Entrer dans un roman de la spécialiste du polar qu’est Fred
Vargas c’est prendre deux risques : celui de se confronter à la plus
totale invraisemblance, ce qui fera fuir les rationnels, et celui, pour les
fans, de ne pas lâcher le roman trop désireux de savoir où nous mènera une fois
de plus la romancière inventive. C’est
une limite quasi endogène du style Vargas.
L’auteur aime camper très vite son action et ce n’est pas la
séquence introductive à la fois troublante et tendre d’un meurtre à la mie de
pain qui va faillir à la tradition. Pour l’éternel commissaire Adamsberg, venu remplacer un collègue
grippé, ce qui a tout l’air d’être la mort naturelle d’une vieille dame a des
relents de vengeance assouvie de manière presque virtuose par un petit vieux
cruciverbiste chevronné et fatigué de sa bonne femme maniaque. Il ne mettra pas
longtemps à démasquer celui qui aura pourtant imaginé une mise en scène quasi
imparable. Le ton est donné et notre flic qui fonctionne à l’instinct, sans
méthode n’a pas perdu la main.
Mais, l’action commencera vraiment lorsque une improbable
provinciale, la mère Vendermot, sortie pour la première fois de sa vie de sa
Normandie profonde, viendra le trouver pour lui dire que sa fille vient de voir
passer l’Armée Furieuse et que quatre autochtones vont y laisser leur vie et
leur âme. Une armée surgie tout droit du XIème siècle, faite de seigneurs et de
fantômes qui se promènent nuitamment sans cesse dans le Nord de l’Europe sur
des petits chemins frappant régulièrement de morts violentes et moyenâgeuses
ceux qu’elle aura fait désigner par un tiers seul capable de voir passer la
cohorte et ses victimes prochaines. Un conte à dormir debout suffisamment tordu
pour qu’Adamsberg décide d’aller y jeter un œil.
Commencera alors une longue et double enquête. D’un côté,
celle d’un incendie de voiture dans lequel un riche industriel s’est fait
carboniser et où le coupable désigné d’avance ne pourra pour Adamsberg en aucun
cas être celui que l’on croit. De l’autre, celle d’une série de meurtres
atroces sur des personnages peu reluisants de ce petit village normand secoué
par bien des jalousies et des secrets enfouis que le commissaire entend bien
remuer pour arriver à ses fins.
Vargas aime à nous décrire à sa façon notre société
décadente. Dans ce commissariat parisien écrasé de chaleur et de relatif ennui,
il semble qu’on ait entassé tout ce que l’institution compte de flics
improbables : un inspecteur frappé de la maladie du sommeil, un commandant
alcoolique et hypermnésique, une géante capable de la plus grande douceur comme
d’une rapidité d’action foudroyante n’en sont que quelques exemples. Quant au
village, ce n’est guère mieux. La famille Vendermot concentre des individus
hors du commun dont l’étrangeté ne peut que les frapper d’ostracisme et le
village semble placé sous la double autorité d’un vieux comte au bras long et
d’un capitaine de gendarmerie incompétent, guindé et descendant d’un Maréchal
d’Empire.
C’est ce mélange des genres et des figures hautes en couleur
qui fait le principal intérêt d’un roman dont le glauque fait appel à la peur et
l’inconscient collectifs, à un mélange explosif et nauséabond de vieilles
croyances et de dissimulations propres à déclencher tous les excès dont,
quelqu’un forcément, a tout intérêt à tirer parti. C’est cela qu’Adamberg,
agissant sur des coups de tête, des fulgurances, des impressions, jouant sans
cesse avec les règles et les lignes finira bien entendu par démasquer.
Tout cela est bien fait mas véritablement trop
invraisemblable pour emporter une adhésion sans réserve. Seuls, sans doute, les
aficionados de Vargas apprécieront…
Publié aux Editions Viviane Hamy – 2011 – 427 pages