secret sans importance » et serons partagé sur « Cinq photos de ma femme ».
Dans ce roman, publié en 1998, c’est au thème de la vieillesse, du soir de la vie, des souvenirs, du sens donné à ce qui a été vécu et qui reste à trouver à une courte période encore à vivre, que la romancière s’attaque.
Pour Mathusalem, rebaptisé Max à son arrivée un peu obscure en France, juif russe chassé au temps des pogroms, le temps a bien du mal à couler depuis que son épouse, Telma, est décédée.
Telma l’obsède et l’observe à distance, par la puissance de la pensée, des bons et des moins bons souvenirs. Telma fut entreprenante, ce fut même elle qui prit l’initiative de séduire Max, après la guerre, une fois son premier mari disparu.
Telma fut souvent, aussi, irritante, distante, tranchante et empêcha bien souvent Max de poursuivre la voie qu’il aurait aimé prendre. Il voulait être chauffeur de locomotive, il fut ouvrier d’entretien de machines textiles, dans la même entreprise que sa femme parce que celle-ci l’a voulu et qu’elle détestait prendre le train.
Alors Max s’ennuie. Ses enfants sont partis vivre à l’étranger, au Japon et en Bolivie. Il ne les voit jamais et correspond régulièrement avec eux pour raconter avec cet humour juif russe un peu sarcastique et amer ses petites et grandes pré-occupations. Max est pris d’une idée bizarre : il décide de faire réaliser un portrait posthume de son épouse par un artiste peintre. Comme il n’en connaît aucun, il part à la quête via les pages jaunes.
Commence alors un périple qui l’amènera à rencontrer un artiste irlandais qui réalise une fresque pour la ville de Caen, ne prend jamais de commande de particulier et vit avec une femme séduisante et charmante malgré un visage totalement ébouillanté.
Il rencontrera aussi une artiste qui n’en a que le nom, mère élevant seule ses deux enfants, sans revenus, dépressive et qui va se jeter sur cette commande avec une folie et un manque de talent sans commune mesure.
De fil en aiguille, par le fruit du hasard ou des commentaires qui circulent au sein de son club de bridge, Max va faire des rencontres inattendues. Celle d’un couple non sexuel d’étudiants des Beaux-Arts, timides, craintifs. Elle est peintre, lui passionné de vidéo. Max devra se raconter, sans fil, pour obtenir le tableau attendu.
Max se fera aussi happer par une voisine de plus de soixante dix ans, encore verte, et qui rêve de réaliser ce portait contre une nuit d’amour torride.
Bref, au fil des rencontres, c’est la vie de Max qui se repasse, les souvenirs qui viennent ponctuer des situations cocasses, une stratégie défense qui a fait ses preuves face aux Russes, aux allemands et à Telma.
Telma qui est omniprésente, Telma qui commente à distance ses faits et gestes, Telma qui le hante et dont il n’arrive toujours pas à se défaire.
C’est une forme de parcours expiatoire que suit Max, un parcours pour purger ses angoisses, ses regrets. Un parcours pour se défaire d’une épouse morte et encore encombrante. Un long chemin tortueux pour enfin décider seul de ce qu’il veut vraiment faire.
Le livre est habile, bien construit, souvent auto-dérisoire. Pourtant, il manque un allant, une pointe de folie pour en faire un livre qui sorte vraiment de l’ordinaire. On s’y ennuie un peu, au fond, comme Max dans sa vie.
Publié aux Editions de l’Olivier – 189 pages