C’est la rage qui a
poussé Viet Thanh Nguyen à écrire ce roman, par ailleurs récompensé du Prix
Pulitzer 2016. Comme des centaines de milliers de leurs compatriotes, Viet
Thanh Nguyen et ses parents durent fuir à pied les combats qui firent
finalement tomber le Sud-Vietnam aux mains des communistes du Nord. Après un
périple dantesque, ils trouvèrent enfin, et de justesse, le moyen d’émigrer au
pays de l’Oncle Sam où le jeune Viet Thanh Nguyen débarqua à l’âge de quatre ans.
C’est en regardant à dix
ans une cassette du film Apocalypse Now que Viet Thanh Nguyen commença à
objectiver et former une colère qui n’allait cesser de grandir. Une colère
envers une Amérique blanche, raciste, celle qui a porté l’improbable Trump au pouvoir,
celle qui veut faire croire que ce sont les immigrés intellectuellement et
économiquement intégrés qui viennent voler les emplois des Américains blancs.
Une colère qui trouva sa source en comprenant que le film de Coppola n’était
qu’un hymne aux soldats américains devenus légitimes à massacrer des
Vietnamiens anonymes et ridicules. Depuis, Viet Thanh Nguyen, qui enseigne à
l’Université de Californie du Sud, n’a cessé d’œuvrer pour faire comprendre à
ses lecteurs comme à ses étudiants que l’horreur avait frappé tous les camps et
surtout celui des civils et qu’une frange conservatrice et raciste de
l’Amérique Républicaine continuait de considérer les Américains d’origine
asiatique comme des sous-Américains.
Réunissant quantité de
documents et de témoignages, Viet Thanh Nguyen a élaboré un roman complexe,
violent, féroce et sans concession sur cette Amérique dont le Président actuel
incarne le pire visage qui soit.
Le narrateur, dont nous
ne connaîtrons pas l’identité, est un jeune officier de l’armée sud-vietnamienne.
Un homme dont la caractéristique est de ne jamais véritablement appartenir à un
monde. Né d’un prêtre français qui a séduit et engrossé une jeune femme
vietnamienne naïve, il n’est ni totalement jaune aux yeux des vietnamiens ni
blanc à ceux des Américains avec qui il travaille. Pire, c’est un agent double œuvrant
en fait pour l’armée du Nord. Alors que Saigon est en train de tomber, il
reçoit l’ordre d’accompagner les restes d’une armée du Sud en déroute, de s’y
installer avec eux aux USA et de les y surveiller.
Sans cesse, notre homme
semble naviguer entre divers mondes : celui d’un occident opulent dont il tire
parti au mieux de ses intérêts ; celui des émigrés qu’il accompagne et
dont il abuse la confiance tout en commettant pour eux des actes
criminels ; celui des Communistes qu’il renseigne mais qui le regardent et
le traitent avec une suspicion dangereuse.
Viet Thanh Nguyen ne nous
épargne rien de la violence d’une guerre qui se déplace des denses forêts
vietnamiennes vers tantôt les décors de cinéma d’un Hollywood bien décidé à
glorifier des Etats-Unis d’Amérique pourtant militairement vaincus, tantôt du
côté des complots ourdis par des officiers émigrés revanchards qui ne rêvent
que de soulèvement et renversement des Rouges, préparant d’hasardeuses
opérations de reconquête depuis les USA.
La grande force du roman
de Viet Thanh Nguyen est de donner à voir un conflit qui fit des millions de
victimes non plus seulement à travers le prisme déformant de la culture
américaine dominante mais sous toutes ces facettes, y compris et surtout, les
plus contradictoires.
Un premier roman
particulièrement dense, percutant, instructif bien que long.
Publié aux Editions
Belfond – 2017 – 487 pages