Il semble que Marc
Dugain, l’homme aux multiples talents (ex homme d’affaires, historien,
romancier à succès, cinéaste …) se soit fait une spécialité d’illustrer les
dessous pas très propres – et c’est peu de le dire – de la politique.
Dans « Une exécution
ordinaire », il décodait l’ascension irrésistible de Vladimir Poutine qui
avait su exploiter à son compte le naufrage d’un sous-marin nucléaire russe,
drame exemplaire de l’incurie du régime et de ses luttes fratricides. Avec les
« Années Edgar », il disséquait comment Hoover avait su se maintenir
à la tête du FBI sous tous les Présidents, quelle que soit leur couleur,
détenteur de secrets susceptibles de tous les faire plonger en enfer.
Avec son dernier opus
« L’emprise », Marc Dugain s’intéresse à la politique française dans
un roman fiction qu’il est difficile de découpler de l’actualité très récente
de notre nation dont le rythme démocratique est une fonction chaotique de celui
des élections et de leur importance relative. Difficile en effet de ne pas
mettre les noms de celles et ceux, politiques et chefs d’entreprise, qui ont
fait l’actualité avant et après la dernière élection présidentielle, sur les
personnages dont Marc Dugain dresse un tableau sans concession ni complaisance.
Mais, évidemment, tout cela est habilement construit et tourné de telle sorte
qu’il sera impossible pour quiconque de se sentir directement visé car il
s’agit bel et bien d’une fiction romanesque, certes très documentée.
En mettant aux prises
deux ténors d’un parti dont le nom n’est jamais cité (mais il sautera aux yeux
du moindre lecteur de qui il s’agit…) en lutte pour s’imposer comme le candidat
naturel de son camp pour l’élection présidentielle à venir, Dugain nous montre
ce que l’on n’ignorait pas : l’ennemi, en politique, est plus souvent à
chercher dans son propre camp que dans celui d’en face.
Tout est bon pour
l’emporter. Dugain nous embarque alors dans une sorte de thriller haletant où
chacun manipule l’autre, où l’inventivité pour blanchir l’argent dont la
politique a grand besoin ne connaît pas de limite. Un monde où la vie compte
parfois peu si l’un ou l’autre devient gênant, dangereux ou indésirable pour
une raison quelconque. Un monde où capitaines d’industrie et hommes politiques
de tous bords composent en permanence, s’arrangent dans d’infinies et peu
reluisantes combines permettant à tous de garantir plus de pouvoir, plus de
richesse. Un monde où la fidélité conjugale est un simple concept et l’abus de
maîtresses la norme. Un monde où la collusion entre le contre-espionnage et les
affaires est permanente, créant de constantes variations entre arrangements et
manipulations. Bref, un monde où tous se tiennent par la barbichette, à un
degré ou à un autre et où la solidarité, ponctuelle, combinée le temps d’une
affaire ou d’un mandat, fait loi tout en autorisant de poignarder son acolyte
d’un jour le lendemain si l’intérêt devient la nouvelle loi.
Au départ, la
« fiction » mise au point par l’auteur devait l’être comme un
scenario de cinéma. La richesse du matériau en fit un livre. Et cela se sent
dans une écriture plus lâche, moins brillante que celle à laquelle Dugain nous
avait habitués. Le livre est plus écrit comme le ferait un journaliste
d’investigation ou un auteur de thriller. C’est du coup sa limite. Il se dit
que « L’emprise » pourrait être suivie de deux tomes et qu’une série
télévisée serait en préparation. A suivre donc.
Publié aux Editions Gallimard
– 2014 – 314 pages