Deuxième roman de Siddhart Dhanvant Shangvhi, celui-ci est construit à partir d’un fait divers réel. En 1990, Jessica Lall, super-star bollywoodienne, fut assassinée par le fils d’un ponte politique. Le fait divers fit les gros titres de la presse qui se déchaîna en vain. Ce n’est que tout récemment, au bout de multiples coup-fourrés, malversations et intimidations, que le meurtrier fut condamné.
Même si les noms, les lieux, les dates sont changés, c’est bien de ce fait divers dont il est question ici et qui va servir de trame à un roman en trois parties distinctes (avant le meurtre, l’assassinat, après le meurtre) où va évoluer un petit ensemble de personnages symboliques de la profonde transformation que vit la société indienne contemporaine.
Car, bien au-delà du fait divers, c’est d’une peinture sociale qu’il s’agit ici. Celle, sans concessions, d’une société dont les traditions implosent, un monde où la pauvreté, terrifiante et insupportable, continue de tenir l’immense majorité d’une population à l’écart du bord sur lequel plusieurs centaines de millions d’Indiens se situent désormais, recherchant plus de confort, de possession, entrant de plein pied dans une société de consommation acharnée.
L’Inde est un pays que je connais bien pour m’y rendre régulièrement à titre professionnel. C’est ce pays de contrastes qui est dépeint dans ce roman, un pays où les immensément riches côtoient les immensément pauvres. Un pays miné par la corruption, un pays au système politique encore archaïque et où il est possible de se soustraire aux lois pourvu que l’on détienne pouvoir et argent. Un pays où les nouveaux riches ont le même caractère insupportable et tapageur que partout où l’afflux d’argent contribue à tout bouleverser. Un pays en pleine mutation, pas encore moderne, en voie rapide de le devenir. Un pays fait de tensions politiques et religieuses qui resurgissent avec violence régulièrement.
Les personnages imaginés par Siddhart Dhanvant Shangvhi sont attachants, profondément humains. Samar, pianiste de génie et excentrique qui s’est retiré brutalement du circuit pour vivre une vie tapageuse dans une homosexualité condamnée par une société aux apparences moralisantes, est un symbole d’une société qui se cherche, à mi-chemin entre deux mondes. Karan, le photographe de génie, refuse de voir l’Inde telle qu’elle est, brutale, violente, broyant tout ce qui fait obstacle aux puissants. Il lui faudra beaucoup de renoncement pour accepter que l’art ait sa place pour donner à voir autrement un pays surpeuplé, pollué, à l’urbanisation galopante et non maîtrisée. Rhea est le symbole de ces épouses frustrées et qui cherchent leur place dans une société qui a perdu ses repères.
Mais, malheureusement, au bout du compte le roman manque son but. On reste en permanence à l’extérieur d’un récit pas toujours bien ficelé, voire très mal emballé. Les histoires d’amour sirupeuses ont tendance à embarquer le roman à l’extérieur de son sujet plutôt que d’en illustrer avec force le propos. Le style, peut-être desservi par une traduction parfois hâtive, est d’une grande pauvreté. Chaque tentative de l’auteur pour recourir à une image tombe à plat et ne fait que renforcer un sentiment de manque de technique d’écriture. Le roman s'essouffle très vite et tend à endormir son lecteur, bien malmené.
Il reste donc un roman témoignage, très moyen voire pauvre, mais on préfèrera de loin les œuvres de Tejpal ou Le tigre Blanc de Aravind Adiga profondément plus soignés et produits de vrais auteurs.
Publié aux Editions des Deux Terres – 2010 – 469 pages