Plonger dans ce
roman épais, bouillonnant, à la fois épique et poétique, c’est aussi réaliser
la difficulté de vivre en Angleterre, en plein XVIIème siècle, sous le règne
mouvementé de Charles 1er et la révolution de fanatisme religieux
fomentée par Cromwell qui s’en suivra.
Un monde où
voyager n’est jamais sûr car on y est à la merci des moindres brigands de grand
chemin. Où se nourrir si l’on n’appartient pas à un Seigneur de quelque
prestance reste une épreuve. Où les intrigues peuvent faire et défaire les plus
grands et leurs suites. Un monde où la guerre ravage tout sur son passage,
régulièrement, dévastant cultures, propriétés et humanité. Un monde où la
sorcellerie se mêle intimement à la religion, où le fanatisme et l’extrêmisme
mènent aux pires excès et humiliations. Un monde où passer de vie à trépas est
simple, fréquent, presque anodin tant les menaces sont constantes et
omniprésentes.
Dans ce monde
plus tout à fait moyenâgeux mais pas encore moderne (bien que le fanatisme
religieux d’alors ne manque pas de rappeler celui qui sévit de nos jours du
côté du Moyen-Orient), existent cependant des disciplines élevées au rang d’art.
Des savoir-faire, objets des plus grands secrets, d’une transmission
jalousement contrôlée, d’une amélioration lentement élaborée et souvent
résultant du génie d’innovateurs ; des métiers et des voies qui
différencient l’homme des bêtes, qui l’élèvent au-dessus de la masse au
comportement encore grossier.
Parmi ces arts,
Lawrence Norfolk choisit de construire son roman sur celui de la cuisine. C’est
le jeune John Saturnal qui en sera le porte-parole, l’acteur, l’auteur et la
victime, immergé dans un monde fou, obscur, souvent obscurantiste aussi, donc
éminemment dangereux.
Chaque chapitre s’ouvre
sur une recette imaginée par celui qui deviendra une star de l’époque en matière
de cuisine, John Saturnal. Un prétexte pour annoncer la partie de l’histoire
qui va suivre et qui nous entraînera tout au long de la vie de John. Celle d’un
enfant pauvre, élevé par une mère seule un peu sorcière car elle est aussi
guérisseuse. Celle d’un enfant obligé de vivre dans les bois avant que d’être
expédié de force dans le château dont il dépend et où son destin en sera
bouleversé.
Tout est là pour
faire de ce roman un livre goûteux, savoureux, dodu et mitonné à souhait :
passions amoureuses, virements de sort, intrigues, jalousie, amitié, guerres,
fanatisme, poésie, courage …. Si vous aimez les livres qui ont du souffle,
voilà qui est pour vous. D’autant que l’écriture (et la superbe traduction) en
est très soignée.
Certes, à force
de détails historiques (car l’auteur s’est fort documenté et maîtrise son
sujet), de foison de personnages, de références à des situations qui parlent
peu à un public non anglais, on se perd parfois un peu et l’attention bat, ici
ou là, de l’aile. Mais de façon générale, voici un livre qui sort de l’ordinaire
par son propos, son originalité et les risques pris à son élaboration et sa cuisson, celles d’une succession royale de
plats richement mis au point.
Publié aux
Editions Bernard Grasset – 2014 – 464 pages