10.12.10

En attendant la montée des eaux – Maryse Condé


Maryse Condé est l’auteur d’une œuvre riche et prolifique, récompensée des Prix de l’Académie Française et Marguerite Yourcenar. Née à Pointe-à-Pitre, elle fait partie de ces auteurs qui constituent le fer de lance littéraire des DOM-TOM.

« En attendant la montée des eaux » est un roman foisonnant et sombre, une allégorie moderne et actuelle sur tous ces maux qui frappent les pays laissés pour compte par les puissances occidentales quand elles n’ont plus aucun intérêt à s’en préoccuper, y ayant exploité tout ce qui pouvait l’être et les laissant retomber dans le chaos qui semble les caractériser dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes.

Sombre, le récit l’est car il nous emmène dans tout ce que le monde connaît de conflits provoqués par la misère, l’intolérance religieuse, le racisme et l’ostracisme constamment entretenus par une soif inextinguible de pouvoir qui donne à ceux qui l’arrachent, souvent par la force et dans le sang, les moyens de s’arroger une toute-puissance et par conséquent la volonté de s’y maintenir à tout prix au mépris des conventions ou des résultats démocratiques.

Ce monde de violence, de meurtres et de viols, de guerres civiles incompréhensibles, d’exclusion et d’arrogance, de stupidité et de lucre, nous allons le traverser en suivant l’histoire de trois hommes qu’a priori rien ne prédestinait à faire un bout de route d’infortune en commun.

Tout commence lorsque Babakar, médecin accoucheur, originaire de Guinée et vivant à Pointe-à-Pitre décide de recueillir la petite fille que la jeune Reinette vient de mettre au monde au prix de sa propre vie. Au mépris des lois et des liens du sang, une force irrésistible, un appel venu de l’au-delà l’enjoignent de s’en déclarer le père en même tant que la parturiente mourante lui arrachera la promesse de remettre l’enfant à sa sœur dont il ne sait rien.

Commencera un long périple au côté de Movar, l’Antillais inculte mais qui a le don de savoir écouter et transformer la moindre parcelle de terre en un jardin d’Eden, puis de Fouad, le Palestinien réfugié au Liban et qui ne cessera de parcourir le monde au fur et à mesure que la folie des hommes détruira ce qu’il essaiera vainement de construire.

Chacun de ces hommes va se mettre à nous conter son histoire, celle qui l’a arraché à ses racines, coupé de sa famille souvent exterminée sous ses yeux, poussé à mener une vie d’errance et de doutes. Car à chaque fois qu’une éclaircie apparaissait et laissait croire à la fin des maux, une révolution ou une nouvelle guerre ramenaient à néant tout espoir, enlevant les épouses ou les maîtresses de ces hommes apatrides et donc, premières victimes expiatoires d’une folie qui a besoin de support à son exutoire.

Fort heureusement, la langue magnifique et colorée de Maryse Condé sait éviter l’écueil du pathos pour faire de chacune de ces épopées un témoignage vivant et traversé de rires d’un tragique qui ne cessera jamais. Chacun de ces hommes semble frappé d’une éternelle malédiction car, les femmes qu’ils aiment, les édifices qu’ils érigent, les systèmes qu’ils mettent en place, au total service des autres, tombent bien vite en poussière, mirages vite disparus d’un futur qui aurait pu être radieux.

Le livre nous mènera ainsi de la Guinée au Liban en pleine guerre civile, des Antilles à Haïti où le récit s’achèvera en forme de paroxysme, au moment du tremblement de terre de Janvier 2010, symbole en soi de la malédiction qui semble poursuivre les déshérités. Un livre puissant, à conseiller sans hésitation.

Publié aux Editions JC Lattès – 2010 – 364 pages