27.9.14

Le Grand Quoi – Dave Eggers


En recueillant le témoignage et les souvenirs du jeune Valentino Achak Deng, Dave Eggers a construit un roman d’une force incontestable pour dénoncer l’absurdité et l’atrocité de génocides qui taisent leurs noms au Sud Soudan.

Valentino fait partie de ces dizaines de milliers de membres de peuplades minoritaires que le régime de Karthoum a décidé alternativement d’éradiquer ou de contraindre à se déplacer, loin au Nord vers l’Ethiopie ou le Kenya. Victimes des raids meurtriers des cavaliers arabes et musulmans, ces peuples chrétiens et catholiques furent sauvagement abattus, les bébés découpés et jetés au fond des puits, les femmes violées avant que d’être atrocement tuées, les jeunes filles enlevées pour devenir esclaves et être revendues à de riches négociants arabes à la solde du pouvoir.

Valentino, doté d’une force de caractère hors du commun et d’une intelligence exceptionnelle, eut la chance d’en réchapper, de justesse à de multiples occasions. Il parvint après des années  de fuite ponctuée d’esclavage jusqu’au gigantesque camp au Kenya où il séjourna une dizaine d’années, sans quasiment aucun espoir d’en sortir avant que de faire partie des ultimes jeunes orphelins ou coupés de leurs familles sélectionnés par l’ONU pour partir principalement aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie.

La vie de Valentino est un véritable roman, une épopée moderne sous forme d’illustration vivante de ce que notre monde sait réserver encore de pure brutalité, de racisme, d’ostracisme, de déchainements de violence sous toutes ses formes. Dave Eggers sait en tirer partie avec force et habilité en faisant alterner les chapitres qui se déroulent à Atlanta, ville où Valentino aura trouvé refuge, bien des années plus tard, et la genèse de son terrible périple à travers des contrées livrées aux bandes armées et aux animaux sauvages.

Un témoignage pour dire aussi qu’une violence en remplace une autre car la vie de Valentino est loin d’être rose une fois émigré aux USA. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur une scène d’une rare violence, qui donnera le ton à tout le livre, qui voit notre homme se faire cambrioler sans vergogne, après avoir été lynché, bâillonné et ligoté, livré à la garde d’une enfant qui n’a d’autre cure que de le faire se taire pour regarder la télé sur le poste que les adultes auteurs du rapt vont embarquer un moment plus tard.
On comprendra tout au long des chapitres que la violence physique, psychologique et morale est sans doute tout aussi importante pour cette communauté de quelques milliers de Soudanais émigrés aux USA, incapables de s’adapter, jaloux les uns des autres, marginalisés par une société qui les tolère tout juste, que celle dont ils furent victimes dans leur pays natal.

Pourtant, ils durent y affronter les assassinats de leurs familles commis sous leurs yeux, les lions qui emportaient et dévoraient leurs compagnons de route et d’infortune, l     soif intense des déserts, les soldats qui les pourchassaient pour les massacrer ou les enrôler de force, les camps qui les plongeaient dans la plus absolue nécessité et pauvreté.

Malgré cela, Valentino sut garder l’espoir, se reconstruire avec difficulté, sa fiancée soudanaise, rencontrée dans le camp et retrouvée par miracle aux USA, devenant la victime expiatoire de la folie des hommes pourchassés par leurs démons, et parvint à s’intégrer. A la tête d’une fondation, il œuvre à la réconciliation et à l’intégration de ces hommes et femmes qui ont tout perdu.

Il en résulte un livre d’une incroyable portée, justement récompensé par le Prix Médicis Etranger 2009.


Publié aux Editions Gallimard – 2009 – 627 pages