Oya Baydar, une grande
romancière turque contemporaine, reste encore méconnue en France. Ses ouvrages
tentent de dire la Turquie actuelle et la façon dont la société évolue, le plus
souvent par soubresauts successifs.
A ce titre, « Et ne
reste que des cendres » est un précieux témoignage balayant la Turquie sur
quasiment toute la seconde moitié du XXème siècle. Une Turquie marquée par les
coups d’état, la mainmise des militaires sur le pouvoir politique et économique
pendant des décennies, la répression violente allant jusqu’aux assassinats purs
et simples des opposants politiques puis la montée d’un Islamisme qui se forge
beaucoup par opposition à ce qui est considéré comme une menace : les
Kurdes.
C’est au sein de ce
maelstrom difficile à comprendre pour un Européen occidental que nous plonge la
romancière. Un monde de tensions intenses que nous vivons et observons à
travers les yeux d’une journaliste, Ülkü, qui, sans être tout à fait le double
d’Oya Baydar lui emprunte néanmoins beaucoup de son histoire et de ses
convictions.
Très tôt, Ülkü s’engage auprès des Communistes turcs
protestant contre la répression contre les Kurdes. Elle vit en même temps une
impossible histoire d’amour, elle la jeune fille brillante issu d’un milieu
populaire, avec un jeune homme appartenant à la haute bourgeoisie turque. Une
passion torride mais qui prendra brutalement fin parce que la famille du jeune
homme a écrit un autre destin pour lui. Un destin qui passe par un mariage dans
la bonne classe et pas avec une militante sans biens.
De cette histoire
d’amour, Oya Baydar va faire le fil conducteur sur plusieurs décennies pour
nous faire vivre de l’intérieur la peur de ceux qui luttent, les arrestations
sommaires, les tortures, les meurtres. Une révolte sourde d’abord puis de plus
en plus marquée et qui finira par conduire les militaires dehors après bien des
morts, bien des souffrances et bien des injustices. Un monde où des idéalistes
s’opposent à des carriéristes. Un monde qui pousse des générations entières à
fuir vers des contrées démocratiques et sécurisées. Un monde où les histoires
personnelles et tout ce qu’elles portent de malheur, d’interrogations, de choix
cornéliens à faire s’entrechoquent avec l’Histoire d’un pays secoué de toutes
parts.
Très documenté, puisque
l’auteur a elle aussi vécu ceci de l’intérieur et de très près, le roman
présente l’avantage de nous donner à mieux comprendre l’histoire récente d’un
pays dont nous ne voyons que la facette touristique, les attentats islamistes
et la radicalisation progressivement despotique d’un pouvoir à la peine. Mais
il présente aussi l’inconvénient majeur de nous précipiter dans des lieux
inconnus cités à la pelle dans la langue d’origine, de nous abreuver de sigles
de partis, de noms de politiciens dont nous, les non turques, ne savons
strictement rien au risque de décourager des lecteurs dans un roman par
ailleurs fort long mais superbement écrit et traduit.
Bref, un roman qui ne
touchera au fond qu’un public élitiste ou curieux. A savoir avant de s’y
lancer.
Publié aux Editions
Phébus – 2015 – 568 pages