7.1.12

No et moi – Delphine de Vigan




Voilà un livre pour lequel j’ai éprouvé un vrai coup de foudre, à tel point que, bien que commencé à une heure déjà bien avancée de la soirée, je l’ai dévoré d’une traite, incapable d’envisager de le refermer avant la toute dernière phrase.

Car il y a une justesse évidente dans la façon dont Lou Bertignac, une adolescente précoce et surdouée de treize ans, observe un monde dont, jusque là, elle ignorait tout. Lou, qui a un QI de 160, s’ennuie en classe. Elle est exclue par ses camarades parce qu’elle comprend toujours tout, répond toujours juste et vite, termine avant tout le monde ses devoirs sur table. Comme beaucoup de surdoués, elle est incapable d’aller vers celles et ceux de son âge et est tout autant déçue par le monde des adultes.
Sans réfléchir, pressée par un professeur de Français qui terrorise sa classe, elle va donner comme sujet d’exposé la vie d’une jeune SDF en France et garantir à son professeur que l’originalité de son sujet reposera sur une interview d’une situation réelle.

Alors, il faut bien que Lou dégotte son sujet. Parce qu’elle hante les quais de la gare d’Austerlitz, fascinée par les vies qui se nouent et se dénouent aux départs et aux arrivées des trains de grande ligne, Lou est repérée par No, une jeune SDF crasseuse et décidée.

Une fois le contact établi entre ces deux êtres, chacune en marge, chacune « a-normale » à sa façon, une fascination réciproque va se développer. Elles vont devenir inséparables, s’épauler l’une l’autre dans leur apprentissage particulier d’une nouvelle vie.

Lou est abasourdie par la difficulté à vivre dehors, les risques quotidiens, la violence de la rue et la gabegie des services d’urgence, saturés et démunis face à l’explosion de la pauvreté.

No retrouve en Lou les sentiments amoureux qui éclosent, les interrogations sur la vie lorsque Lou se confie à elle un peu comme à une grande sœur. Car Lou est terriblement seule. Sa mère est dépressive depuis la mort brutale de sa petite sœur et s’enferme dans un silence glacial. Son père fait de son mieux mais a du mal à comprendre une fille trop intelligente et qui questionne tout.

Alors Lou, aidée de son ami de classe Lucas,  lui aussi révolté, en marge, abandonné de ses parents, va entreprendre de convaincre sa famille d’accueillir No, de lui redonner sa chance et confiance en elle, de se reconstruire.

Il y a dans la façon dont le sujet de l’exclusion sociale est abordée dans ce superbe roman, une force d’autant plus grande que l’auteur a pris le parti de nous faire voir les choses par les yeux avisés mais encore purs d’une adolescente dans son corps mais terriblement adulte dans sa tête.
Certains des mécanismes majeurs à fabriquer l’exclusion sont décrits dans toute leur crudité : violence familiale, famille éclatée, alcoolisme sont des facteurs aggravants qui, combinés, détruisent à coup sûr le moindre enfant pour l’envoyer à jamais du mauvais côté de la barrière.

C’est pourquoi Lou aidée de Lucas se battront de toutes leurs forces pour sauver malgré elle une jeune femme vouée à l’autodestruction. C’est à une tragédie grecque moderne que nous assistons, et comme toutes les tragédies, le drame est présent mais forge les mortels humains.

« No et moi » fut à juste titre récompensé du Prix des Libraires 2007.
A lire sans la moindre hésitation.

Publié aux Editions JC Lattès – 287 pages