Le terreau favori de
l’écrivain suisse d’expression allemande Peter Stamm est fait d’histoires
contemporaines situées parfois aux confins du fantastique. Une façon pour
l’auteur de tisser des histoires sophistiquées sur des écheveaux complexes sans
pour autant perdre son lecteur. Un travail d’orfèvre qui nécessite une grande
maîtrise de construction et de style. Toutes ces qualités sont à nouveau
réunies dans le dernier roman de l’auteur dont le titre est directement
emprunté à Albert Camus.
Au centre de la toile,
Christoph, un écrivain arrivé dans la dernière partie de sa vie ; celle où
l’on a normalement accumulé expérience et succès permettant d’envisager la
suite avec une certaine sérénité. Sauf que pour Christoph, de succès littéraire
il n’en connut qu’un jamais suivi d’exemple. La faute en revient à la
séparation amoureuse avec la belle et jeune Magdalena, celle qui fut son égérie
et qui nourrit totalement son premier roman. Depuis cette véritable cassure
égotique, il n’a fait que cumulé les échecs et les jobs de plus en plus
précaires, sans joie, sans perspective. Jusqu’au jour où, par hasard, il croise
une femme qui, des décennies plus tard, semble être le double éternellement
jeune de son amour perdu.
Une rencontre d’autant
plus troublante que les deux femmes portent presque le même prénom et que
toutes deux exercent le même métier d’actrice de théâtre. Une coïncidence à
peine envisageable pour Christoph qui, plus il discute avec Lena (la jeune
femme), plus il se persuade de retrouver Magdalena. Au point de lui dérouler le
fil de sa vie supposée en employant pour cela le canevas de son roman devenu
introuvable, bizarrement référencé nulle part mais dont les correspondances
avec la vie réelle de Lena paraissent des plus nombreuses. Dès lors,
qu’est-ce-qui relève de la coïncidence, de l’influence volontaire ou non, de la
manipulation ? Impossible de répondre si ce n’est pour constater le
développement d’une relation de plus en plus perverse entre ces deux inconnus
dont l’un forge de plus en plus l’intimité de l’autre.
Dès lors, l’auteur nous
entraîne dans une spirale où fiction et réalité semblent sans cesse se nourrir
l’une de l’autre tout en nous questionnant constamment quant au fait de savoir
si le futur est écrit d’avance. Au fond,
la vie d’une certaine personne ne serait-elle rien d’autre que la
reproduction actualisée, avec quelques variantes mineures, d’une autre des
années plus tôt ? Il s’en suit un étourdissement du lecteur comme des
personnages qui semblent vivre de plus en plus dans une sorte de rêve. Or tout
rêve a une fin qui signe le retour, plus ou moins brutal, au monde réel.
Peter Stamm signe un
petit tour de force littéraire qui rend ce nouveau roman, certes pas
indispensable, mais assez savoureux tout de même.
Publié aux Editions
Christian Bourgeois – 2018 – 142 pages