En recueillant le témoignage et les souvenirs du jeune
Valentino Achak Deng, Dave Eggers a construit un roman d’une force
incontestable pour dénoncer l’absurdité et l’atrocité de génocides qui taisent
leurs noms au Sud Soudan.
Valentino fait partie de ces dizaines de milliers de membres
de peuplades minoritaires que le régime de Karthoum a décidé alternativement
d’éradiquer ou de contraindre à se déplacer, loin au Nord vers l’Ethiopie ou le
Kenya. Victimes des raids meurtriers des cavaliers arabes et musulmans, ces peuples
chrétiens et catholiques furent sauvagement abattus, les bébés découpés et
jetés au fond des puits, les femmes violées avant que d’être atrocement tuées,
les jeunes filles enlevées pour devenir esclaves et être revendues à de riches
négociants arabes à la solde du pouvoir.
Valentino, doté d’une force de caractère hors du commun et
d’une intelligence exceptionnelle, eut la chance d’en réchapper, de justesse à
de multiples occasions. Il parvint après des années de fuite ponctuée d’esclavage jusqu’au
gigantesque camp au Kenya où il séjourna une dizaine d’années, sans quasiment
aucun espoir d’en sortir avant que de faire partie des ultimes jeunes orphelins
ou coupés de leurs familles sélectionnés par l’ONU pour partir principalement
aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie.
La vie de Valentino est un véritable roman, une épopée
moderne sous forme d’illustration vivante de ce que notre monde sait réserver
encore de pure brutalité, de racisme, d’ostracisme, de déchainements de
violence sous toutes ses formes. Dave Eggers sait en tirer partie avec force et
habilité en faisant alterner les chapitres qui se déroulent à Atlanta, ville où
Valentino aura trouvé refuge, bien des années plus tard, et la genèse de son
terrible périple à travers des contrées livrées aux bandes armées et aux
animaux sauvages.
Un témoignage pour dire aussi qu’une violence en remplace
une autre car la vie de Valentino est loin d’être rose une fois émigré aux USA.
Le livre s’ouvre d’ailleurs sur une scène d’une rare violence, qui donnera le
ton à tout le livre, qui voit notre homme se faire cambrioler sans vergogne,
après avoir été lynché, bâillonné et ligoté, livré à la garde d’une enfant qui
n’a d’autre cure que de le faire se taire pour regarder la télé sur le poste
que les adultes auteurs du rapt vont embarquer un moment plus tard.
On comprendra tout au long des chapitres que la violence physique,
psychologique et morale est sans doute tout aussi importante pour cette
communauté de quelques milliers de Soudanais émigrés aux USA, incapables de
s’adapter, jaloux les uns des autres, marginalisés par une société qui les
tolère tout juste, que celle dont ils furent victimes dans leur pays natal.
Pourtant, ils durent y affronter les assassinats de leurs
familles commis sous leurs yeux, les lions qui emportaient et dévoraient leurs
compagnons de route et d’infortune, l
soif intense des déserts, les soldats qui les pourchassaient pour les massacrer
ou les enrôler de force, les camps qui les plongeaient dans la plus absolue
nécessité et pauvreté.
Malgré cela, Valentino sut garder l’espoir, se reconstruire
avec difficulté, sa fiancée soudanaise, rencontrée dans le camp et retrouvée
par miracle aux USA, devenant la victime expiatoire de la folie des hommes
pourchassés par leurs démons, et parvint à s’intégrer. A la tête d’une
fondation, il œuvre à la réconciliation et à l’intégration de ces hommes et femmes
qui ont tout perdu.
Il en résulte un livre d’une incroyable portée, justement
récompensé par le Prix Médicis Etranger 2009.
Publié aux Editions Gallimard – 2009 – 627 pages