Rarement, je me
trouve quelque peu désemparé face à un livre dont j’ai prévu de faire l’analyse,
exercice salutaire auquel je me livre depuis plus de huit ans maintenant au fil
des milliers d’ouvrages qui me sont passés entre les mains. C’est pourtant le
sentiment face auquel je me trouve une fois refermé cet étrange roman d’Isabelle
Coudrier.
Reconnaissons d’abord
que l’auteur sait créer un climat bien typé et nous plonger dans un microcosme
clos et de plus en plus étouffant avec un savoir-faire certain. Ce climat c’est
celui dans lequel évoluent quatre jeunes gens dont nous allons suivre la vie
sur une quinzaine d’années. Une fratrie faite de deux frères, Quentin, être
inaccessible, retiré en sa beauté irradiante mais jamais décrite,
supérieurement intelligent et à qui semble tout réussir ; Raphaël, le
cadet, cachant ses blessures derrière une façade de boutades et de séduction
sans suite ; Delphine, la petite dernière, discrète, la confidente du
groupe. Une fratrie complétée par la petite voisine, à peine plus âgée que
Delphine, Natacha, fille unique d’un couple d’enseignants et amoureuse folle de
Quentin depuis le premier jour.
La fratrie vit
depuis toujours sans leur mère déclarée morte dans un accident de voiture
alors, qu’en fait, un drame que nous allons découvrir au bout d’une centaine de
pages s’est déroulé dans leur plus tendre enfance, créant un environnement de
mensonges connu de toute la ville alsacienne dans lesquels les jeunes évoluent
mais pas d’eux-mêmes, pourtant directement intéressés.
Les bachots
passés comme de simples formalités, voici les quatre jeunes gens cohabitant
dans un grand appartement parisien situé dans un quartier où personne pourtant
n’habite. Quentin a toujours voulu être médecin et, en leader incontesté du
groupe, a implicitement décidé Raphaël et Natacha à entreprendre les mêmes
études de médecine tandis que Delphine se résigne à étudier l’Anglais, pour
plaire au père qui ne rêve que d’enseignement supérieur, alors que son rêve à
elle serait d’être boulangère. Et puis, un jour sans crier gare, Delphine
disparaîtra à son tour et à tout jamais.
Isabelle Coudrier
explore ici trois thèmes essentiels sans toutefois aller jamais au bout. Celui
du mystère de l’enfance et de la difficulté à trouver ses marques d’adultes
quand on vit depuis toujours ensemble au point de former une quasi-fratrie mais
marquée de non-dits, de dissimulations implicites pudiquement ignorées alors qu’elles
créent une atmosphère lourde et peu propice à l’épanouissement.
Thème du
mensonge, omniprésent, entre les véritables circonstances de la mort d’une mère
et de la découverte brutale, impréparée de la réalité par chacun des membres, à
tour de rôle, sans qu’ils n’en parlent jamais aux autres, contribuant ainsi à l’élaboration
d’une situation à la tension insoutenable.
Thème de la
disparition, de la mère, morte, du père se réfugiant dans son travail et n’échangeant
pas trois mots avec ses enfants, des parents de Natacha résignés et sans doute
bien contents de se décharger de leur fille envers les Erschen malgré l’inquiétude,
jamais traitée au fond, que leur inspire la passion unilatérale de Natacha pour
Quentin, puis de Delphine, qui s’évapore sans crier gare.
Thème des amours
impossibles, ferment de tous les drames en préparation, enfermant les
protagonistes dans des schémas de vie ruinés, les poussant au désespoir s’ils
ne trouvent pas la force de sortir d’une spirale destructrice.
Surtout, c’est de
passer à côté de sa vie dont il est fondamentalement question ici tant l’existence
quasi monacale dans laquelle ces jeunes adultes s’enferment, dans une chape de
mensonges, de faux semblants et de non-dit est lourde. Pour en sortir, il n’y a
que la fuite ou le courage d’assumer ses vrais sentiments ou ses rêves.
Isabelle Coudrier ne nous donnera la clé que pour deux des personnages, nous
laissant dans le questionnement pour les deux autres.
Face à cette
complexité (non directement apparente lors de la lecture mais évidente a
posteriori), pourquoi des réserves, donc ?
Et bien parce
que, par deux fois au moins, on s’attend à ce que le roman prenne un nouveau
chemin. Lors de la révélation des circonstances de la mort de la mère, puis,
lors de la disparition de Delphine. Mais non, rien, si ce n’est des vies qui se
résignent de plus en plus, se nécrosent dans un climat de plus en plus
insupportable. Il y a comme une prédétermination à vivre dans la fatalité, une
résignation à passer à côté de sa vraie vie tout en développant un système d’apparences
qui ne trompent que celles et ceux qui les créent. On est surpris de ces coups
de théâtre et encore plus de l’absence de réactions qu’ils entraînent.
Ensuite, et
surtout, parce que l’écriture est d’une platitude et d’une banalité navrante.
Certes, on peut y voir là un système renforçant le malaise qu’inspire ce livre.
Mais fallait-il inonder le récit de lieux communs, de dialogues d’une vacuité
désespérante ?
Enfin parce que
la fin était prévisible. Tant qu’à n’apporter aucune réponse, le roman aurait
peut-être gagné à laisser planer le doute sur le sort de Quentin, cet ange
troublant et froid, si peu vivant, pour lequel on ne peut qu’éprouver à la fin
de l’antipathie pour le mal qu’il crée, volontairement ou non, autour de lui.
Pourtant, ce
roman sut trouver son public et gagner une certaine reconnaissance. Le mieux
sera de vous en faire votre propre opinion même si, pour ma part, je le range
plus dans la catégorie des dérangeants que des indispensables.
Publié aux
Editions Fayard – 2013 – 401 pages