Trois jours que le livre est refermé et attend, au coin de mon bureau, que je m’attelle à sa note de lecture. Trois jours que je recule, hésitant sur la conduite à tenir face à un auteur qui compte.
Certes, Monsieur Queffélec, je n’ai pas l’intention de vilipender votre dernier roman mais, en même temps, je ne puis pas dire avoir été emballé. Loin de là, même.
Il manque une spontanéité, une fraîcheur, une liberté d’écrire pour traduire de façon un peu plus folle la folie, plus ou moins lourde, plus ou moins feinte des personnages ici mis en scène. Oui l’amour est fou dans le chemin qu’il se fraye, dans les obstacles qu’il dresse, dans la passion qu’il déchaîne. Mais rien de cela ne se retrouve dans ce roman en retrait.
Et pourtant, tous les ingrédients ont été savamment disposés. Aucun des trois personnages du trio amoureux et infernal ne peut être qualifié de normal, si tant est qu’il puisse y avoir la moindre définition du concept de normalité. Disons, en tous cas, que leurs vies sont éminemment compliquées, enfermées dans des schémas oedipiens lourds de conséquence.
Au beau milieu du trio, il y a le narrateur, Marc. Un jeune homme de vingt cinq ans à peine, fils d’une pianiste internationale, décédée, et d’un égyptologue qui survit de conférences données pour le compte de l’Association Française. Marc ne s’est jamais remis de la mort de sa mère et tout le roman, toute cette auto-narration souvent nauséabonde, sans concessions, visera, au fond, à faire le deuil de cette grande absente et à tuer le père. Un père embarrassant qui lui écrit régulièrement et qui n’obtient jamais de réponse. Qui le finance sans espoir de retour d’être aimé. Un père qui monopolise sa fille, la sœur de Marc, aveugle de naissance, substitution domestique de la femme aimée et disparue.
Marc est tombé fou amoureux d’Alba, une jeune femme de son âge. Une femme qui lui ouvre son lit mais qui ne s’est jamais laissée prendre ni aimer. Une femme amoureuse mais incapable de se donner. Une femme qui va le rendre fou avec ses deux pyjamas pour dissuader toute tentative d’effleurement.
Un jour, Marc finit par rompre presque par accident ce lien malsain. Mais, par accident aussi, sans le vouloir consciemment, il va tomber aussitôt dans les bras d’Aline, la mère d’Alba. Une belle femme d’une petite quarantaine. Une amante experte et attentionnée. Une sorte de mante-religieuse aussi qui veut Marc pour elle seule et qui au fond d’elle-même est terrorisée à l’idée que Marc puisse la quitter pour sa fille Alba. Aline, c’est la mère, l’épouse, la maîtresse, la lionne et la furie incarnées. Un cocktail qui vous explose à la figure sans jamais prévenir !
Mère et fille se détestent, ne sont plus adressées la parole depuis des années. Aline c’est la face sombre de la folie, la jalousie furieuse, capable sans préavis de péter les plombs et de se montrer violente envers Marc pour le pousser à avouer une faute qu’il ne commet pas.
Alors, peu à peu, Marc qui vit d’expédients, quelques cours de tennis au noir, ou garde d’enfants, va chercher à régler ses comptes. En se réfugiant dans l’alcool qu’il consomme sans modération pour oublier la vacuité de son existence.
En acceptant le boulot de critique musical dans une revue qui veut déboulonner les grands noms. Il se livrera à une critique gratuite, vitriolée des plus grandes pianistes, réglant des comptes, sur des innocents, avec sa mère qui l’a quitté. Ce sont là les mielleurs passages du livre et la conversation téléphonique avec Yvonne Lefébur au téléphone est un grand moment d’émotion.
Et puis Alba finira par resurgir, sur un quiproquo, par la faute d’Aline. La folie latente ou véritable pourra alors trouver son fixateur, se sublimer et Marc en finira avec ses démons.
Un thème assez sublime bien que compliqué.
Malheureusement, le résultat n’est pas là. On se prend à s’ennuyer, à compter le nombre de pages avant la fin faute d’une unité narrative et d’une folie littéraire. Le langage reste convenu, en décalage avec l’esprit des êtres, d’où sans doute cette distanciation au récit. De la folie pour le fond mais absente de la forme.
Pas un mauvais livre, mais un livre inabouti. Tant pis…
Publié aux Editions Fayard – 261 pages
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