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Publié en 1992, ce roman est donc plus ancien que le superbe « Avec vue sur le royaume ». Cette antériorité se manifeste d’ailleurs par un style plus lâche, une écriture simple et une trame moins élaborée que dans les romans plus tardifs.
Mais l’inventivité, l’originalité, la moquerie sont déjà là et Gattégno possède un incomparable talent pour s’emparer de son lecteur, le fondre dans l’univers qu’il a spécialement conçu à cet effet.
Le personnage principal du roman, malgré les apparences, va se révéler comme une sorte d’archétype de l’anti-héros. Michel Durand est analyste. Il gagne sa vie (très bien) en écoutant passivement ses patients et ses patientes lui confier sans pudeur, les fantasmes, les pulsions, les frustrations dont ils sont victimes. Gattégno fait défiler une galerie de personnages névrotiques assez hilarante et représentative d’une société au bord du malaise.
A la base de la psychanalyse se trouve la distanciation entre le patient et le médecin qui ne doit pas former de jugement, rester neutre, tout en accompagnant son patient dans la recherche et la compréhension de son moi.
Or, c’est cette neutralité que Durand va perdre en acceptant d’être l’analyste d’un patient bizarre, inquiétant et de plus en plus manipulateur.
Un patient qui va s’appliquer à semer le doute en lui, à détruire le fragile équilibre du médecin, divorcé, victime de problèmes d’argent, obnubilé par un appartement de prestige décoré comme dans une revue spécialisée, poursuivi par ses créanciers et follement tenté par ses patientes ou collègues superbement sexies. Un patient qui va se jouer de lui pour, à son tour, plonger Michel Durand dans une descente alambiquée, rocambolesque et haute en couleurs et en surprises dans la compréhension d’un moi fort malmené. Une psychanalyse à distance et par tiers interposé, orchestrée par un manipulateur prévoyant, déterminé et implacable.
A tel point que Durand finira par détester son patient et perdre la lucidité et le recul dont il ne devrait pas se départir. Et le piège va se refermer…
L’imagination dont fait preuve Gattégno est incroyable. Nous allons de rebondissements en rebondissements, chaque épisode étant un prétexte pour se moquer gentiment de l’establishment, de la psychanalyse et de ses codes. On sourit souvent et prend plaisir à suivre une histoire abracadabrante dans laquelle tout le monde manipule tout le monde au mépris des règles de conduite et de déontologie.
Certes, la fin devient prévisible même si elle réserve une ultime surprise. Certes, l’écriture manque de force et le copinage du roman noir léger et des scènes un brin érotiques frôle parfois le style Arlequin, ce qui est le point le plus faible de ce roman.
Mais on pardonne à Gattégno qui sait si bien nous captiver et nous amuser. Et puis, c’était pour préparer d’autant mieux les livres du même auteur, plus aboutis, à venir.
Publié aux Editions Calmann-Lévy – 237 pages