Le 4 Avril 1968, Martin
Luther King est assassiné à Memphis par James Earl Roy. Un type assez obscur, à
l’intelligence moyenne, issu d’une famille où les enfants se succédaient
presque aussi vite que les bouteilles d’alcool englouties par des parents
pauvres, marginaux et totalement abrutis.
Devenu l’un des hommes les plus
recherchés par le FBI, Roy va entamer une cavale d’un an traversant tout
d’abord les Etats-Unis au volant d’une Ford Mustang (qui n’est pas la moins
voyante des voitures pour passer inaperçu) avant de passer au Mexique puis en
Europe. Il finira par se faire arrêter à Londres et terminera ses jours en
prison où toute une aile du bâtiment lui avait été réservée.
Au cours de sa cavale,
Roy passera quelques jours à Lisbonne en 1968. Or, pour Molina, Lisbonne revêt
une importance toute particulière. C’est là qu’au tout début de l’année 1987 il
viendra passer quelques jours alors que sa femme vient d’accoucher de leur
deuxième enfant pour trouver le matériau de ce qui allait alimenter son roman
« L’hiver à Lisbonne ». Un livre qui lui valut reconnaissance et
célébrité, le propulsant dans le microcosme littéraire et l’intelligentsia
internationale lui qui, jusque-là, se morfondait comme fonctionnaire
instruisant des dossiers de subventions pour des projets artistiques. C’est là
que, près de trente ans plus tard, vit également l’un de ses fils et là qu’il
revient après y avoir rencontré celle qui allait devenir la deuxième femme de
sa vie, sa compagne depuis des décennies maintenant.
On sait la prédilection
de Molina pour malaxer à l’infini ce qui lui sert de matière à écrire avec
cette capacité remarquable à explorer de nouvelles pistes, à s’interroger en
même temps qu’il nous interpelle, nous ses lecteurs envoûtés.
« Comme l’ombre qui
s’en va » est à ce titre une sorte de quintessence de l’art de Molina. Il
y combine en effet trois thèmes qui auraient pu, à eux seuls, être le prétexte d’un
ouvrage. Tout en suivant pas à pas la cavale du criminel, s’appuyant sur une
analyse scrupuleuse et méticuleuse de toutes les archives et de tous les
documents possibles et imaginables, l’auteur tente de comprendre les
motivations de celui qu’il décortique, tâchant de penser à sa place, de
ressentir comme lui, réalisant ainsi un vrai travail de romancier en même temps
qu’il se fait un peu historien et enquêteur. Plus cette enquête avance, centrée
pour beaucoup sur l’épisode à Lisbonne, plus Molina nous plonge dans sa propre
existence, la façon dont sa psychologie a pu, elle aussi, évoluer au gré des
circonstances, des rencontres et de la façon dont la célébrité, inattendue, a
accéléré des bouleversements qui étaient simplement latents. Plus les deux se
mêlent de façon intime et fascinante, plus Molina nous plonge au cœur du
travail d’écriture, de la façon dont une idée émerge, se construit et prend peu
à peu la forme d’un nouveau livre, dans un processus d’enfantement qu’il faut
encadrer, maîtriser en l’ordonnant, se contraignant à une discipline de fer.
Molina signe un livre
remarquable qui ravira ses admirateurs ainsi que tout lecteur soucieux d’un
travail d’une rare exigence sollicitant l’intelligence et une certaine forme de
pardon pour la fragilité humaine ; celle des criminels, celle des
écrivains et celle des hommes en général.
Publié aux Editions Seuil
– 2016 – 448 pages