26.11.13

En sifflotant – Shusaku Endô



Endô-san fut l’un des grands écrivains japonais du XXeme siècle. Né en 1923 en Mandchourie, il mourut en 1996 après avoir publié de nombreux romans, reflets de sa foi catholique, de ses convictions et de sa vie marquée par la maladie. En effet, il souffrit longtemps d’une tuberculose qui faillit l’emporter jeune et qui lui valut trois opérations, dont une de la dernière chance dont il réchappa miraculeusement après trois longues et terribles années d’hospitalisation.

« En sifflotant » est considéré comme son chef-d’œuvre. C’est un roman très personnel, intime et touchant. Un roman savamment construit autour d’un personnage central, Ozu, homme mûr, sans relief, sans ambition mais observateur avisé de son temps et des conflits qui secouent le Japon moderne.
Endô organise son récit dans un va-et-vient permanent entre les années qui voient l’entrée en guerre du Japon aux côtés d’une Allemagne qui lui semble irrésistible et le Japon du début des années soixante où la lutte pour la réussite sociale est sans pitié.

Ozu se remémore à l’occasion d’une rencontre fortuite dans un train avec un camarade de collège perdu de vue les années insouciantes de sa jeunesse, celles qui permirent de construire une amitié intense avec un garçon dénommé Limande, au physique piscicole ingrat. Cancres invétérés tous les deux, faisant le désespoir de professeurs résignés, ils vont voir leur vie transformée par des évènements plus forts qu’eux. C’est d’abord la découverte de l’amour par Limande pour une jeune fille inaccessible parce que d’une classe sociale bien supérieure et bientôt engagée auprès d’un cadet resplendissant de la Navale. Un amour qui transcende, pousse au-delà de ses limites cet adolescent turbulent et malin et va le faire devenir un adulte avant l’heure. Puis c’est la seconde guerre mondiale, l’incorporation, les mauvais traitements et les horreurs de tout conflit qui vont marquer à jamais Ozu.

Chacune de ces séquences de souvenirs est entrecoupée du récit de ce qui se passe dans un hôpital moderne du Tokyo des années soixante. Un hôpital où exerce le fils d’Ozu devenu médecin. Autant Ozu est terne, autant Eichi, son fils, est ambitieux, prêt à tout pour parvenir au sommet.

Endô, qui fut un observateur privilégier du milieu hospitalier, s’adonne alors à une critique au vitriol des pratiques médicales qui oublient l’intérêt du patient jusqu’à les transformer en cobayes malgré eux de nouveaux médicaments promus par le laboratoire qui finance le centre. Eichi est l’archétype de l’arriviste. Il est manipulateur, pervers, joue avec les femmes pour servir son plaisir et ses ambitions, montent des cabales pour se débarrasser des médecins encombrants, met en péril la vie de ses patients pour le seul objectif de communications médicales qui le rendront glorieux et reconnu. Seule sa réussite lui importe, à n’importe quel prix.

Fortuitement, le passé et le présent vont venir s’entrechoquer lorsque Ozu reconnaîtra en une femme atteinte d’un cancer généralisé, patiente de son fils, la femme aimée secrètement par Limande bien des années auparavant.

Souvenirs et récits du présent s’emboîtent à la perfection, les premiers alimentant les seconds comme autant de preuves d’un monde perdu et du sombrement d’un peuple dans un matérialisme, une course aux honneurs où le souci de l’autre n’a plus lieu. C’est aussi au conflit de génération entre un père ancré dans le passé et un fils tourné vers le futur, un conflit insoluble tant les convictions sont antinomiques et irréconciliables.

Au final, « En sifflotant » , bien qu’écrit il y a plus d’un quart de siècle, reste d’une totale actualité et constitue un témoignage poignant d’un monde qui s’en est allé. C’est une œuvre magnifique et de tout premier plan.

Publié aux Editions Buchet-Castel – 1985 – 320 pages