Il faut un courage certain doublé d’une volonté de réveiller
les consciences et d’appeler à réagir enfin, fermement, résolument et en
cessant tout atermoiement pour écrire ce roman.
En effet, Boualem Sansal, écrivant algérien chassé en 2003
du Ministère de l’Industrie dans lequel
il travaillait comme cadre, ne se résout pas à voir son pays dans lequel il vit
encore tomber entre les mains des barbus qui voudraient faire d’une religion un
instrument de domination absolue et définitive, exterminant toute résistance,
détruisant toute référence à l’Histoire parce qu’elle ferait offense à une
religion qui ne peut tolérer que quoi que ce soit pût exister avant l’événement
de sa domination totale et définitive.
On l’aura compris, malgré l’avertissement initial « La
religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire
détester l’homme et haïr l’humanité », c’est très explicitement à la
radicalisation islamiste, à cette gangrène qui menace nos libertés, nos
cultures, nos valeurs et tout simplement nos sociétés et nos libertés
fondamentales que s’en prend avec virulence Boualem Sansal.
Très directement inspiré de la relecture de l’indispensable
1984 de George Orwell, l’auteur imagine un monde terrifiant. Nous voici en
Abistan (une référence évidente à l’Afghanistan des furieux talibans),
territoire unique qui recouvre la planète entière où plutôt ce qu’il en reste
après plusieurs conflits mondiaux où l’arme nucléaire combinée à
l’endoctrinement fanatique a fait des milliards de victimes.
Les Romains et les Grecs le savaient déjà : pour
gouverner un empire immense, il vaut mieux imposer une dictature qu’une
démocratie. Celle de l’Abistan sera religieuse, fondée sur les ruines d’une
religion musulmane qui ont servi de base à la construction d’un nouveau Dieu,
Yölah, et de son Délégué immortel, Abi. Un binôme qui n’a de cesse d’imposer
ses règles absurdes écrites dans une novlangue conçue en laboratoire afin de
tout organiser autour des préceptes religieux et d’endormir les consciences des
foules. Un système où toute liberté de pensée, tout mouvement hors de ses
quartiers est surveillé, épié, dénoncé. Un monde où chacun fait l’objet d’un
interrogatoire et d’une auto-critique mensuels dont les résultats conditionnent
tout, y compris la survie. Un système où les déviants, de quelque sorte, font
l’objet d’exécutions barbares en masse dans des stades devenus des abattoirs où
la foule hystérique se déchaîne.
Un monde dans lequel Ati, un trentenaire rescapé d’un sanatorium,
va tenter de retrouver sa place avant que de voir les doutes et les pensées
interdites qui le traversent régulièrement le pousser à sortir du lot, à prendre
des risques puis partir à la découverte d’un monde pour le comprendre après sa
rencontre avec un archéologue qui vient de mettre à nu une découverte
susceptible de faire s’effondrer tout le système totalitaire de l’Abistan.
Ecrit dans une langue puissante et savante, le roman de
Boualem Sansal force cependant plus le respect que l’adhésion. Fondamentalement
décidé à donner les clés pour démonter l’absurdité et les dangers mortifères de
la radicalisation islamiste qui nous menace, l’auteur réalise ici un travail
remarquable et qui atteint son but. Cependant, au plan littéraire et
romanesque, le souci de l’objectif essentiel fait passer au second plan un
récit qui peine à décoller. Pendant les soixante-dix premières pages, nous
assistons beaucoup plus à un réquisitoire en règle envers l’Islam qu’à la mise
en place d’un roman. Puis, lorsque l’intrigue s’élabore lentement, ce souci de
dénoncer et d’éveiller nos consciences ne cesse de prendre le pas au point,
parfois, de provoquer un effet contraire à celui recherché à force d’overdose.
Au moins, le livre de Sansal aura le double mérite de nous
faire comprendre clairement les mécanismes à l’œuvre et de montrer que tout
ceci n’a pour objectif que de satisfaire une élite soucieuse d’enfermer les
masses dans un processus implacable d’abrutissement, scandé autour de prières
incessantes, de formules apprises par cœur et vides de sens et reposant sur une
pression sociale qui ne tolère pas la moindre déviance. Mais, il est peu
probable que les victimes actuelles le liront… A nous, les encore libres, de
réclamer fermement que les politiques prennent enfin les actions diplomatiques,
militaires et éducatives pour que cesse une mascarade qui, autrement, risque de
nous mener au désastre final.
Publié aux Editions Gallimard – 2015 – 274 pages