20.10.17

Celui qui va vers elle ne revient pas – Shulem Deen


C’est par cette phrase, « Celui qui va vers elle ne revient pas », que l’on désigne ceux qui auraient choisi la voie de l’hérésie pour quitter le giron de la religion juive. Une façon de dire qu’une fois l’incompréhensible décision prise de partir, tout retour sera interdit. Une sortie définitive.

C’est cette issue que nous raconte Shulem Deen dans un récit autobiographique à la fois terrible, édifiant et poignant. Juif de l’Etat de New-York, il est élevé dans une famille de tradition hassidique modérée.

A treize ans, comme tous les garçons, il doit faire le choix de ses études. Parce qu’il est un peu paresseux, il décide de rejoindre une communauté réputée pour ne pas être trop difficile. Au programme, les études talmudiques et un formatage des esprits (disons-le, un bourrage de crâne en bonne et due forme) destiné à préparer une nouvelle génération à perpétuer les traditions, à conserver un enracinement les ostracisant de toute société moderne. Point d’anglais, ni de mathématique, ni de science sociale. Il s’agit d’en faire des spécialistes des règles commerciales et juridiques des tous premiers siècles du côté de Jérusalem et de les préparer à argumenter à l’infini sur d’infimes détails de l’histoire biblique.

Et puis, à dix-huit ans, impossible d’échapper au mariage arrangé. Les époux ne se seront en tout et pour tout rencontrés que sept minutes sans presque se parler avant que d’être livrés l’un à l’autre. Bien entendu, ils ne connaissent rien aux devoirs conjugaux et le « service du lit » avec le nombre hebdomadaire et les horaires imposés d’exercices appliqués seront expliqués avec le moins de détails possibles par le « rebbe » au jeune homme désemparé.

Pendant des années, cela fonctionnera à peu près. Shulem enseignera, sans grande conviction, auprès d’enfants de la communauté hassidique, les préparant à leur tour à un avenir tracé d’avance. Il finira par arriver à avoir des enfants avec son épouse qu’il n’aime pas mais avec laquelle il aura su tisser une relation de relative tendresse.

Mais, peu à peu, tout ce qu’on lui a enseigné se délite. Depuis des années, il se pose des questions sur le poids de ces traditions, sur les raisons d’un enfermement dans une communauté isolée, sur l’utilité de porter longues papillotes, chapeau et des couches de vêtements uniquement composées de noir et de blanc par tous les temps. Il souffre de plus en plus de qu’il perçoit comme un monde encerclé et étouffant, vivant en vase clos, fonctionnant en dehors des autres.

Osant un jour braver un interdit, il commencera par allumer la radio et découvrir le choc des publicités et l’existence d’un monde différent. Bientôt, la télévision, puis internet, puis une voiture vont lui donner accès à un univers de connaissance que les gardiens du temple se sont évertués à diaboliser, bien conscients du danger que représenterait la prise de conscience de la vie arriérée dans laquelle ils maintiennent des ouailles à coups de dogmes, de croyances et de règles à n’en plus finir, régentant tout, interdisant toute liberté de réflexion dès qu’elle ne porte pas sur les textes sacrés.

Shulem Deen finira par s’en sortir et à devenir un citoyen de son époque. Mais le prix à payer sera terrible : exclusion définitive, ostracisme, séparation d’avec ses enfants auprès de qui il est diabolisé, pertes financières gigantesques etc… C’est la rançon pour la liberté de conscience et de pensée.

Son livre est salutaire car il démonte de façon factuelle (et souvent drôle car son auteur a un sens de l’humour caustique bien développé) comment tous les extrêmistes du monde s’y prennent pour enfermer les foules dans un schéma mortifère. La religion n’y est que l’emballage car les pratiques psychologiques et de manipulation mentale sont les mêmes…


Publié aux Editions Globe – 2017 – 414 pages