19.11.18

L’arbre monde – Richard Powers



La multiplication des ouvrages scientifiques ou fictionnels sur les arbres laisse penser – et espérer – qu’apparaît un début de prise de conscience collective sur l’urgence à approfondir notre connaissance de l’univers fascinant de nos forêts, du mode de vie éminemment élaboré mis au point par les arbres au cours de dizaines de milliers d’années et du rôle essentiel qu’ils jouent pour assurer notre survie. Une urgence qui se fait pressante alors que notre planète est en surchauffe à tous points de vue et menace de rendre la vie impossible à ces cupides humains qui prétendent s’arroger tous les droits au mépris des principes fondamentaux garantissant le fragile équilibre qui a jusqu’ici rendu la beauté du monde que nous connaissons encore possible.

On l’aura donc compris, le dernier roman de Richard Powers est délibérément militant. C’est un appel, un cri presque à nous sortir de la spirale infernale qui ne peut mener qu’à notre propre destruction rapide désormais et à celle de l’essentiel des formes de vie qui nous entourent.

Organisé en quatre parties aux titres évocateurs (racines, tronc, cime et graines), le roman nous plonge au cœur de l’existence de neuf personnages principaux. Chacun mène une vie indépendante des autres dont il ignore jusqu’à l’existence. Mais tous et toutes, à sa façon, vont recevoir  un cri d’appel désespéré des arbres pour que l’humanité cesse de s’accaparer les terres boisées et de détruire massivement la formidable diversité forestière pour la transformer tantôt en nouvelles surfaces cultivables vite épuisées, tantôt en lotissements aussi laids que prétentieux, tantôt en zone de replantation d’une seule et même espèce destinée à être coupée au plus vite.

Tous choisiront, de façon plus ou moins directe, plus ou moins violente aussi, de répondre à cet appel. Certains en rejoignant des groupes d’activistes offrant au sens propre leurs corps comme ultimes remparts aux tronçonneuses et machines géantes destinées à venir à bout des arbres les plus immenses et résistants que la terre ait jamais porté. D’autres étudieront scientifiquement ce monde encore mal connu encourant les foudres de leurs pairs lorsqu’ils oseront laisser penser et prouver que les arbres ont mis au point d’infinis systèmes de communication d’une sophistication jusqu’ici inimaginable. D’autres encore imagineront sauver le monde en inventant un univers parallèle, purement numérique, destiné d’abord à fuir le monde réel de plus en plus insupportable avant que de devenir un moyen d’éducation et de prise de conscience de la résistance à opposer à un système économique et politique qui ne peut mener qu’au suicide collectif.

Au moment où l’épouvantable Trump accuse, une fois de plus sans la moindre démonstration et en dépit de la réalité objective, le défaut d’entretien des forêts californiennes pour justifier les terribles incendies qui ravagent la Californie pour, sans doute les cendres à peine refroidies, confier la gestion forestière aux mains avides d’entreprises n’ayant comme seul objectif que de faire de l’argent sans se soucier des conséquences écologiques et humaines, ce roman-cri trouve une résonnance encore plus particulière. On pourra certes parfois regretter certaines longueurs mais il n’en reste pas moins que la lecture de ce livre ne peut que nous encourager à réviser urgemment nos façons d’être au monde.

Publié aux Editions du Cherche Midi – 2018 – 533 pages