Comme elle l’avoue lors
d’une interview, Léonor de Récondo avait peur d’écrire un roman inscrit dans
notre époque. Elle nous avait ébloui d’une écriture magnifiquement ciselée avec
le magique « Pietra viva » consacré à la face sombre de Michel Ange
et confirmé son talent dans « Amours » nous plaçant au cœur de la vie
d’une anonyme femme de chambre engrossée par son patron dans le tapage des
années 1900.
Avec « Point
cardinal », la romancière opère un complet changement de décor. Nous voici
dans une ville moyenne quelque part en France. Une cité où vivent quantité de
familles comme celle de François marié à Solange depuis vingt ans et père d’un
garçon de seize ans et d’une fille de treize. Une famille sans histoire, unie,
qui s’aime.
Mais, derrière les
apparences se cache en réalité un profond tourment car Laurent, au fond de
lui-même, s’est toujours rêvé en femme. Un rêve qu’il assouvit en cachette
chaque dimanche où, sous le prétexte d’un entraînement sportif l’éloignant des
siens, il se transforme en femme pour partager des moments d’enchantement dans
un bar pour travestis. Mais en donnant un peu de prise à ses fantasmes, Laurent
ouvre la porte à un autre possible. Celui de devenir véritablement femme. Un désir
fou, irrépressible qui finira par éclater aux yeux de tous, famille et
collègues, comme un coup de tonnerre aussi violent qu’inattendu.
Tout l’art de Léonor de
Récondo est d’utiliser une langue simple et limpide pour illustrer la façon
dont chacun vit et réagit à cette révélation. Plus Laurent devient celle qu’il
a décidé de nommer Lauren, transformant son corps à doses d’hormones,
s’habillant comme une femme, plus le genre de la langue se transmute. La
grammaire et la syntaxe trébuchent passant volontairement du masculin au
féminin, combinant parfois les deux dans une même phrase pour mieux exprimer
l’irrémédiable transformation qui s’opère dans un bouillonnement plein de
confusion et de joie.
Autour de Lauren qui
s’assume, la famille vacille. Passant de la révolte à une acceptation résignée,
l’épouse use de dérivatifs pour tenir le coup. Pour leur fille, Claire, ce sera
une révélation faite d’admiration pour le courage d’un père qui ose aller au
bout de ses décisions et les afficher envers et contre tous. Pour Thomas,
l’heure de la révolte a sonné, précipitant la fuite d’un domicile parental
devenu insupportable.
Seuls ne dévient pas
Laurent/Lauren une fois la décision prise de se transformer totalement en
femme. Ils sont le point cardinal, stable, d’un univers familial, professionnel
et social dont les réactions précipitent chacun dans une nouvelle direction,
remettant tout en cause.
Léonor de Récondo signe
là une fois encore un beau roman, sobre, intelligent sur un thème qui aurait pu
aisément sombrer dans la vulgarité. Rien de tel ici tant la pudeur y est
constante. Tout est dit calmement, définitivement avec une force de conviction
qui force l’admiration pour ceux qui décident de changer leurs corps à jamais,
envers et contre tout. Un roman récompensé du Prix Etudiants Télérama – France
Culture.
Publié aux Editions
Sabine Wespieser – 2017 – 232 pages