Endô-san fut l’un des grands écrivains japonais du XXeme
siècle. Né en 1923 en Mandchourie, il mourut en 1996 après avoir publié de
nombreux romans, reflets de sa foi catholique, de ses convictions et de sa vie
marquée par la maladie. En effet, il souffrit longtemps d’une tuberculose qui
faillit l’emporter jeune et qui lui valut trois opérations, dont une de la
dernière chance dont il réchappa miraculeusement après trois longues et
terribles années d’hospitalisation.
« En sifflotant » est considéré comme son
chef-d’œuvre. C’est un roman très personnel, intime et touchant. Un roman
savamment construit autour d’un personnage central, Ozu, homme mûr, sans
relief, sans ambition mais observateur avisé de son temps et des conflits qui
secouent le Japon moderne.
Endô organise son récit dans un va-et-vient permanent entre
les années qui voient l’entrée en guerre du Japon aux côtés d’une Allemagne qui
lui semble irrésistible et le Japon du début des années soixante où la lutte
pour la réussite sociale est sans pitié.
Ozu se remémore à l’occasion d’une rencontre fortuite dans
un train avec un camarade de collège perdu de vue les années insouciantes de sa
jeunesse, celles qui permirent de construire une amitié intense avec un garçon
dénommé Limande, au physique piscicole ingrat. Cancres invétérés tous les deux,
faisant le désespoir de professeurs résignés, ils vont voir leur vie
transformée par des évènements plus forts qu’eux. C’est d’abord la découverte
de l’amour par Limande pour une jeune fille inaccessible parce que d’une classe
sociale bien supérieure et bientôt engagée auprès d’un cadet resplendissant de
la Navale. Un amour qui transcende, pousse au-delà de ses limites cet
adolescent turbulent et malin et va le faire devenir un adulte avant l’heure.
Puis c’est la seconde guerre mondiale, l’incorporation, les mauvais traitements
et les horreurs de tout conflit qui vont marquer à jamais Ozu.
Chacune de ces séquences de souvenirs est entrecoupée du
récit de ce qui se passe dans un hôpital moderne du Tokyo des années soixante.
Un hôpital où exerce le fils d’Ozu devenu médecin. Autant Ozu est terne, autant
Eichi, son fils, est ambitieux, prêt à tout pour parvenir au sommet.
Endô, qui fut un observateur privilégier du milieu
hospitalier, s’adonne alors à une critique au vitriol des pratiques médicales
qui oublient l’intérêt du patient jusqu’à les transformer en cobayes malgré eux
de nouveaux médicaments promus par le laboratoire qui finance le centre. Eichi est
l’archétype de l’arriviste. Il est manipulateur, pervers, joue avec les femmes
pour servir son plaisir et ses ambitions, montent des cabales pour se
débarrasser des médecins encombrants, met en péril la vie de ses patients pour
le seul objectif de communications médicales qui le rendront glorieux et
reconnu. Seule sa réussite lui importe, à n’importe quel prix.
Fortuitement, le passé et le présent vont venir
s’entrechoquer lorsque Ozu reconnaîtra en une femme atteinte d’un cancer
généralisé, patiente de son fils, la femme aimée secrètement par Limande bien
des années auparavant.
Souvenirs et récits du présent s’emboîtent à la perfection,
les premiers alimentant les seconds comme autant de preuves d’un monde perdu et
du sombrement d’un peuple dans un matérialisme, une course aux honneurs où le
souci de l’autre n’a plus lieu. C’est aussi au conflit de génération entre un
père ancré dans le passé et un fils tourné vers le futur, un conflit insoluble
tant les convictions sont antinomiques et irréconciliables.
Au final, « En sifflotant » , bien qu’écrit il y a
plus d’un quart de siècle, reste d’une totale actualité et constitue un
témoignage poignant d’un monde qui s’en est allé. C’est une œuvre magnifique et
de tout premier plan.
Publié aux Editions Buchet-Castel – 1985 – 320 pages