26.9.13

Les jeux de la nuit – Jim Harison


 
Jim Harison a construit son univers romanesque sur quelques éléments caractéristiques essentiels. La nature omniprésente, celle des grands espaces sauvages et quasi déserts qui parcourent le continent Nord-Américain, celle de lieux souvent hostiles du fait de conditions météorologiques extrêmes et rapidement changeantes. Une nature faite pour chasser, pêcher ou élever le bétail en grande quantité sur des ranches infinis. La brutalité des rapports humains où les conflits se règlent à coups de poing ou à coups de revolver. Celle qui fait exploser les couples souvent mal mariés et qui, le temps passant, ne se supportent plus si bien qu’il faut que l’un des deux s’en aillent, quel qu’en soit le prix, avant qu’un meurtre ne soit commis. Une brutalité de la vie qu’on assomme le plus souvent à coup d’alcool consommé à haute dose, en tous genres, à toute heure du jour ou de la nuit car il faut oublier et avancer, coûte que coûte. Une obsession du sexe permanente, instinctive et quasi bestiale.

C’est tout cela que l’on retrouvera ici dans trois longues nouvelles de chacune une centaine de pages. Trois nouvelles mettant en scène trois personnages principaux en proie à la solitude, à la difficulté à trouver leur place dans la vie, à une certaine mélancolie aussi parce qu’ils ont tous quelque chose à accomplir qui les mine ou les motive et dont ils finiront, chacun à sa manière, par trouver comment y parvenir afin de pouvoir continuer à avancer dans une vie parsemée d’embûches.
Dans « La fille du fermier », Sarah est une adolescente qui doit composer avec de multiples difficultés. L’arrachement à son milieu d’origine pour suivre la lubie de son père décidé à s’installer comme rancher au beau milieu du Montana. Puis le départ d’une mère qui n’en peut plus d’un mari qu’elle ne comprend plus et qu’elle n’aime plus. La découverte d’une intelligence hors norme qui lui ouvre les portes d’universités offrant des horizons que la vie rurale et rude ne laissait pas soupçonner. Un viol enfin qu’il faudra venger à tout prix, ceci devenant une idée fixe oblitérant tout le reste. Jim Harison signe ici une très grande nouvelle, la meilleure de ce récit.

Avec « Chien Brun, le retour », c’est la difficulté de vivre en métis au quart indien que nous conte l’auteur. Une difficulté d’autant plus grande que Chien brun est obsédé par le sexe qu’il pratique lubriquement avec toute partenaire prête à ses fantaisies et ses besoins quasi compulsifs. Difficulté accentuée par un besoin de solitude permanent pour se plonger au cœur de la nature et survivre à une fille handicapée et abandonnée par sa mère qu’on décide de lui arracher et à une nouvelle compagne qui veut à tout prix un enfant de lui mais sans pratiquer de rapport sexuel. Une quadrature du cercle qui finira par trouver une conclusion dans une grande débauche rabelaisienne.
« Les jeux de la nuit » qui conclue l’ouvrage revisite le mythe de la lycanthropie. Voici un homme qui, à chaque changement de lune, bascule dans des jeux nocturnes d’une extrême violence et dont il ne conserve que de très vagues souvenirs. Comment mener une existence normale quand on est une sorte de monstre et que l’on se sait condamné à moyen terme par une maladie du sang incurable ? Une nouvelle troublante, épique mais aussi très romantique comme nous finirons par le voir.

Moins abouti que « Légendes d’automne », ce recueil de nouvelles n’en reste pas moins recommandable pour entrer dans le monde fascinant de Jim Harrison.
Publié aux Editions Flammarion – 2010 – 334 pages