Délaissant le Vietnam en guerre, thème obsessionnel d’une
grande partie de l’œuvre de Butler, « Mr Spaceman » se situe aux
confins de la science fiction et d’un conte décalé dans la tradition d’un
Voltaire. Une gentille et souvent drolatique fable pour mieux nous moquer des
pauvres passions qui agitent nos conditions d’humains.
Desi est un extra-terrestre envoyé par sa planète depuis un
siècle pour observer l’humanité. Il vit dans son vaisseau spatial en rotation
au-dessus des Etats-Unis, marié avec Eda Bradshaw, une terrienne d’une
quarantaine d’années, ex-coiffeuse de son état dans la ville de Bovary, Alabama
qu’il a un jour séduite sur le parking d’un super-marché et fait monter à son
bord. Desi et Eda forment un couple modèle bien que dépareillé.
Desi est un chic type, qui a le cœur sur la main, le souci
des autres. Il a appris notre langue (entendez l’Anglais – américain – bien
sûr) mais a souvent des problèmes avec les mots ce qui donne lieu à de
savoureux qui proquos sur le sens réel des expressions idiomatiques.
D’ailleurs, Desi se présente toujours par un « Bonjour, je suis Desi et je
suis un chic type », histoire de ne pas effrayer les pauvres terriens par
son visage sans oreilles, ses yeux longs et en amande et ses huit doigts à
chaque main.
La mission de Desi est de capturer des humains pour les
interroger avant de les relâcher en ayant pris soin d’effacer tout souvenir de
cette rencontre. En cette veille de 31 décembre de la fin du deuxième
millénaire, Desi a détourné un car de douze américains en partance vers Las
Vegas. Le nombre de douze n’est pas choisi au hasard car chacun de ces humains,
à peine débarqué sur le vaisseau spatial, va se figurer qu’il est mort et qu’il
rencontre le Christ en personne. Il s’en suivra une série de situations fort
amusantes dont, en particulier, un ultime repas de réveillon, pris tous
ensemble, subtile parodie de la Cène et où chacun des faits et gestes de Desi
ne fera que conforter l’opinion de certains que c’est bien Jésus qui les
accueille, les écoute et les sauve.
Lorsqu’il écoute les humains captifs malgré eux, Desi les
reçoit en état quasi hypnotique. Ce sont leurs pensées intimes qu’il recueille
spontanément dans une forme d’auto-confession où ils se livrent totalement,
sans fard, sans barrière. Ce qui déroute Desi, c’est la médiocrité de ces
confessions qui disent l’impossibilité d’une fille d’être aimée de son père, de
deux époux à communiquer ce qu’ils attendent l’un de l’autre, de joueurs
invétérés à chercher la martingale… Comme chacun des témoignages est
immédiatement mémorisé et parce que Desi est troublé, celui-ci n’a de cesse que
de réentendre des témoignages plus lointains, d’humains maintenant morts. Des
mots qui ne font que conforter la médiocrité humaine, l’impossibilité à être
ensemble, l’absence d’harmonie et de quiétude.
Mais, à cause de ces témoignages, à cause aussi de la
mission qui lui incombe à la veille du millénaire et qui le stresse, à cause
enfin de sa fascination pour la poitrine opulente de son épouse alors que les
femmes de sa planète sont minces et plates, Desi va peu à peu s’humaniser. Et
se mettre à rêver ou à pleurer, états qui n’existent pas chez ceux de sa race.
Parce que l’homme est fait de contradictions et que son inconscient le
gouverne, Desi finit par découvrir peu à peu un monde jusque là resté opaque et
qu’il finira par adopter.
Grâce à une écriture pudique et touchante combinée à une
bonne dose d’humour, Robert Olen Butler nous embarque dans cette histoire un
peu folle et nous donne à réfléchir sur le sens, ou le manque de sens, de nos
existences ainsi que la puissance des moyens dont nous disposons en nous pour
nous transcender. Moyens que nous n’avons que trop tendance à oublier pour
sombrer dans un matérialisme vain et qui ne mène nulle part.
Publié aux Editions Rivages – 2003 – 230 pages