Voilà un livre pour lequel j’ai éprouvé un vrai coup de
foudre, à tel point que, bien que commencé à une heure déjà bien avancée de la
soirée, je l’ai dévoré d’une traite, incapable d’envisager de le refermer avant
la toute dernière phrase.
Car il y a une justesse évidente dans la façon dont Lou
Bertignac, une adolescente précoce et surdouée de treize ans, observe un monde
dont, jusque là, elle ignorait tout. Lou, qui a un QI de 160, s’ennuie en
classe. Elle est exclue par ses camarades parce qu’elle comprend toujours tout,
répond toujours juste et vite, termine avant tout le monde ses devoirs sur
table. Comme beaucoup de surdoués, elle est incapable d’aller vers celles et
ceux de son âge et est tout autant déçue par le monde des adultes.
Sans réfléchir, pressée par un professeur de Français qui
terrorise sa classe, elle va donner comme sujet d’exposé la vie d’une jeune SDF
en France et garantir à son professeur que l’originalité de son sujet reposera
sur une interview d’une situation réelle.
Alors, il faut bien que Lou dégotte son sujet. Parce qu’elle
hante les quais de la gare d’Austerlitz, fascinée par les vies qui se nouent et
se dénouent aux départs et aux arrivées des trains de grande ligne, Lou est
repérée par No, une jeune SDF crasseuse et décidée.
Une fois le contact établi entre ces deux êtres, chacune en
marge, chacune « a-normale » à sa façon, une fascination réciproque
va se développer. Elles vont devenir inséparables, s’épauler l’une l’autre dans
leur apprentissage particulier d’une nouvelle vie.
Lou est abasourdie par la difficulté à vivre dehors, les
risques quotidiens, la violence de la rue et la gabegie des services d’urgence,
saturés et démunis face à l’explosion de la pauvreté.
No retrouve en Lou les sentiments amoureux qui éclosent, les
interrogations sur la vie lorsque Lou se confie à elle un peu comme à une
grande sœur. Car Lou est terriblement seule. Sa mère est dépressive depuis la
mort brutale de sa petite sœur et s’enferme dans un silence glacial. Son père
fait de son mieux mais a du mal à comprendre une fille trop intelligente et qui
questionne tout.
Alors Lou, aidée de son ami de classe Lucas, lui aussi révolté, en marge, abandonné
de ses parents, va entreprendre de convaincre sa famille d’accueillir No, de
lui redonner sa chance et confiance en elle, de se reconstruire.
Il y a dans la façon dont le sujet de l’exclusion sociale
est abordée dans ce superbe roman, une force d’autant plus grande que l’auteur
a pris le parti de nous faire voir les choses par les yeux avisés mais encore
purs d’une adolescente dans son corps mais terriblement adulte dans sa tête.
Certains des mécanismes majeurs à fabriquer l’exclusion sont
décrits dans toute leur crudité : violence familiale, famille éclatée,
alcoolisme sont des facteurs aggravants qui, combinés, détruisent à coup sûr le
moindre enfant pour l’envoyer à jamais du mauvais côté de la barrière.
C’est pourquoi Lou aidée de Lucas se battront de toutes
leurs forces pour sauver malgré elle une jeune femme vouée à l’autodestruction.
C’est à une tragédie grecque moderne que nous assistons, et comme toutes les
tragédies, le drame est présent mais forge les mortels humains.
« No et moi » fut à juste titre récompensé du Prix
des Libraires 2007.
A lire sans la moindre hésitation.
Publié aux Editions JC Lattès – 287 pages