Classé dans le rayon littérature pour adolescents,
« Songe à la douceur » conviendra en fait à tout public en raison de
l’universalité de son thème et de l’extrême modernité avec laquelle le texte
est soigneusement composé.
S’inspirant librement d’Eugène Onéguine de Pouchkine et de
l’opéra éponyme de Tchaïkovski, Clémentine Beauvais nous transporte en 2014
dans une quelconque banlieue de la région parisienne. C’est là, dans un
pavillon niché au fond d’un jardin que Lensky retrouve régulièrement Olga. Ils
ont tous deux dix-sept ans et découvrent ensemble les joies de l’amour. Un
jour, Lensky emmènera son copain Eugène qui fera la connaissance de la sœur
d’Olga, Tatiana. L’adolescente de quatorze ans qui en pince méchamment pour
Eugène se fera rembarrer par celui-ci, de trois ans son aîné, déjà revenu de
tout et plein de morgue, car il la trouve trop gamine pour être digne
d’intérêt.
Dix ans plus tard, Tatiana rencontre Eugène par hasard dans
le RER. Elle est thésarde spécialiste de Caillebotte tandis que lui se morfond
comme consultant, sans gloire et sans titre. Une décennie plus tard, un nouvel
amour, réciproque mais profondément entaché par deux évènements graves que nous
découvrirons tente de se mettre en place.
La grande force de Clémentine Beauvais est d’oser. Oser
casser les codes de l’écriture, oser mélanger les styles, oser jouer de la
typographie pour exprimer les sentiments comme l’usage des émoticônes en est
devenu le marqueur dans l’écriture numérique qui nous a envahis.
De façon quasiment ininterrompue, le texte est composé en
vers. Des vers libres qui claquent comme le slam de Lensky mais qui abritent
aussi, pour ceux qui savent les y dénicher, des alexandrins voire des rimes
internes aux accents plus classiques. Tous les moyens contemporains de
communication sont présents : textos, messagerie instantanée, emails… tous
sont traités avec une poésie, un humour sous-jacent, un regard compatissant
envers ces personnages qui se débattent
dans des états d’âme et des pulsions adolescentes bien que censés être devenus
de véritables adultes qui attirent une sympathie immédiate pour une histoire
qui évoquera forcément pour chaque amoureux/se que nous avons été, à un moment
de nos vies, des souvenirs vivaces.
C’est un vrai petit tour de force littéraire que réussit
Clémentine Beauvais qui pourrait bien poser les bases d’une écriture
protéiforme alliant classicisme, poésie, humour, grande modernité et
utilisation permanente du monde digital. Vous devriez adorer !
Publié aux Editions Sarbacane – 2016 – 243 pages