Jean Rolin n’aime rien tant que d’aborder des sujets assez
vagues par le travers. Une façon comme une autre de mener des digressions, de
donner libre cours à des considérations, des observations sur l’état du monde
qui font tout le charme des livres, souvent admirables de sagesse et de
culture, de cet auteur à part.
Ce n’est certes pas son dernier ouvrage qui échappera à
cette habitude. Tout part (comme presque toujours avec lui) d’une
anecdote : en mai 2015, un petit oiseau gris, blanc et noir, connu comme
le traquet kurde (œnanthe xanthoprymna de son nom savant) fut observé
au sommet du Puy de Dôme, dûment photographié et qualifié. Il n’avait
absolument rien à faire là, lui qui vit principalement dans les régions
montagneuses entre la Turquie et l’Iran, sur ce qui est peu ou prou la zone de
peuplement kurde par ailleurs.
Du coup, voici que notre homme (de plume mais
littéraire) se met en quête de cette migration inexpliquée. Une recherche qui
nous mènera sur les terres d’une espèce humaine originale et parfois prête à en
venir à diverses outrances pour se réserver le privilège d’observer de petits
ou gros volatiles en tous lieux de la terre. Une enquête qui, bizarrement,
montre que traquer le traquet (si j’ose dire) c’est aussi souvent emprunter les
sentiers de la guerre et croiser le chemin de curieux personnages, peu
recommandables.
Ainsi nous voici revenus au temps St John Philby,
espion britannique et support de l’Emir à l’origine de l’Arabie saoudite, par
ailleurs père du traître Kim Philby qui fut un agent soviétique. Quand ce n’est
pas l’écrivain T.S. Lawrence que nous croisons, lui aussi ornithologue passionné.
Mais le pire de tous est sans doute le peu recommandable Meinertzhagen,
militaire britannique de haut rang ayant participé aux négociations d’armistice
de la Première Guerre Mondiale et qui, tout en ayant probablement assassiné son
épouse pour une sordide question d’héritage, n’hésita pas à piller les réserves
des musées et détruire toute traçabilité de quantités d’oiseaux pour s’en
attribuer l’origine. Tous faisaient de la guerre un aimable moyen d’aligner au
bout de leurs fusils tout volatile digne de ce nom qui se présentait dans la
ligne de mire. Comme quoi l’on découvre que l’ornithologie peut cacher bien des
originaux.
Au fil de son petit ouvrage, Jean Rolin poursuit
son voyage. Un périple qui le mène dans les zones en guerre (Turquie, Syrie,
Lybie, Irak …) comme si ce petit oiseau qui ne demandait rien n’était autre que
l’annonciateur ou l’accompagnateur des lieux des conflits humains.
Jean Rolin signe une fois de plus un livre savant,
délicieux, iconoclaste qui séduira les plus curieux.
Publié aux Editions P.O.L. – 2018 – 173 pages