C’est en découvrant une photographie exposée au Muceum de Marseille qu’est venue à Emmanuelle Favier l’idée de ce premier roman. Un roman étrange, un peu dérangeant qui traite de deux thèmes liés. Celui des « vierges jurées » d’Albanie tout d’abord, ces femmes qui, très vite, décident de renoncer à toute féminité pour vivre en célibataires, s’habillant en hommes, travaillant comme des hommes, respecté(e)s par eux. Une réalité encore aujourd’hui aux portes de l’Europe occidentale dans une société par ailleurs fortement patriarcale. Celui de l’identité ensuite puisqu’il est question, d’un bout à l’autre du roman, de ce qui se cache véritablement derrière les apparences et la figure sociale que l’on a choisi d’afficher.
Manusche est l’une de ces vierges jurées. Habillée en homme, vivant seule, travaillant comme un homme, elle est l’une des trois figures majeures du village albanais où elle réside, les deux autres étant le chef du village et le médecin. Rien ne la différencie des hommes avec lesquels elle fume, joue et boit. Une vie bien réglée, assumée pour échapper au malheur d’un mariage forcé et aux maternités non désirées. Une vie qui va se trouver bouleversée avec l’arrivée impromptue au village d’Adrian, un inconnu venu demander le droit de s’installer et auquel le chef réserve un accueil festif et positif.
Au premier contact avec Adrian, Manusche a éprouvé un émoi inconnu qu’elle pense dû à la rencontre avec un bel homme venu troubler sa vie retirée. Jusqu’à la révélation fortuite de ce qu’Adrian est en réalité une femme dont nous allons découvrir la vie mouvementée par un ensemble de flash-backs venant s’intercaler avec le récit. Une découverte qui fait basculer Manusche dans l’homosexualité, brisant ainsi ses vœux de chasteté tandis qu’Adrian viole les lois de l’hospitalité. Un double outrage inconcevable pour une société condamnant les déviances.
L’on comprend alors la signification de l’énigmatique titre car il en faut du courage aux rivières pour creuser leurs lits à travers les terres hostiles, les montagnes qui constituent autant d’obstacles, les changements de déclivité. Et il en faudra du courage à ces femmes, chacune de son côté puis ensemble, pour affronter l’opprobre, la maltraitance masculine, se dissimuler derrière des oripeaux, des métiers, des postures pour avoir le droit de vivre, dans la clandestinité et sous la menace permanente d’un malheur, ce qu’elles sont vraiment, intimement.
Emmanuelle Favier signe un roman original, à l’écriture très travaillée et sensuelle, non exempt cependant de quelques maladresses de construction ici et là. Une première incursion dans le monde littéraire à suivre.
Publié aux Éditions Albin Michel – 2017 – 217 pages